Intervention de Louis Eudes

Réunion du 2 juillet 2014 à 16h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Louis Eudes, président de Délocalia :

Délocalia propose, depuis 2008, un service intégré d'inspiration britannique. L'idée m'en est venue en Asie, où je travaillais alors et où j'ai eu l'occasion d'observer le phénomène nouveau des Européens qui s'installaient dans la région pour y vivre leur retraite. Tandis que les Scandinaves ou les Britanniques étaient très organisés, bénéficiant d'infrastructures d'accueil adaptées, les Français, soucieux de se tenir éloignés de leurs compatriotes, arrivaient en ordre dispersé, adoptaient une démarche plus individualiste et évitaient de fréquenter leurs compatriotes, Montaigne leur ayant appris qu'on ne voyage pas pour « chercher des Gascons en Sicile ». Cela les exposait toutefois à des risques considérables, notamment lorsqu'il s'agissait d'acquérir un bien immobilier dans des pays où le souvenir de la colonisation, toujours vivant, avait dicté, à l'égard des étrangers, des règles strictes pour l'accession à la propriété.

Nous proposons des services globalisés pour l'installation de retraités dans quinze pays, de l'Asie du Sud-Est aux Caraïbes, en passant par l'île Maurice ou l'Afrique du Nord et la péninsule ibérique. Ces pays se livrent une concurrence sur ce marché, dont chacun a bien compris l'intérêt et dont le coeur se situe à Londres, où sont basés les services financiers, la promotion immobilière internationale et le marketing. En 2007, avant la crise, le stock d'immobilier détenu par les Britanniques à l'étranger s'élevait à 80 milliards d'euros. Le dispositif est plus ouvert et plus organisé au Royaume-Uni : l'investissement résidentiel à l'étranger y est considéré comme un produit d'épargne. Cela permet à l'État d'avoir une traçabilité et aux ressortissants de diversifier leur épargne. Le choix, qu'a fait Délocalia de s'installer en France pour être au plus près de ses clients et de leurs préoccupations, représente un défi quotidien.

La question de l'épargne et du pouvoir d'achat est au coeur des préoccupations de ceux qui décident d'aller vivre leur retraite au soleil, mais ils ne négligent pas non plus d'autres données relatives à l'autonomie, au « bien vieillir », à la qualité de vie.

Cette réalité est difficile à appréhender. La Maison des Français de l'étranger estime à 200 000 le nombre de Français de plus de 65 ans résidant à l'étranger. La Caisse nationale d'assurance vieillesse – CNAV – sert plus de un million de pensions de retraite à l'étranger, parmi lesquelles il convient de distinguer celles versées à des binationaux ou à des travailleurs immigrés qui, eux aussi, sont sensibles au coût de la vie et au bien vieillir. La réalité est donc protéiforme. L'exil au soleil ne concerne pas que des retraités à la recherche d'une solution d'évasion fiscale.

Depuis 2008, la crise a accentué le phénomène. Les retraités français ont pris conscience, après une phase d'attentisme, que rien ne serait plus comme avant. Nous avons vu arriver une clientèle avide d'informations, cherchant d'abord à se convaincre que la bonne décision était de rester en France. Mais l'idée du départ a fait son chemin. Depuis un an, le nombre de passages à l'acte augmente.

Les instituts de sondage – dont les études doivent être lues avec précaution, car elles sont commandées par les promoteurs immobiliers – font état d'une hausse des intentions d'achat de résidence à l'étranger, de 5 % en 2008 à 20 % en 2011. Si l'on additionne les personnes souhaitant acheter à l'étranger et celles désireuses de s'y établir, il n'est pas déraisonnable d'estimer que près de la moitié des Français de plus de 55 ans y songent. Cela n'implique pas un passage à l'acte, car cela suppose de surmonter un obstacle psychologique : il faut accepter de rompre les liens qu'on a noués tout au long de sa vie. Toutefois, si, par le passé, les Français ont toujours rechigné à quitter leur pays, les familles s'internationalisent aujourd'hui : les enfants vivant à l'étranger offrent un repère rassurant pour les parents retraités qui sont alors plus prompts à sauter le pas.

Selon la Caisse des Français de l'étranger, le phénomène reste marginal : il concerne quelques milliers de personnes par an depuis trois ou quatre ans. Parmi les personnes de plus en plus nombreuses venant prendre conseil auprès de nous, nous estimons qu'une sur dix part effectivement.

Nous faisons intervenir des juristes, des fiscalistes et des assureurs. La question de la couverture santé est très importante pour les retraités, y compris lors du retour – on finit toujours par rentrer au pays, l'exemple anglais le montre.

Pourquoi s'en aller ? Pour les Français, quitter un si beau pays, où de nombreux étrangers rêvent d'avoir un pied-à-terre, ne peut être qu'un déchirement. Le climat est au coeur des préoccupations des Britanniques et des Scandinaves – en raison du déficit d'ensoleillement, on compte, chez ces derniers, un nombre de dépressifs supérieur à la moyenne européenne. Mais la recherche du bon investissement n'est pas étrangère à leur démarche. En Grande-Bretagne, l'immobilier est un produit financier ; l'éducation du marché est très forte et très en avance sur ce que nous connaissons. En France, la crise des finances publiques fait peser une menace sur l'épargne. De ce point de vue, la France se distingue et retrouve son rôle de « pays du mitan », cher à Cioran.

Les candidats à la retraite au soleil cherchent également à assurer leur « bien vieillir » : ils ont la hantise de voir le pays qui leur a tout donné tout leur reprendre, une peur de la spoliation, voire, pour les moins privilégiés, de la misère, et c'est ce qui les pousse à rechercher des destinations qui apparaissent comme des eldorados.

Autre singularité française, les personnes âgées ont le sentiment d'être déconsidérées et stigmatisées. À cet égard, M. Louis Chauvel, dans son enquête sur les classes moyennes, parle de « dyssocialisation des générations » pour désigner la résurgence du conflit de générations, nourri par des besoins économiques antagonistes. Pour M. Patrick Lemattre, professeur à HEC, la génération, née dans les années 1940, qui a été très gâtée, redoute de l'être moins dans la dernière partie de sa vie.

Le Maroc a été le premier pays à se positionner sur le marché en raison de la proximité géographique et culturelle. La francophonie est un critère important. Ensuite sont arrivés la Tunisie, l'île Maurice, la Thaïlande qui propose des soins hospitaliers et des infrastructures peu chères, le Sénégal, dont l'offre fiscale est calquée sur celle du Maroc, et, plus récemment, l'Espagne et le Portugal, à la faveur de leur crise des finances publiques. Dans ce dernier pays, le régime des impatriés exonère les pensions de retraite des ressortissants étrangers. Le marché est donc désormais mondial.

Les Français sont submergés par les informations et les propositions. Ils viennent nous consulter après avoir fait un premier tri pour analyser le matériau recueilli. En tout état de cause, la décision est fondée sur les affinités culturelles, la couverture santé et la préservation du patrimoine.

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