Intervention de Thibault de Saint-Vincent

Réunion du 17 juillet 2014 à 10h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes :

Les demandes ont pratiquement doublé. Dans notre agence de Londres, relativement petite puisqu'elle ne représente que 0,3 % du marché des Français, nous avons réalisé 11 ventes depuis deux ans à des Français expatriés, et leur avons offert 61 locations. Compte tenu de notre part de marché, nous estimons qu'environ 9 000 Français se sont installés à Londres, en achetant ou en louant. « Depuis cinq ou six ans », explique la directrice de notre agence londonienne, « nous observons à Londres un changement d'attitude quant à la durée du séjour des expatriés. Si la location d'une durée de trois à quatre ans était privilégiée jusqu'alors, nous sommes passés à la location pour une ou deux années avant d'entamer une procédure d'achat immobilier. Cela sous-entend le plus souvent que le retour en France est exclu ». S'agissant de Miami, ma directrice locale m'indique avoir discuté ces dernières semaines avec un assureur, deux comptables et deux avocats qui, tous, disent être absolument débordés, complètement pris de cours devant l'ampleur du phénomène, même comparé à 2013. Même retour en matière scolaire, les écoles françaises ne peuvent plus accepter d'élèves car elles ont fait le plein. À New York, le lycée français ne peut plus accepter qui que ce soit. À Londres, les écoles sont également submergées. Notez que plus le niveau socio-professionnel d'éducation et de culture des exilés est élevé, moindres sont les chances de les voir revenir car ils réussiront très bien dans ces villes.

Nous organisons des conférences afin d'informer les Français sur leurs possibilités d'installation et d'investissement à l'étranger, tout comme nous organisons aux États-Unis des conférences sur les modalités d'installation et d'investissement en France. La dernière que nous ayons organisée aux États-Unis s'est tenue à l'Alliance française en présence de 200 Américains. Dans l'autre sens, la dernière réunion que nous ayons organisée il y a quinze jours à Paris s'intitulait « Investir ou s'implanter au Portugal » et a attiré 140 personnes – retraitées pour la plupart – qui jugeaient plus intéressant de passer leur retraite au Portugal qu'en France. De nombreux pays déroulent le tapis rouge aux investisseurs et aux rentiers mais également aux forces vives et aux entrepreneurs. Le Portugal offre ainsi une exonération d'impôt sur le revenu pendant dix ans. À Bruxelles, lorsque vous détenez des biens immobiliers résidentiels, vous bénéficiez d'une exonération de revenus fonciers. Je rencontre donc des propriétaires qui décident de vendre tous leurs biens immobiliers parisiens destinés à la location résidentielle pour investir à Bruxelles. Ils deviennent résidents belges pour pouvoir bénéficier de cette exonération.

S'agissant du marché locatif, la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – a fini d'achever le peu de propriétaires bailleurs privés qui restaient sur le marché en renforçant un droit des locataires déjà très protecteur. Aujourd'hui, lorsqu'un locataire ne paie pas ses loyers, il faut compter deux ans pour récupérer le bien – en mauvais état, de surcroît. Et s'il reste un loyer avant que le propriétaire ne fasse des travaux de remise en état du logement, ce loyer est taxé à plus de 50 %. La plupart des propriétaires bailleurs privés ont donc décidé de revendre leurs biens locatifs : un tiers des biens qui se libèrent ne sont plus remis en location par leur propriétaire, mais directement mis en vente.

La première raison qui motive le départ de nos clients n'est pas la fiscalité, souvent évoquée, mais bien l'idéologie dominante en France : dans notre pays, on considère depuis très longtemps que faire du profit, c'est un péché. Or, sans profit, une entreprise ferme. Le profit sert à embaucher, à investir, à développer une entreprise.

Je suis entrepreneur depuis toujours : après avoir attrapé le virus de l'entrepreneuriat à 14 ans, j'ai créé ma première société à 18 ans. En 2002, après avoir vendu à mes associés quinze agences immobilières de quartier, appelées Connexion, je suis parti vivre aux États-Unis. Car, en France, on venait d'instaurer les 35 heures. Et dans mes quinze agences, où je faisais quotidiennement passer des entretiens d'embauche, un jeune m'a un jour affirmé qu'il lui était compliqué de travailler après 18 heures ou le samedi parce qu'il souhaitait préserver sa vie de famille et ses loisirs. Sauf que, dans l'immobilier, on travaille de 9 heures à 21 heures, et très souvent le samedi. Si un jeune de 23 ans pense surtout à ses loisirs, ce n'est pas de sa faute : c'est qu'on lui a expliqué que le travail n'était pas une bonne chose et qu'il devait penser à se reposer. Cette idéologie dominante est la principale cause de découragement de ceux qui veulent partir.

De nombreux entrepreneurs, dirigeants de société, commerçants et restaurateurs quittent la France après avoir subi des contrôles fiscaux, la répression des fraudes et des braquages. Je connais notamment un restaurateur qui a récemment quitté Nice pour s'installer à Miami : il y a acheté une maison et un restaurant. Il a créé des emplois à Miami. Et comme il est travailleur et parce qu'il est aux États-Unis, il s'en sort.

Dans ce contexte, les chefs d'entreprise souffrent d'un manque de reconnaissance et sont considérés comme nuisibles. Ils préfèrent donc aller travailler ailleurs. En Angleterre, en Belgique, en Suisse et aux États-Unis, le chef d'entreprise est reconnu comme contribuant au développement de son pays. Lorsque je suis parti en 2002, j'ai expliqué à un jeune lors d'un entretien que, dans l'immobilier, on était payé à la commission et qu'il pourrait donc bien gagner sa vie à condition de réaliser beaucoup de ventes. Il a « eu un sourire qui voulait dire : « De toute façon, tu es le patron et moi l'employé, donc tu vas m'enfumer (sic). » Cela partait très mal…

Deuxième raison de cet exil : le manque de flexibilité du marché du travail, caractérisé par le déséquilibre de la relation employeur-employé et le coût exorbitant des charges sociales. Aux États-Unis, un jeune cadre qui touche 5 000 euros par mois après impôts coûte entre 7 500 et 8 000 euros à son employeur. En France, il lui en coûtera 15 000, c'est-à-dire le double. Aux États-Unis, lorsqu'on embauche une personne qui ne convient pas, elle quitte l'entreprise dans les trois jours sans aucun traumatisme et retrouve très vite un autre travail car l'entrepreneur n'est pas angoissé à l'idée d'embaucher. En France, chaque fois que vous embauchez un salarié ou qu'il a dépassé sa période d'essai, si une baisse de votre chiffre d'affaires vous contraint à vous séparer de cette personne pour ne pas mettre la clef sous la porte et en licencier cinquante autres, vous êtes assuré de vous retrouver aux prud'hommes. J'ai même perdu récemment un recours pour rupture abusive de la période d'essai !

Le poids fiscal est bien sûr aussi un facteur important car les impôts sont beaucoup plus élevés en France. L'instabilité du cadre juridique et fiscal est également souvent invoquée : les lois changent tous les un à trois ans et sont parfois rétroactives.

L'insécurité est souvent mentionnée par les gens résidant en région parisienne ou dans le sud de la France, du côté de Cannes, Nice et Marseille. Aux États-Unis, la dernière fois que l'alarme de mes bureaux, directement reliée au commissariat, a sonné parce que j'avais oublié de l'éteindre, la police est arrivée dans les cinq minutes !

Enfin, si tous les investisseurs, les rentiers et les retraités qui s'en vont ne sont pas des « forces vives », ils créent néanmoins beaucoup d'emplois, eux aussi. Il existe actuellement à Bruxelles un petit quartier où l'on compte cinquante maisons possédées par des Français et qui sont en cours de rénovation : cela représente environ 500 emplois pendant un an. Et ces Français vont investir dans des sociétés. J'estime qu'environ 20 000 personnes sont parties depuis deux ans – ce qui représente probablement près d'un million d'emplois. Cela est catastrophique pour la France.

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