Monsieur Premat, merci d'avoir souligné le rôle du petitjournal.com à l'étranger – je suppose que c'est à Londres que vous nous avez connus.
Nous avons organisé ces deux dernières années les « Trophées des Français de l'étranger » au Quai d'Orsay, sous le parrainage de Mme Hélène Conway-Mouret, alors ministre déléguée des Français de l'étranger. L'idée est de mettre en avant des parcours de Français à l'étranger qui ont réussi dans différents domaines – entrepreneurial, social, humanitaire, environnement, art de vivre, enseignement. Cela nous a permis de récompenser des gens extrêmement brillants dont l'engagement est très fort. Sur 415 candidatures cette année, plus d'une centaine étaient particulièrement intéressantes, preuve que ces personnes ont un incroyable talent.
Pour avoir vécu treize ans à l'étranger, j'ai une vision très positive de l'expatriation. Cette expérience a été une grande chance pour moi. En permettant de porter un autre regard sur son pays, de découvrir d'autres cultures, d'autres langues, mais aussi de s'adapter, de se découvrir soi-même, elle est une grande force et une grande richesse.
Les termes employés notamment par la presse – « exil », « fuite » – renvoient effectivement à l'idée d'une expatriation subie – et non choisie. Certes, on peut considérer les départs comme une perte pour la France. Mais ils sont aussi une chance car, comme j'ai pu le constater, les Français de l'étranger restent dans leur très grande majorité attachés à leur pays, ils en sont les premiers ambassadeurs et contribuent ainsi à son rayonnement.
Selon les statistiques, l'expatriation enregistre une augmentation annuelle d'environ 4 % à 5 %. On ne peut donc parler d'exode, même si ces chiffres ne sont pas anodins. Au demeurant, notre pays n'a pas une tradition d'émigration, comme l'Irlande, le Portugal ou encore l'Italie. Et la population française à l'étranger par rapport à la population totale est proportionnellement inférieure à celle de bon nombre de nos voisins européens. Aussi « exil » et « fuite » sont-ils peut-être des mots un peu forts. N'oublions pas non plus qu'une bonne part de binationaux figure parmi les 2,5 millions de Français de l'étranger.
Nous avons le sentiment que la population expatriée traditionnelle – diplomates, professeurs, cadres de grandes entreprises – évolue peu, et ce en dépit de la crise. En revanche, l'attrait de l'étranger chez les jeunes semble évoluer assez fortement. Aussi deux tendances peuvent-elles être observées.
La première est l'attrait de l'étranger lié à la mondialisation de l'emploi. En effet, la plupart des étudiants à l'université ou en grandes écoles passent plusieurs mois à l'étranger dans le cadre de leur cursus – je reçois moi-même plusieurs CV par jour de jeunes souhaitant travailler au petitjournal.com dans les villes où nous sommes présents, notamment Londres, Sydney et Auckland. Cette tendance de départs dans le cadre du cursus éducatif est observée depuis une quinzaine d'années. Pour ces jeunes, l'expatriation ouvre des portes et incite certains d'entre eux à repartir à l'étranger quelques années plus tard.
Deuxième tendance – ce serait une erreur de ne pas le reconnaître – : le départ de jeunes à l'étranger en raison de la situation du marché de l'emploi en France. Nous savons en effet à quel point il est difficile aujourd'hui pour un jeune de trouver un travail dans notre pays. L'important est que ces départs deviennent une chance pour la France et que ces personnes ne coupent pas les ponts avec elle, ce qui suppose qu'elles puissent bénéficier à l'étranger d'une couverture sociale et scolariser leurs enfants dans des établissements français ou bilingues. Nous constatons en effet que les durées d'expatriation ont tendance à s'allonger.
En outre, on retrouve un public qui ne part pas forcément en famille, mais qui va plutôt construire sa vie à l'étranger. Sans doute pourra-t-on mieux mesurer ce phénomène dans dix ou quinze ans. J'ai moi-même constaté que de jeunes stagiaires de Sciences Po ou de Sup de Co se sont installés au Mexique à la fois pour des opportunités de travail, mais aussi parce qu'ils y ont rencontré leur compagne ou leur compagnon.
Ainsi, la population française à l'étranger augmente. Mais elle évolue également dans la mesure où les départs ne sont pas forcément contraints et que les passages peuvent se transformer en installation durable si les gens y rencontrent leur conjoint et commencent à faire leur vie là-bas.