Intervention de Philippe Bélaval

Réunion du 3 septembre 2014 à 15h00
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux :

En recevant votre invitation, je me suis demandé si elle m'avait été adressée au titre de mes fonctions actuelles ou à celui de mes anciennes fonctions de directeur général des patrimoines au ministère de la culture : la vision que j'avais alors dépassait en effet celle de la centaine de monuments que le Centre des monuments nationaux gère au nom de l'État. Aussi mes réponses pourront-elles porter la marque de réminiscences de mon précédent poste.

Je suis évidemment très favorable à la tenue d'une exposition universelle en France. L'histoire, depuis quelque cent cinquante ans, nous montre le bénéfice que le pays a tiré de chacune des manifestations de ce type qu'il a organisées, qu'il s'agisse des expositions universelles de 1867, de 1889 ou de 1900, ou encore de l'exposition coloniale de 1931 : elles ont considérablement accru le rayonnement de la France, ne serait-ce qu'au plan touristique. Elles ont également bénéficié de manière considérable au patrimoine lui-même, en laissant derrière elles des constructions qui, même lorsqu'elles avaient été conçues comme éphémères, ont parfois duré et constituent aujourd'hui des témoignages prestigieux de l'architecture de leur époque : c'est vrai de la Tour Eiffel, des Petit et Grand Palais, du Palais de Tokyo ou de celui de la Porte Dorée. Un tel projet ne peut qu'être bénéfique à la France, dans une période où notre pays nourrit des doutes sur son influence internationale, son rayonnement ou son attractivité, des doutes que, du reste, je ne partage pas car je suis bien placé pour connaître l'intérêt ou la curiosité que la France continuent de susciter auprès de très nombreux pays. Il convient seulement de les entretenir en permanence en mettant en valeur l'innovation dont nous sommes capables, ce qu'une exposition universelle est l'occasion de faire. Je ne pense pas d'ailleurs que vous ayez rencontré beaucoup d'opposition à ce projet au cours de vos auditions et ce n'est pas moi qui romprai l'unanimité en la matière. Je le répète : je suis très favorable au principe d'une telle exposition.

Les modalités de sa mise en oeuvre sont évidemment plus compliquées. Par conviction personnelle, l'idée d'une réutilisation de l'existant m'intéresse, même s'il faut rester lucide : l'esprit d'une telle manifestation exige des aménagements ad hoc. La question de la construction de la modernité sur la base de l'existant dépasse la simple approche économique ou financière pour se poser en termes culturels – je ne suis pas certain du reste que la réutilisation de l'existant soit toujours meilleur marché qu'une construction ex nihilo. Je suis en tout cas convaincu que la politique patrimoniale au sens le plus large – la transmission de l'héritage aux générations futures – consiste à offrir des racines historiques à la modernité. C'est la raison pour laquelle je veille, dans le cadre de la politique culturelle du CMN, à assurer toute sa place à la création au sein des monuments historiques, même les plus éloignés apparemment de l'art contemporain. L'opposition entre patrimoine et création, qui repose sur l'organisation, notamment en termes budgétaires, du ministère de la culture, est fallacieuse. Le patrimoine d'aujourd'hui a été la création d'hier et la création d'aujourd'hui sera le patrimoine de demain. Cette distinction est également dangereuse parce qu'elle tend à créer une rupture dans un continuum dont l'intégrité doit être préservée. Ce serait donc une fort bonne chose que de réussir, dans le cadre d'une exposition universelle, à ancrer la modernité française, européenne et internationale au plus près – je reviendrai sur ce point – de l'héritage patrimonial, d'autant que celui de notre pays est considérable et a assuré le rayonnement de la civilisation française dans le reste du monde – il en est de même notamment de l'Italie ou d'autres pays européens, mais le cas de la France est flagrant. Une telle idée m'est donc a priori sympathique.

Cela dit, il ne faut pas ignorer que la mise en oeuvre d'un tel projet se heurtera à de nombreuses difficultés pratiques. Je ne suis pas allé à Shanghai, mais j'irai à Milan l'année prochaine et j'ai des souvenirs de Séville : ces manifestations sont destinées à drainer des flux de population très importants issus du monde entier. Or les bâtiments historiques ne sont pas toujours adaptés à l'accueil et à la circulation de tels flux. Je lisais ce matin sur internet un article très critique sur l'accueil des visiteurs du château de Versailles. Certains monuments sont d'ores et déjà proches de la saturation : comment y organiser la visite de plusieurs millions de personnes ?

Ces monuments font par ailleurs d'ores et déjà l'objet, pour la plupart d'entre eux, d'un usage, notamment culturel, et on ne va pas démeubler Versailles pour y installer un pavillon de l'exposition universelle. Une contradiction entre les deux usages risque donc de surgir indépendamment même de la question, subalterne, du dédommagement de l'établissement qui tire ses recettes de ses visiteurs. Certes, des parties de ces monuments sont parfois moins utilisées que d'autres : il conviendrait de les recenser de manière fine. Il serait en revanche dommage, pour attirer du public à l'exposition universelle, de fermer des éléments du patrimoine que ce même public souhaitera visiter à la faveur de son séjour en France. Il faudra dépasser cette contradiction.

Troisième point : l'adaptation de ces monuments. Le public de ce type de manifestation attend des prestations en termes d'accueil. Outre son coût, cette adaptation devra également respecter la législation patrimoniale. Comment insérer la modernité au sein des châteaux de Versailles, de Fontainebleau ou de Vincennes ? Faudra-t-il cacher provisoirement certains éléments historiques, voire les déplacer ou les démonter ? Comment le faire dans le respect de la législation des monuments historiques ?

Si je suis intéressé non seulement par le principe d'une exposition universelle, mais également par une démarche de réemploi, je pense toutefois que, sauf exception, il ne faudra pas chercher à inscrire cette démarche dans des lieux véritablement patrimoniaux. Envisager des constructions dans le domaine de Versailles ou le parc de Saint-Cloud suscitera de nombreuses réactions hostiles. Il serait préférable de viser les abords immédiats de tels lieux – dépendances domaniales, friches industrielles, etc. –, où il serait possible d'implanter plus facilement les pavillons de l'exposition, et de créer ainsi, dans le cadre d'une logique « gagnant-gagnant », entre ces pavillons et les monuments patrimoniaux, des liens suffisamment étroits pour rendre indissociable la visite des deux sites et les faire bénéficier de leurs succès respectifs. Il faut éviter de susciter des complications inutiles en sus des oppositions qui ne manqueront pas d'apparaître.

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