Intervention de Patrick Doutreligne

Réunion du 4 septembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre :

Monsieur le président, merci de nous avoir conviés à cette table ronde bien que, comme vous l'avez dit, la Fondation Abbé Pierre s'y distingue par son statut. En politique – tel sera, en effet, le registre de mon intervention –, les vérités sont éphémères, de sorte que, si j'ai juré de dire la vérité, il ne peut s'agir que de la vérité d'aujourd'hui.

La mission de la Fondation Abbé Pierre est triple. D'abord, nous interpellons les pouvoirs publics et la population à propos des problèmes de logement en France, par notre rapport annuel sur l'état du mal-logement en France, nos communiqués de presse, nos auditions régulières à l'Assemblée nationale et au Sénat sur des projets ou des propositions de loi. Ensuite, nous aidons les associations locales, confrontées aujourd'hui à de grandes difficultés, à monter des projets pour lutter contre le sans-abrisme, le mal-logement ou l'isolement qui résulte d'un habitat dégradé ou absent. L'année dernière, nous avons ainsi appuyé plus de 676 projets. Enfin, nous développons l'innovation, spécificité du secteur associatif aujourd'hui menacée, comme vient de le souligner mon collègue.

Revenons sur quelques éléments de contexte. Le désengagement des pouvoirs publics – qui s'explique notamment, mais pas uniquement, par des raisons économiques connues de tous – est extrêmement problématique pour les associations, qui ne peuvent s'appuyer que sur les financements publics et sur la générosité de nos concitoyens. Ce recul de l'intervention publique survient alors même que la demande augmente avec la paupérisation et la fragilisation des ménages, depuis 2008 surtout, comme vous le confirmera le président des Restos du coeur. Cet effet de ciseau est très préoccupant. Comment pouvons-nous répondre à ces besoins croissants alors que le soutien financier des donateurs se maintient dans la plupart des cas mais n'augmente pas à due proportion, et que celui des pouvoirs publics diminue nettement ?

Deuxième constat : la dérive de la logique des appels d'offres. On a confondu la nécessaire professionnalisation du monde associatif, dans laquelle nous nous sommes d'ailleurs engagés, et la reprise des règles du marché libéral. Celle-ci est une erreur, car l'action associative en général n'est pas née de l'initiative des pouvoirs publics en vue de résoudre un problème : ce sont les associations qui, confrontées à ce problème sur le terrain, ont expérimenté des solutions qu'elles ont ensuite pu proposer aux pouvoirs publics. En l'oubliant, on renonce à l'esprit de création, d'innovation et à la capacité d'adaptation des réponses aux besoins rencontrés. Car, lors d'un appel d'offres, c'est au contraire l'administration qui, pour résoudre un problème, définit un cahier des charges et instaure une mise en concurrence. Or, sans être opposées à la concurrence, les associations sont aujourd'hui en quête de cohérence afin d'élaborer des solutions communes, ainsi qu'en témoigne le nombre de collectifs associatifs qui se créent, à rebours de l'époque, il y a trente ou quarante ans, où chacune se cantonnait à son public cible.

Le troisième phénomène à prendre en considération est la massification de la pauvreté, dont vous êtes tous conscients, mais aussi de la fragilisation, que la population ne mesure pas suffisamment. Actuellement, huit emplois sur dix proposés sur le marché sont atypiques – contrat à durée déterminée, emploi à temps partiel, intérim, stages, emploi en alternance –, mais le monde du logement ne s'est pas adapté à cette situation, les bailleurs continuant d'exiger trois fiches de paie, des ressources au moins équivalentes à trois fois le montant du loyer et des contrats à durée indéterminée. Bref, des pans entiers de notre économie sont en décalage par rapport à l'évolution économique et sociologique du pays.

J'insisterai particulièrement sur quelques-unes des propositions déjà formulées. D'abord, la fiscalité des dons. Ce n'est pas la première fois que Bercy essaie de nous faire croire que le don fait partie des niches fiscales, qu'il souhaite limiter comme les précédents gouvernements. C'est absurde ! Comment peut-on mettre un investissement immobilier sur le même plan que le don à des associations qui se consacrent à la solidarité en matière alimentaire, vestimentaire, immobilière ou sociale ?

S'agissant de la foncière, dans un pays où il manque 500 000 à 900 000 logements mais dont le Gouvernement ne vise en la matière que les classes moyennes et les classes moyennes supérieures – abstraction faite du logement social qui ne suffit pas –, il est nécessaire d'aider nos organisations à chercher des solutions pour les personnes très défavorisées, modestes, ou les personnes âgées qui ont très peu de ressources. Dans ce domaine, la Fondation Abbé Pierre a le même projet que le Secours catholique, un peu plus avancé – mais, là encore, nous sommes complémentaires et non pas concurrents mais complémentaires.

Enfin, c'est un peu bêtement que l'on a abandonné purement et simplement le service militaire, que je ne regrette pas en tant que tel, mais dont les vertus de brassage social étaient indéniables. Il aurait pu être très avantageusement remplacé par un service civil destiné à une bonne partie de la population. Pour les jeunes, être confrontés au sein de nos associations à un public qui n'a pas eu la chance de jouir d'un milieu social protecteur constituerait un moyen extraordinaire de comprendre ce qu'est la vraie vie, l'esprit de solidarité et de mesurer ce qu'ils peuvent apporter à la société au-delà de leur réussite individuelle, que l'éducation nationale et le monde de l'entreprise se chargent bien assez de promouvoir.

Nous ne sommes ni des quémandeurs ni des pleureurs. La population nous sollicite, les pouvoirs publics nous adoubent en nous félicitant de ce que nous faisons, mais ce genre de compliments ne nous intéresse guère. Ce que nous voulons, c'est qu'ils préservent nos statuts ainsi que notre capacité d'innovation et de soutien aux plus fragiles de nos concitoyens, dans un contexte socio-économique extrêmement difficile qui ne va pas s'améliorer dans l'immédiat. Je l'ai appris sur les bancs de l'école, c'est l'honneur de la République que de s'occuper des plus faibles. Dans cette mission, les pouvoirs publics ne peuvent se défausser sur le secteur associatif ; ils peuvent s'appuyer sur nous, nous aider, mais ils ne sauraient se désengager.

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