Intervention de Florence Delamoye

Réunion du 4 septembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Florence Delamoye, déléguée générale d'Emmaüs France :

Sachez tout d'abord que nous nous sommes réunis hier afin de mettre en commun nos arguments et de nous accorder sur plusieurs problèmes graves à propos desquels nous souhaitons vous alerter. Par-delà leurs spécificités, en effet, les acteurs du monde associatif savent se concerter, ce qu'ils doivent de plus en plus faire aujourd'hui afin de se montrer le plus efficaces possible. Si un seul élément nous réunit, c'est, au-delà du lien social que nous tissons, cette volonté d'efficacité dans l'élaboration de nos projets sociaux et de nos réponses aux besoins des personnes en difficulté.

Emmaüs France, qui représente le mouvement Emmaüs sur le territoire français, se compose de 283 groupes réunissant 18 000 acteurs : bénévoles, salariés et – c'est notre particularité – compagnons et compagnes d'Emmaüs. Les ressources du mouvement Emmaüs s'élèvent à 469 millions d'euros au total, provenant pour partie de subventions et pour partie de produits de vente, puisque nous avons une activité économique importante ainsi que des activités dites de bailleurs sociaux. Il importe de souligner que nous ne sommes pas faits d'un bloc : au sein de notre mouvement coexistent des activités et des types de structure très hétérogènes. Ainsi, le mouvement Emmaüs est composé à 80 % environ d'associations loi de 1901, auxquelles s'ajoutent des coopératives – des formes de SCOP (sociétés coopératives participatives), des SCIC (sociétés coopératives d'intérêt collectif) –, une fondation – la Fondation Abbé Pierre – et une SA HLM. Ce qui reflète la diversité du monde associatif en général, laquelle est à la fois une richesse et, dans certains cas, une difficulté.

Ce qui nous rassemble, c'est la volonté qui nous anime de répondre aux besoins sur le terrain, dans l'ensemble du territoire. Simplement, nous adaptons nos réponses aux besoins différents que nous avons identifiés. Parmi nos formats d'intervention, on trouve ainsi communautés, comités d'amis, structures d'insertion par l'activité économique (IAE), associations de lutte contre le mal-endettement, actions sociales dans le domaine du logement, dont certaines, particulières, liées au mal-logement, et actions d'urgence. Fruit de notre histoire, et parfois de celle des personnes qui ont créé les structures, cette diversité permet de répondre à des besoins émergents.

Ce qui m'amène à insister sur un point qui vous paraîtra peut-être banal, mais qui est essentiel à nos yeux : laissez-nous l'espace nécessaire à l'innovation sociale et économique dont le monde associatif s'est déjà montré capable et dont il doit pouvoir continuer de faire preuve au cours des années à venir !

Voici plus précisément nos revendications et nos sujets d'alerte.

Non aux carcans administratifs ! Le choc de simplification, annoncé par le Gouvernement, est indispensable car, dans le monde associatif, ces carcans, sans toujours être gage de sécurité pour les pouvoirs publics, entravent considérablement notre capacité d'action sur le terrain.

Non à la normalisation ! Notre diversité est notre richesse : c'est elle qui nous permet de répondre aux différents besoins de personnes en grande difficulté. Il est donc contraire à l'intérêt général de tenter de nous uniformiser sous prétexte de faciliter notre traitement administratif.

Oui, en revanche, à l'exigence de sérieux et aux contrôles, dont aucun d'entre nous ne conteste la légitimité, à l'heure où le monde associatif gagne en professionnalisme et en capacité d'adaptation.

Nous regrettons que nos actions soient si souvent appréciées selon des critères quantitatifs plutôt que qualitatifs. Je songe par exemple au nombre de personnes sorties d'une structure après un parcours de six mois : il ne signifie pas qu'au terme de cette période elles aient réglé tous leurs problèmes sociaux, sanitaires, de logement et d'emploi. Seuls des critères qualitatifs permettent de savoir si, en répondant à leurs besoins fondamentaux, nous leur avons permis de progresser et de franchir une nouvelle étape. Ne pas en tenir compte dans l'évaluation conduit à des résultats aberrants. De ce point de vue, nous sommes plutôt satisfaits de l'amélioration apportée par la réforme de l'insertion par l'activité économique, qui accorde à ces critères une place croissante. Ne perdons pas de vue que des tableaux de chiffres ne sauraient suffire lorsque la situation d'une personne est en jeu. Notre terreau est humain, nous créons du lien social en luttant contre l'isolement d'une population en marge, comme vous l'avez souligné dans votre rapport préparatoire. Comment mesurerait-on l'isolement d'une personne par des critères uniquement quantitatifs ?

La loi sur l'économie sociale et solidaire (ESS) parue cet été nous satisfait quant à sa démarche, mais son contenu nous inquiète. Le danger est grand, en effet, de faire naître un monde associatif à deux vitesses : d'un côté, l'ESS de conviction, que nous représentons, fondée sur un véritable projet social et vouée à aider les personnes en grande difficulté ; de l'autre, de nouveaux entrants incarnant une ESS de l'opportunité, c'est-à-dire de grands groupes pouvant bénéficier des financements qui nous sont en principe destinés. Nous vous demandons d'être particulièrement attentifs à ce risque de dévoiement. Ne banalisons pas ce secteur, qui n'est pas une solution comme une autre mais fournit le terreau de véritables alternatives et de nouvelles réponses aux besoins. Nous ne cherchons pas à être protégés, mais à faire reconnaître notre spécificité et les solutions qu'elle nous a permis de proposer, afin de préserver celles-ci.

Voilà pourquoi nous attendons de l'État un plan ambitieux de développement des achats publics pour l'ESS, des clauses sociales d'insertion renforcées et un programme également ambitieux de soutien aux achats solidaires ou responsables du secteur privé. Il faut nous reconnaître une place privilégiée en la matière puisque nous répondons à des besoins que le privé « classique » ne peut satisfaire.

Enfin, il est important que nos financements soient sécurisés par le biais des subventions et de leur pluriannualité. On s'oriente aujourd'hui vers une logique d'appels à projets ; outre que ceux-ci devraient de toute façon être précédés d'une large concertation et assortis de critères qualitatifs afin d'éviter une politique du « moins-disant », nous leur préférerions des « appels à idées ». Laissez le monde associatif proposer des solutions pour répondre aux besoins immédiats, en favorisant l'innovation, moyennant une obligation non de résultats – inenvisageable lorsque l'humain est en jeu –, mais d'analyse et d'étude.

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