Intervention de Pascal Coudin

Réunion du 11 juin 2014 à 17h30
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Pascal Coudin, président de l'Institut des avocats conseils fiscaux, IACF :

La problématique que je vais aborder – celle des transferts à l'étranger de centres de décision d'entreprises – est sensiblement différente de celle qui vient de vous être exposée. Votre attention a sans doute été attirée sur des opérations telles que le rapprochement de Lafarge et de Holcim ou la fusion avortée entre Publicis et Omnicom. Parmi ces opérations, qui n'ont rien d'une nouveauté, il convient de distinguer deux cas de figure, selon que le transfert du siège social se fait ou non à l'occasion d'un rapprochement avec un groupe étranger. Lorsque les deux choses sont liées, l'opération n'est en aucune manière motivée en premier lieu par des considérations fiscales. Il arrive en revanche que celles-ci soient à l'origine de la décision dans le second cas, le transfert du centre de décision pouvant alors s'accompagner d'un transfert des activités.

Supposons qu'un groupe français F et un groupe allemand A souhaitent fusionner au terme d'une opération publique d'échange de titres – OPE – une société va proposer aux actionnaires de l'autre de lui transférer leurs titres en échange d'autres qu'elle-même émettra ; ainsi, si F lance une OPE sur A, les actionnaires de A vont transférer à F leurs titres et F va les rémunérer en émettant de nouveaux titres de son capital. Trois scénarios sont dès lors possibles : F lance une OPE sur A ; A lance une OPE sur F ; une nouvelle société – appelons-la par convention la Holdco, pour « holding commune » –, constituée dans un pays tiers, par exemple les Pays-Bas, lance une OPE sur A et F. Les motifs conduisant à choisir un scénario plutôt qu'un autre sont rarement fiscaux ; plus exactement, si des considérations fiscales entrent en compte dans la réflexion devant conduire à une OPE, elles auront bien davantage pour objet de s'assurer de la neutralité fiscale de l'opération que d'obtenir un avantage fiscal.

Prenons le troisième scénario, celui d'une société néerlandaise qui prend le contrôle des deux sociétés française et allemande. Ce choix est d'abord d'ordre politique : le groupe français ne veut pas donner l'impression qu'il passe sous le contrôle d'un groupe allemand et réciproquement ; on choisit donc un pays réputé neutre, chacun estimant alors son orgueil national sauf. Si, je le répète, la décision d'aller dans un pays tiers n'est pas dictée par des considérations fiscales, en revanche, une fois qu'elle est arrêtée, celles-ci peuvent entrer en ligne de compte dans le choix de la localisation de la société holding. Comme on ajoute une société dans la chaîne de distribution des bénéfices, on ajoute en effet des charges fiscales – par exemple cette société Holdco pourra avoir à supporter un impôt sur les dividendes distribués ou à payer un impôt quand elle redistribuera les dividendes. À ces égards, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Luxembourg offrent des régimes fiscaux avantageux – mais, encore une fois, il ne s'agit que d'éviter un surcoût fiscal par rapport au statu quo ante et non d'obtenir une économie d'impôt. Quoi qu'il en soit, il y aura un double manque à gagner pour le budget français, du fait d'abord de la perte des retenues à la source sur des dividendes versés à des non-résidents – je rappelle au passage que le CAC 40 est détenu pour moitié par des étrangers – et ensuite du crédit d'impôt dont bénéficiera la holding en France, comme auteur de ce prélèvement sur les dividendes.

Dans l'hypothèse où la holding n'est pas constituée dans un pays neutre, il s'agit de savoir laquelle des deux sociétés, A ou F, va lancer l'OPE sur l'autre. La décision obéit à des considérations politiques, financières, juridiques puis, en bout de course seulement, fiscales, mais notre fiscalité ne milite pas en faveur du choix de la société française comme tête de groupe. En effet, ses dividendes seront taxés à 5 % et quand elle en redistribuera, elle devra à chaque fois payer 3 %, toutes impositions qui n'existent pas dans la plupart des autres pays. En outre, il y aura retenue à la source sur les distributions aux actionnaires non-résidents, contrairement à ce qui se passe, par exemple, au Royaume-Uni. À tout cela s'ajoute que la loi fiscale française est réputée particulièrement instable.

Si la société française devient la société faîtière, on aura donc un surcoût provenant de l'imposition des distributions de bénéfices provenant de la société allemande. Cessant d'être directement distribués aux actionnaires, ils passeraient, après l'OPE, par la société française et seraient alors soumis aux deux impositions successives, de 5 % et de 3 %. Si c'est à l'inverse la société allemande qui contrôle la société française, la première ne se verra pas appliquer ces impositions, qui ne concerneront que la seconde. On tendra par conséquent à préférer cette deuxième solution.

On retiendra de ces scénarios que la fiscalité n'est pas la motivation première du transfert éventuel d'un centre de décision hors de France et que, d'autre part, ces opérations ne concernent que le capital des sociétés françaises, leurs activités n'étant pas affectées : elles conservent en France leurs établissements et continueront de payer dans notre pays l'impôt sur les sociétés et leurs impôts locaux. Mais il importe aussi de noter que la fiscalité sur la distribution des dividendes ne plaide pas pour qu'une société française soit choisie comme holding dans le cadre d'une OPE.

La fiscalité des dirigeants, quant à elle, est rarement prise en compte dans le choix des modalités de la fusion. Une raison en est sans doute que les dirigeants de groupes multinationaux exercent souvent leur activité dans un autre pays que celui du siège social de la société tête de groupe. Cela étant, il n'est pas inutile de rappeler que, pour ceux qui exercent leurs fonctions en France, la fiscalité sur les rémunérations, notamment sur les stock options et sur les attributions d'actions gratuites, s'est alourdie dans une proportion notable, sans oublier l'effet de la taxe de 75 %, certes ponctuelle mais qui a frappé les esprits.

Radicalement différent des cas de figure précédents est celui d'une société française qui, indépendamment de toute opération de rapprochement avec une autre, décide de transférer son siège ou ses activités hors de France. Cette opération peut, elle, être motivée par des considérations fiscales et conduire à une déperdition de matière imposable pour le Trésor français.

Le transfert du seul siège social ne devrait pas entraîner énormément de conséquences sur la base taxable à l'impôt sur les sociétés en France, puisqu'on applique un principe de territorialité – seul est imposé en France le bénéfice produit. En revanche, si cette société transfère à l'étranger non seulement son siège, mais également des activités, le résultat de ces dernières cesse d'être imposé en France. Un texte a été adopté il y a deux ans, non pour empêcher ces transferts d'activité, ce qui serait contraire au droit communautaire, mais pour instaurer une exit tax un peu équivalente à celle qui est en vigueur pour les personnes physiques. Ainsi, lorsque des actifs sont transférés hors de France, les plus-values sont soumises à imposition, avec cependant la possibilité d'en étaler le paiement.

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