Intervention de Olivier Berthe

Réunion du 4 septembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Olivier Berthe, président des Restos du coeur :

Beaucoup de choses ont été dites ; j'apporterai quelques compléments.

Les Restos du coeur sont bien connus : nous avons accueilli plus d'un million de personnes l'an dernier et servi plus de 130 millions de repas grâce à nos 67 500 bénévoles. Mais nos actions vont bien au-delà de la seule aide alimentaire : nos 110 points d'accueil, nos maraudes, nous permettent par exemple d'établir 40 000 contacts hebdomadaires avec les gens qui vivent dans la rue. Nous employons 1 700 personnes en contrats aidés, et nous logeons 1 800 personnes. Nous sommes la deuxième association pour l'aide au départ en vacances ; nous réalisons de l'accompagnement scolaire, nous facilitons l'accès à la justice…

Comme l'a souligné le rapport de Mme Marie-George Buffet, ces actions associatives renforcent le tissu social. J'insisterai moi aussi sur le fait qu'il faut s'intéresser à la qualité plutôt qu'à la quantité : les associations, ce sont des millions de contacts humains dans l'année, désintéressés, hors de toute hiérarchie sociale. Nous parlons à des populations que personne d'autre ne connaît, a fortiori n'aide.

Mais des menaces pèsent sur notre secteur. L'effet ciseaux que nous subissons a déjà été mentionné. Les besoins augmentent : les Restos du coeur aidaient 800 000 personnes il y a cinq ans, nous en sommes à un million aujourd'hui. Notre budget alimentaire est passé de 96 à 121 millions d'euros, notre budget non alimentaire de 28 à 40 millions. Dans le même temps, les aides publiques n'ont cru que de 100 000 euros, c'est-à-dire qu'elles ont en proportion diminué de 7 %. Or l'afflux vers nos associations ne va pas s'arrêter demain. Le chômage augmente, et nous savons que c'est souvent dix-huit à vingt-quatre mois après avoir perdu leur emploi que les gens se tournent vers nous : mécaniquement, nous devrons donc accueillir plus de personnes pendant au moins deux ans ; la reprise, si jamais elle survient, ne touchera pas d'abord ces populations fragilisées.

Pendant le même temps, nos moyens diminuent : les aides publiques se stabilisent ou même baissent, je l'ai dit ; il est aussi de plus en plus difficile d'obtenir la mise à disposition gratuite de locaux ou des aides au transport. Quant aux dons, ils sont stables – au mieux, car la crise touche aussi les donateurs.

Le bénévolat augmente, mais le bénévolat de compétences diminue : le travail des associations devient de plus en plus complexe, et certains jettent l'éponge. Les bénévoles cherchent le contact humain, beaucoup ne souhaitent pas exercer de responsabilités administratives.

Cette question de la complexité croissante touche toutes nos actions. Au niveau européen, un nouveau fonds d'aide aux plus démunis a certes été créé ; mais son règlement est très complexe, et même si difficile à mettre au point que rien n'est encore arrivé dans nos entrepôts ! Dans tous les domaines, la législation est de plus en plus compliquée : c'est le cas des règlements sanitaires, de la réforme en cours de l'IAE… La loi sur l'accessibilité des bâtiments nous obligera à réaliser d'importants travaux, mais nos budgets n'y suffiront pas.

Enfin, nous sommes menacés par le manque de confiance. Les lois ne cessent de changer, et on ne cesse de nous demander de rendre plus de comptes : nous estimons normal de rendre des comptes, mais a posteriori ! Les discours que l'on entend parfois sur l'assistanat, sur les contrôles renforcés, tout comme les effets d'annonces de certains responsables risquent de faire perdre confiance dans les associations. Si les donateurs privés, si les collectivités territoriales perdent confiance dans notre action, la diminution des dons et des aides s'accélérera.

Voici donc quelques suggestions. Tout d'abord, l'aide alimentaire ne doit pas être comprise comme une simple aide d'urgence, mais comme une action qui contribue pleinement à l'inclusion sociale. Nous regrettons que la question de l'aide alimentaire n'ait pas été intégrée au plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale : il faudrait l'y réintroduire. Il faudrait également consolider les ressources existantes, et notamment maintenir les aides logistiques des collectivités territoriales ; il nous semblerait souhaitable que les aides publiques soient proportionnelles aux besoins. Imagine-t-on de réduire la masse salariale en fonction de l'évolution du budget d'une collectivité ? Il serait également judicieux de diversifier les ressources, par exemple en luttant contre le gaspillage et en développant les dons en nature. Je souligne d'ailleurs que nous négocions depuis dix-huit mois des moyens de faciliter les dons agricoles, mais que, malgré notre travail et un début de mise en oeuvre de dons de produits laitiers, nous n'avons pas encore abouti. Il est grand temps que les choses s'accélèrent.

Il faudrait entretenir la confiance et réduire la complexité administrative. Enfin, cela a été dit, il faut continuer à encourager l'expérimentation. C'est bien de la diversité et de l'innovation que le monde associatif tire sa force ; c'est ce qui permet à l'action des associations d'être complémentaire de celles des pouvoirs publics, même si la première a aujourd'hui tendance à se substituer à la seconde… Si nous perdons la capacité d'expérimenter, alors nous risquons à très court terme de voir des associations réduire leur activité, voire disparaître. Des populations entières n'auront alors plus d'interlocuteurs, et des territoires entiers seront désertés ; nous risquerons aussi une chute vertigineuse du bénévolat, car les bonnes volontés se décourageront, et une chute des dons. C'est une spirale très dangereuse, car on risque alors de voir apparaître d'autres acteurs, et d'autres activités, officielles ou non.

J'ai juré de dire toute la vérité, la voici : le tissu social, aujourd'hui, est abîmé. Un tissu élimé dans les coins, on n'y prête pas attention ; puis il se déchire pour de bon, et finit par tomber en lambeaux à la moindre bourrasque. On nous dit alarmistes, on nous dit que nous avons toujours trouvé des solutions. Mais aujourd'hui, je n'exclus plus que, dans les mois qui viennent, nous en arrivions à des situations vraiment graves.

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