Intervention de Franck Geretzhuber

Réunion du 23 juillet 2014 à 16h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Franck Geretzhuber, secrétaire général du groupe Auchan :

Auchan n'est pas le premier bénéficiaire du CICE, mais il a fait l'objet d'au moins autant de commentaires. Nous nous réjouissons donc de pouvoir répondre aux interrogations, voire à certaines critiques, parfois légitimes. En outre, il est normal et utile que le législateur vérifie que l'usage qui est fait de l'argent public atteint les objectifs de la loi.

La concomitance de l'annonce du plan de modernisation de l'entreprise, voici quelques mois, et des débats sur le CICE n'a pas été très heureuse, car elle a donné lieu à des critiques, sur lesquelles je ne reviendrai pas. Avant d'indiquer dans les grandes lignes comment nous utiliserons les 68 millions d'euros que nous percevrons au titre de l'année 2 du CICE, je rappellerai comment nous avons employé les 44 millions d'euros que nous avons perçus au titre de l'année 1.

Auchan, né voilà 50 ans à Roubaix, emploie aujourd'hui 302 500 salariés dans 15 pays et dans cinq métiers – hypermarchés, supermarchés, immobilier commercial, banque et secteur de l'e-commerce et « drives ». En France la branche des hypermarchés, qui représente le deuxième groupe de distribution intégrée, emploie 57 600 collaborateurs répartis dans 119 magasins.

Dans le monde de la distribution, Auchan est une entreprise quelque peu atypique. Tout d'abord, alors que d'autres enseignes privilégient de plus petits formats, nous avons voulu privilégier l'hypermarché de grande taille, qui nous permet de tenir notre promesse commerciale d'être l'enseigne du choix. Afin de proposer une offre diversifiée, nous avons besoin d'un nombre suffisant de fournisseurs et de partenaires commerciaux, principalement des PME françaises. Avec 31 % de notre chiffre d'affaires alimentaire réalisé par celles-ci et 36 % de nos linéaires occupés par leurs produits, nous sommes le premier partenaire commercial des PME agroalimentaires françaises.

Nous sommes également l'un des pionniers de l'actionnariat salarié en France. Auchan France compte en effet aujourd'hui 90 % de salariés actionnaires et les 105 000 salariés actionnaires d'Auchan à travers le monde détiennent 10 % du capital du groupe.

Nous sommes aussi l'un des leaders en France du partage des résultats, grâce à un dispositif d'intéressement et de participation dérogatoire voté avec les partenaires sociaux, qui nous permet de distribuer 70 % de plus que le montant légal. En 2013, l'entreprise a ainsi distribué 143 millions d'euros à ses collaborateurs en France en intéressement et participation, soit un tiers de notre résultat courant avant impôts. Contrairement à ce que l'on pourrait craindre ou penser, le partage des résultats ne nous empêche pas de développer une rémunération juste : hors intéressement et participation, un employé de libre-service travaillant à temps complet chez Auchan et ayant deux ans d'ancienneté est payé 1 659 euros par mois, soit 15 % de plus que le SMIC.

En 2013, nous avons recruté 5 327 personnes en contrat à durée indéterminée (CDI), dont 67,3 % sont des jeunes de moins de 25 ans. Sur les cinq dernières années, l'institut Xerfi nous a classés au quatrième rang sur 500 entreprises créatrices nettes d'emploi. Ces recrutements de jeunes se font pour 80 % sans exigence de diplôme ni d'expérience professionnelle. Nous contribuons ainsi à l'insertion professionnelle des jeunes et à la réinsertion professionnelle de personnes éloignées de l'emploi.

À considérer ces éléments, on pourrait penser que tout va bien et se demander pourquoi faire bénéficier Auchan du CICE. Cependant, entre 2010 et 2013, Auchan France a dû s'acquitter, en cumulé, de 200 millions d'euros supplémentaires en taxes et impôts divers. Depuis 2010, nous nous acquittons ainsi chaque année de 250 millions d'euros de taxes et d'impôts, hors impôt sur les sociétés, pour un résultat net de 148 millions d'euros. Avec l'impôt sur les sociétés, le taux de pression fiscale est de 76,6 % par rapport au résultat courant avant impôts. Le CICE ramène ce ratio à 67,3 %.

Pour éviter tout malentendu, je précise que le taux effectif global d'impôt sur les sociétés qui s'applique en France au groupe Auchan est de 38 %, et non pas de 8 % ou 15 %, comme on l'entend parfois dire.

Nous n'estimons donc pas que le CICE soit un cadeau. Est-il, pour autant, vraiment utile pour un groupe de distribution en France ?

Comme vous le savez, la grande distribution doit faire face à de profondes mutations. D'une part, la baisse du pouvoir d'achat, qui a été, selon l'INSEE, de 0,7 % en 2011, de 1,8 % en 2012 et de 0,9 % en 2013, pèse sur les volumes des ventes et tire les prix vers le bas, accentuant la déflation et intensifiant la guerre des prix. Au-delà de cet élément de conjoncture, nous devons nous adapter au changement des comportements de consommation, qui provoque notamment la migration de tout un ensemble de marchés non alimentaires vers le commerce en ligne. Cette nécessité s'impose d'autant plus à nous qui sommes l'enseigne qui réalise la plus grande part de son chiffre d'affaires dans la vente de produits non alimentaires. Ceux-ci – produits d'équipements, bazar, textile, etc. – représentant 33 % de notre chiffre d'affaires. Nous devons donc, non seulement réduire nos coûts d'exploitation, mais également investir dans de nouvelles formes de distribution, comme le drive ou le commerce en ligne, renouveler totalement notre offre de produits – en développant par exemple notre offre de produits « bio » ou d'objets connectés – ou encore créer de nouveaux métiers en magasin, l'objectif étant de mieux servir nos clients et de coller au plus près de la demande locale.

Cette nécessité nous a conduits à annoncer en janvier un plan de modernisation de l'entreprise, que nous avons soumis aux partenaires sociaux. Sa mise en oeuvre se traduira par la suppression en solde de trois cents postes sur la période 2014-2016.

Nous avons déjà commencé à adapter nos métiers via la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences engagée depuis 2002. Sur les 8 349 salariés concernés par cette gestion prévisionnelle des emplois, seuls vingt ont été licenciés, les autres personnels ayant été réorientés vers de nouveaux métiers au sein de l'entreprise. Ainsi, nous avons ouvert en 2013 dix drive employant chacun trente personnes, soit trois cents emplois nouveaux.

Le CICE a contribué à cette modernisation puisque, sur les quarante-quatre millions d'euros que nous avons touchés en année n + 1, nous en avons consacré vingt-deux au recrutement, à l'innovation et à l'investissement. Sept millions d'euros ont permis de recruter 197 collaborateurs en CDI – c'est le solde net de création d'emplois au-delà de la compensation du turn-over – ; huit millions d'euros ont été consacrés à la mise en place d'une direction de l'innovation ou investis dans la prospection de nouveaux marchés, comme celui de l'impression en 3 D. Sept millions d'euros ont été dépensés dans la réduction de l'impact écologique de notre activité : nous avons par exemple équipé trois de nos magasins en éclairage 100 % LED afin de réduire notre consommation d'énergie.

Dix-sept millions d'euros ont été affectés au partage des résultats d'exploitation, à travers l'amélioration de la prime de progrès et de la partie dérogatoire de la participation, ce qui nous a permis d'augmenter la rémunération de nos collaborateurs de deux cents euros. Enfin cinq millions ont été consacrés à la reconstitution de notre fonds de roulement, qui nous permettra d'investir dans l'avenir.

En ce qui concerne l'affectation des soixante-huit millions d'euros prévus pour 2014, les arbitrages définitifs n'ont pas encore été rendus, mais nous devrions consacrer quarante-deux millions d'euros au recrutement, à l'innovation et à l'investissement. Nous comptons par exemple équiper nos magasins de bornes de recharge rapide pour les véhicules électriques ou d'investir de nouveaux marchés tels ceux de la Silver Economy. Nous allons également poursuivre nos investissements dans les nouveaux parcours de course dits cross canal, par exemple en mettant en place dans les magasins des espaces de retrait des produits achetés en ligne. Les vingt-six millions d'euros restants devraient être consacrés à l'amélioration du partage des résultats via l'intéressement et la participation.

Je conclurai en rappelant qu'en tant qu'entreprise de main-d'oeuvre – 70 % de nos frais sont des frais de personnels, qu'il s'agisse de la rémunération, de la formation, etc. – nous avons prouvé qu'il n'était pas besoin d'un SMIC au rabais pour recruter des jeunes sans qualification. En revanche, quand des parlementaires envisagent de supprimer certaines exonérations de charges sociales, cela ne nous aide pas à assurer cette mission de recrutement, de formation et de professionnalisation des jeunes en France.

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