J'irai à l'essentiel, en reprenant les différents objectifs énumérés dans l'intitulé de la commission d'enquête.
Pour que le Secours populaire français – et nos collègues et amis ici présents – puisse « assurer ses missions », la représentation nationale doit exercer une vigilance de tous les instants afin que nous soyons respectés ès qualité, c'est-à-dire en tant qu'association indépendante, dont l'objet social est clair, qui exerce ses activités par le bénévolat, en toute indépendance et en en recherchant les moyens matériels et financiers auprès de toutes les bonnes volontés, qu'elles soient personnes physiques ou personnes morales.
À cet égard, lorsque nous recourons à la générosité publique, nous avons à en rendre compte, de même que de l'ensemble des entrées et sorties, d'abord devant nos membres, lors de nos assemblées générales et congrès, ensuite devant la puissance publique et tous ceux qui s'y intéressent au travers de la publication de nos comptes au Journal officiel. Que nous soyons respectés ès qualités implique que le temps et les moyens que nous consacrons à cette tâche soient budgétés dans les actions elles-mêmes, afin de ne pas peser en frais généraux sur l'activité générale de nos bénévoles et de nos salariés.
Être respectés ès qualités, cela signifie encore ne pas devoir justifier partout et sans cesse que les personnes que nous soutenons et qui viennent nous rencontrer, ou à la rencontre desquelles nous allons, sont « vraiment » dans la détresse, « vraiment » dans la difficulté, « vraiment » menacées d'expulsion, « vraiment » incapables de payer leur chauffage, la cantine de leurs enfants, l'eau, les assurances, « vraiment » en carence alimentaire, ou à la limite, « vraiment » dans l'impossibilité de consulter médecins, dentistes, ophtalmologistes – la liste n'est pas exhaustive et n'aborde pas l'accès aux loisirs, aux vacances et aux sports, pourtant garanti par la loi-cadre de 1998.
Le temps que les bénévoles et les salariés de nos structures, dans l'ensemble du territoire, passent à répondre en permanence à ce type de demandes, de questions, de formulaires, de statistiques pourrait être utilement consacré aux plus de 2 millions de personnes que nous avons soutenues en 2013 et qui s'annoncent plus nombreuses encore en 2014.
Et ne nous dites surtout pas que la simplification administrative ou la dématérialisation des données vont résoudre ces problèmes. Nous savons que toute apparente simplification, toute dématérialisation des données et absence de papier se traduisent pour les associations par l'explosion des coûts informatiques et, pour les personnes aidées, par de plus grandes difficultés à exercer un recours lorsqu'elles possèdent des droits qui n'ont pu être appelés. Les identifiants, les mots de passe, comment pensez-vous que puissent y accéder des personnes qui n'osent même plus aller chercher leurs recommandés à la poste, si du moins elles ont reçu l'avis dans leur boîte aux lettres, à supposer qu'elles en aient encore une ?
Pour ce qui est de proposer des réponses concrètes et d'avenir, la puissance publique sous toutes ses formes – locale, nationale, européenne – devrait contribuer financièrement aux coûts techniques induits par l'activité associative – locaux d'accueil, moyens de transport, équipements technologiques – à la mesure de ce que lui coûterait l'absence de notre activité sur tout le territoire. Notre comptabilité analytique, consultable – et consultée, notamment par les conseillers de la Cour des comptes – en fait foi.
Autrement dit, nous ne demandons pas des moyens supplémentaires en soi : pour pouvoir exercer nos missions, nous demandons que la puissance publique finance ce qui est de son ressort. Nous l'invitons à ne pas faire des déductions fiscales dont bénéficient les
donateurs une variable d'ajustement qui se substituerait à ce qu'elle doit elle-même financer. Nous connaissons la valeur du temps de travail des bénévoles, et nous ne le vendons pas selon une forme de marchandisation au rabais qui ferait de nous le sous-traitant masqué d'une puissance publique qui n'en peut mais. La considération de l'intérêt général, dont la puissance publique est le garant, suppose que celle-ci en mesure le prix sans se défausser. Cette mesure n'est pas seulement financière, et, surtout, ne saurait se limiter au court terme : elle doit inclure les conséquences de la désespérance et leur coût social, de la protection de l'enfance aux suicides d'adolescents, de l'incompréhension du chômage, qui touche des catégories toujours plus importantes de personnes de tous âges et de toutes compétences, à l'économie souterraine.
Le Secours populaire est une union d'associations implantées dans tout le territoire, avec près de 3 000 adresses physiques identifiables dans nos régions, départements, communes de toutes tailles. Nous sommes d'autant plus sensibles à l'idée de « rayonne[ment] dans la vie locale et citoyenne » et de « confort[ation] du tissu social » que notre organisation décentralisée, forte de plus de 80 000 animateurs collecteurs, donne à chacune et à chacun sur le territoire la capacité d'agir, seul ou à plusieurs, pour empêcher la progression de la pauvreté, de la misère et de l'exclusion en recherchant par la collecte populaire les moyens matériels d'aider à faire face.
De même, nous savons – mais sans doute ne le faisons-nous pas assez savoir – que l'activité même du Secours populaire sert l'économie locale, au travers de nos achats de produits et services, comme de ceux des populations que nous soutenons, lesquelles sont pauvres, voire très pauvres, mais pas strictement démunies de toute ressource. Nous certifions que ce type d'activité n'est pas délocalisable. En outre, le soutien alimentaire à plus de 2 millions de personnes dans notre pays est indissociable de l'activité du secteur agro-alimentaire et de celui du transport, qui assure les livraisons. Ce soutien permet aussi aux familles de payer leur loyer, ce qui contribue à l'équilibre des budgets des bailleurs sociaux territoriaux. Nous sommes là au coeur du tissu social.
Certes, tout cela est difficile à quantifier, d'autant qu'il convient d'y ajouter l'investissement sur l'avenir, grâce auquel les personnes touchées par la précarité peuvent retrouver leur dignité et sortir durablement de la situation dans laquelle elles se trouvent à un instant de leur vie. On sait qu'en permettant aux personnes en difficulté de rechercher de l'argent et de s'investir pour tel ou tel objectif qu'elles font leur, en France, en Europe et dans le monde, on leur rend confiance en elles et le goût d'agir et de peser sur les conséquences des drames. Ce travail invisible, aujourd'hui non mesuré, concourt à long terme à leur dignité, et le tissu social en est enrichi.
Enfin, par le mouvement Copain du monde que nous développons en France, en Europe et dans le monde, nous contribuons directement à ce que les enfants d'aujourd'hui deviennent les citoyens de demain. En même temps, nous rendons l'espoir à leurs parents, à leurs frères et soeurs, nous combattons tous les obscurantismes d'où qu'ils viennent et nous exerçons notre mission d'éducation populaire. Nous permettons aux enfants de France de rencontrer des enfants d'autres pays du monde et de découvrir ainsi que les conditions de vie sont partout différentes mais qu'il est possible d'agir pour les améliorer. Nous souhaitons que la puissance publique fasse de même, sans plus envisager de chercher à diminuer les déductions fiscales des donateurs qui ont choisi par leurs dons de favoriser l'avenir, dans notre pays comme sur tous les continents.