Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, madame la vice-présidente de la commission des affaires économiques, chers collègues, l’année dernière, M. le ministre nous présentait un projet de loi dense et volontaire visant à reconnaître la diversité des régions et des modèles agricoles. Preuve s’il en est du grand intérêt de ce texte, de très nombreux parlementaires, mes collègues, se sont impliqués. Nous avons noué un dialogue avec les organisations professionnelles, les associations, les élus et la société civile sur les orientations. Je remercie encore Germinal Peiro, le rapporteur, mon voisin, pour les nombreuses auditions qu’il a organisées et son implication personnelle afin de redonner du sens à notre agriculture. Le travail parlementaire sur ce projet de loi a été remarquable, parfois controversé, souvent passionné, mais toujours fourni et studieux.
Nous avons, en tant que représentants de la nation, fixé les orientations et les conditions de l’agriculture et de l’alimentation que nous voulons. Nous nous sommes prononcés pour un développement résolu de l’agroécologie, permettant aux agriculteurs de vivre et aux gens de manger sainement.
Le compromis trouvé en commission mixte paritaire est satisfaisant. Je ne reviendrai pas sur les différentes mesures, mais ferai juste une observation concernant les pesticides. Si je suis très satisfaite que nous ayons obtenu la reconnaissance des préparations naturelles peu préoccupantes, je regrette que la représentation nationale n’ait pas suffisamment écouté la société civile mobilisée sur la dangerosité, aujourd’hui reconnue, des pesticides. En excluant, à l’article 23 du projet de loi, la précision « en particulier lorsque la zone à traiter est située à proximité d’un bâtiment d’habitation », la commission mixte paritaire a ignoré les alertes graves pour la santé mentionnées dans le rapport sénatorial de Mme Bonnefoy. Pourtant, les voisins des agriculteurs ont tout autant droit à un cadre de vie sain que les publics dits sensibles. Dans la rédaction initiale du projet de loi, le Gouvernement avait eu la sagesse de préconiser des mesures de précaution permettant d’éviter que soient atteintes les personnes vivant à proximité des lieux de traitement.
Alors que nous avons soutenu un projet consensuel pour répondre aux enjeux actuels de lutte contre le réchauffement climatique, de création d’emplois, de conciliation entre les intérêts des producteurs et des consommateurs, on a vu se développer récemment un double discours sur les orientations agricoles. Cela est incompréhensible en cette période difficile de défiance de nos concitoyens envers l’action politique. Je pense aux décrets sur l’extension de la taille des ateliers d’élevage, ou encore au projet de règlement portant autorisation des OGM à Bruxelles. Pour ajouter au trouble ambiant et donner satisfaction à quelques agriculteurs réfractaires aux changements incontournables de pratiques agricoles, le Premier ministre annonçait ce week-end son souhait de voir révisée la directive Nitrates.
La condamnation de la France par Bruxelles pour non-respect de ses obligations en matière de qualité de l’eau constitue pourtant une opportunité pour promouvoir notre projet de loi et faire cesser les erreurs du productivisme, aujourd’hui dépassé. En effet, malgré l’élaboration de cinq programmes d’action depuis 1991 et la mise en oeuvre de la directive Nitrates, la pollution des eaux souterraines et de surface s’aggrave dans de nombreuses régions françaises, provoquant même la fermeture de captages d’eau potable devenue impropre à la consommation. Que les mesures mises en place soient contestables, c’est indéniable ; pour parer à leur inefficacité, je vous renvoie, mesdames et messieurs, au rapport et aux préconisations pleines de bon sens du Conseil économique, social et environnemental sur la gestion et l’usage de l’eau en agriculture.
Les conséquences écologiques et sanitaires des taux de nitrates élevés sont aujourd’hui connues. Selon le ministère de l’écologie, les ménages français paient chaque année entre 1 et 1,5 milliard d’euros pour la dépollution de l’eau. Au-delà de notre responsabilité à porter haut les valeurs de respect de nos biens communs que sont la terre, l’air et l’eau, la perspective d’une économie potentielle dans notre budget devrait suffire au Gouvernement pour encourager les pratiques allant dans ce sens.
Si nous connaissons la difficulté et le temps nécessaire pour passer de notre modèle de production fortement consommateur en intrants et en pesticides à un modèle dense en emplois et en connaissances, le Gouvernement ne peut se plier aux demandes des lobbies conservateurs et productivistes à chaque fois qu’un choix doit être fait, et céder à la tentation de relâcher les normes.
Monsieur le ministre, l’agroécologie que nous avons définie dans cette loi ne consacre pas une croissance d’intrants chimiques. Nous avons choisi un autre chemin. Je vous rappelle que nous allons adopter un texte qui dispose que « les politiques publiques visent à promouvoir et à pérenniser les systèmes de production agroécologiques, dont le mode de production biologique, qui combinent performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire ».
La définition de l’agroécologie qui s’en suit est digne d’intérêt et doit être gardée en mémoire pour éviter les discours banalisant ces orientations : « Ces systèmes privilégient l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité, en maintenant ou en augmentant la rentabilité économique, en améliorant la valeur ajoutée des productions et en réduisant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. Ils sont fondés sur les interactions biologiques et l’utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles, en particulier les ressources en eau, la biodiversité, la photosynthèse, les sols et l’air, en maintenant leur capacité de renouvellement du point de vue qualitatif et quantitatif. Ils contribuent à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique. »
Lors de la discussion de ce texte, nous n’avons cessé, d’une part, de promouvoir l’agriculture biologique, système sans pesticides auquel il faut parvenir, et d’autre part, de soutenir une plus forte régionalisation. Des régions pourront enfin, via la gestion des fonds du développement rural de la PAC, mener une politique agricole au plus près des territoires et des citoyens. Les écologistes en sont convaincus, et c’est animés de cet esprit que nous avons proposé de mettre en place des contrats alimentaires territoriaux. Nous espérons que, persuadé de leur rôle fédérateur entre milieux rural et urbain, vous en serez, monsieur le ministre, un grand promoteur auprès des régions. Mais nous avons constaté avec stupéfaction que la plupart des régions présentent un budget pour l’agriculture biologique bien en deçà de ce que le Gouvernement préconisait pour atteindre les objectifs du programme Ambition bio 2017.
Le maintien de l’agriculture biologique est mis en danger par ignorance de notre projet de loi, ambitieux et salutaire pour notre économie, pour l’écologie et pour l’emploi. Alors que nous manquons cruellement de légumes biologiques pour répondre à notre propre consommation, alors que notre balance commerciale agricole n’est réellement positive que grâce à nos exportations de vins et spiritueux – ce dont nous pouvons nous satisfaire –, nous importons nos aliments biologiques quand nous pourrions installer des centaines de nouveaux agriculteurs dans toutes les régions. Les élus et les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités et cesser de gérer les enveloppes sous la pression des bénéficiaires en place. D’ailleurs, la Commission européenne a abondé dans notre sens et pointe la faiblesse de ces enveloppes pour le bio.
Le ministère de l’agriculture se doit d’être le garant de l’orientation des politiques publiques de notre pays. En cette période de doute, il est important de respecter le travail parlementaire et la voix de la représentation nationale : c’est pourquoi nous tenons particulièrement à ce qu’une fois voté, ce texte soit mis en oeuvre dans le respect des orientations et arbitrages qui ont été le fruit du débat. Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour publier rapidement l’ensemble des décrets d’application et poursuivre dans la voie engagée. Ainsi, tout reste à faire et nous veillerons à ce que les décrets d’application et leur mise en oeuvre dans les régions et départements soient cohérents.
Tenons le cap. Je reste convaincue que cette loi est bonne. Elle n’est pas la loi que les écologistes auraient écrite, bien sûr, mais elle donne un nouveau souffle à nos relations avec le vivant et sa culture. Si la ligne que nous avons définie est respectée, cette loi aura des effets qui donneront raison aux écologistes de voter aujourd’hui en sa faveur.