Intervention de Alban Schmutz

Réunion du 10 juillet 2014 à 9h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Alban Schmutz :

Je vous remercie de m'avoir convié à venir donner le point de vue d'une entreprise comme OVH. com, qui exerce sur le territoire français.

OVH. com est le premier hébergeur de sites web en Europe – un site sur 6 en Europe et un sur 3 en France. C'est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) qui exerce son activité à partir de son siège de Roubaix. Elle a été créée en France et l'essentiel de ses salariés y travaillent. Elle a connu une croissance assez rapide : il y a cinq ans, elle employait moins de 100 personnes ; elle en emploie aujourd'hui à peu près 750 et l'effectif devrait atteindre 1 000 salariés à la fin de l'année. Nous sommes présents dans seize pays, ce qui donne à notre groupe une forte dimension internationale. Malgré tout, l'essentiel de nos effectifs – 450 à 500 personnes – se trouve sur le territoire national.

Notre problématique de recrutement rejoint celle de la présente commission d'enquête. Doit-on embaucher sur le territoire national, ou potentiellement ailleurs, les 300 personnes qui nous rejoignent chaque année ?

Il me semble important de préciser que notre recherche et développement est essentiellement située en France, mais également en Pologne et au Canada. Le choix de la Pologne n'est pas lié à des considérations financières. Il se trouve seulement que OVH a été créée par une famille d'origine polonaise installée dans le nord de la France au début du XXème siècle. Pendant la guerre froide, elle est revenue en Pologne, en est ressortie après la chute du Mur et s'est réinstallée dans notre pays. Il s'agit donc d'une famille française et polonaise, ce qui explique des liens forts avec la Pologne.

Mais venons-en au sujet de cette commission d'enquête. Faut-il se réjouir que des Français aillent à l'étranger ? De mon point de vue d'entrepreneur qui a créé des entreprises pendant quinze ans et en tant que représentant d'OVH, je pense que c'est une excellente chose. Notre société, en se déployant à l'international, crée des emplois en France : notre R & D est localisée essentiellement en France, nous avons des data centers, des supports et de l'ingénierie en France. Comme vous le disiez en introduction, nous sommes le premier hébergeur européen. Il est donc possible de devenir le premier hébergeur européen en opérant à partir de la France. Cela n'exclut pas que, demain, nous installions des infrastructures informatiques en Allemagne, en Angleterre ou dans un autre pays. Mais cela veut dire que l'on peut développer une entreprise à partir du territoire national.

Pour nous, la question n'est pas de savoir s'il est bon que des Français partent à l'étranger, dans la mesure où c'est le moyen de créer, par ricochet, des emplois en France. La question est ailleurs. Pour l'illustrer, je vais vous raconter un épisode de la vie d'OVH.

Son fondateur, M. Octave Klaba, a voulu partir au Canada pour s'y installer et développer des opérations en Amérique du Nord, le marché nord-américain étant, en valeur, le premier marché mondial de notre industrie. Mais en tant qu'entrepreneur et actionnaire, il a été soumis à l'époque à l'exit tax. On lui demanda donc de payer une taxe pour sortir, alors même qu'il allait développer son entreprise et créer, par voie de conséquence, des emplois sur le territoire national et qu'il n'avait pas les liquidités nécessaires pour le faire, puisque son seul patrimoine était celui de l'entreprise. L'exit tax peut amener un entrepreneur à vendre une partie de son entreprise pour financer son départ, destiné, précisément, à développer cette entreprise. C'est ubuesque ! Heureusement, OVH a obtenu la caution des banques qui la finançaient. On peut comprendre que l'on veuille faire payer les gens avant qu'ils ne quittent le territoire, mais dans une logique entrepreneuriale, c'est un non-sens.

La question est donc plutôt de favoriser le développement à l'international des sociétés françaises. Sinon, et je reprends cet exemple, celui qui voudra aller développer son entreprise hors de France la créera directement là-bas pour ne pas avoir de problème. Et nous n'y gagnerons pas, bien au contraire.

Par ailleurs, partir à la conquête des marchés étrangers peut être un vrai choix positif. Mais ce peut être aussi un choix subi.

Premièrement, et la représentation nationale doit le comprendre, nous avons besoin que le marché national et le marché européen soient suffisamment dynamiques pour permettre aux entrepreneurs de se développer – et de créer de l'emploi en France, etc. Sinon, les entrepreneurs iront ailleurs. Prenons comme exemple le domaine du traitement des données personnelles hébergées dans le cloud. L'important, pour le citoyen, est de pouvoir accéder à ces données quand il en a besoin. Si la législation nationale ou européenne est très protectrice, mais aussi trop restrictive, elle ne permettra pas à des entreprises de développer sur le territoire ce type de services, qui apportent de la valeur ajoutée. Mais d'autres législations permettent de développer plus facilement des services de ce type. Le citoyen y mettra spontanément et volontairement ses données – sans bénéficier, en fin de compte, d'une vraie protection. D'où cette question de fond : comment faire pour rendre effective, et la valeur ajoutée économique et la protection des individus ? Quoi qu'il en soit, les entrepreneurs risquent d'aller ailleurs, ce qui sera dommageable pour le territoire national.

Deuxièmement, pourquoi opérer en France alors que l'on peut opérer à l'étranger où les conditions de concurrence ne sont pas les mêmes ? Nos data centers sont en France, où nous payons nos impôts. Nous sommes donc soumis à l'impôt sur les sociétés, dont le taux est d'à peu près 34 %. Nos compétiteurs, qui opèrent des services à partir d'Irlande ou d'autres pays, sont imposés à des taux différents. Si, à la fin de l'année, une société paie 100 millions d'euros d'impôts de plus que son concurrent, l'année d'après, elle investira 100 millions d'euros de moins que lui, et créera donc moins de valeur ajoutée. D'où une vraie distorsion de concurrence. Cela se traduira également par de moindres rentrées pour l'État qui ne pourra pas, éventuellement, réinvestir une partie de cet argent pour développer l'économie et le tissu entrepreneurial local. Comment faire ? Nous avons formulé un certain nombre de propositions dans le cadre du plan cloud sur la Nouvelle France industrielle, pour tenter de limiter ce type d'effets et faire que nos compétiteurs viennent s'installer sur le territoire national pour y jouer avec les mêmes règles que nous.

Il faut donc que le marché existe en France, et que les entrepreneurs puissent avoir des conditions de concurrence équivalentes à leurs compétiteurs internationaux. Il n'est pas difficile de créer des entreprises en France. La difficulté, c'est de les y développer. Il faut donc créer des conditions favorables à ce développement.

Aujourd'hui, le crédit d'impôt recherche (CIR) est un outil formidable mis au service des PME et des entreprises de taille intermédiaire. OVH n'y a pas eu recours jusqu'à présent, en raison de la lourdeur de la procédure – ce qui prouve que l'on peut créer et développer une entreprise en France sans le CIR. Pour autant, c'est un moyen de dynamiser le tissu national.

Par ailleurs, nos écoles d'ingénieurs et nos universités forment des gens compétents, au point que OVH, pourtant implanté dans seize pays européens, en Amérique du Nord et en Afrique, n'a aucunement l'intention d'installer ses centres de R & D ailleurs qu'en France. Bien sûr, cela ne nous dispense pas de veiller à la qualité du recrutement.

Mais la situation a changé depuis quinze ou vingt ans. Il ne s'agit plus de se demander s'il est bien que des Français partent, ou non, à l'étranger. Aujourd'hui, dans les écoles de commerce, d'ingénieurs, etc. partir à l'étranger fait partie du cursus et cela ne pose plus de problèmes à qui que ce soit. Il s'agit de faire venir en France des cadres, des chercheurs étrangers, qui s'installeront sur le territoire national et y créeront de la valeur ajoutée. Or les conditions que j'ai citées préalablement restent valables. Si le marché n'est pas attractif, si le secteur public qui représente une masse colossale des investissements en France ne s'intéresse pas suffisamment à tel ou tel domaine, personne ne viendra en France capter le marché. Nous devons décider d'aller vite, de dynamiser le marché et d'accueillir avec le sourire ceux qui viennent vers nous – ce qui n'est pas toujours le cas, notamment à Paris. C'est vraiment très important, et nous devons y travailler tous ensemble. Cela relève de notre responsabilité collective.

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