Mon témoignage portera, au-delà des Jeunesses musicales de France (JMF), sur l'éducation populaire en général et le spectacle vivant en particulier.
Depuis soixante-dix ans, les Jeunesses musicales de France organisent des concerts sur l'ensemble du territoire national, principalement sur le temps scolaire. Diffuseur discret, ce réseau propose chaque année 2 000 concerts à près d'un demi-million d'enfants, mais aussi des activités d'ateliers qui rencontrent un franc succès. Je précise que, de la maternelle à l'entrée à université, la majorité de ces 500 000 jeunes n'avaient jamais mis les pieds dans un spectacle musical avant de croiser les JMF.
Paradoxalement, la musique est, dans le champ culturel, l'un des plus gros secteurs socio-économiques, mais aussi l'un des plus cloisonnés, des plus marqués par les images toutes faites sur le conservatoire, l'opéra, le théâtre, l'accès à la musique, le spectacle vivant. La demande d'appui à la coordination, à l'ingénierie de projet est de plus en plus forte, en particulier de la part de petites communes en milieu rural qui ont du mal à faire travailler ensemble leur école de musique, leur école primaire, leur centre de loisirs et leur festival. De ce point de vue, le travail d'une association comme la nôtre consiste à mettre en musique l'ensemble de ces acteurs et à faire en sorte que ceux qui ont accès à la musique ne soient pas toujours les mêmes. J'insiste sur l'importance de la démocratisation musicale, au-delà du plaisir que procure l'art. Dans certains quartiers défavorisés, comme à Cergy-Pontoise, lors de la création des premiers orchestres dans les écoles, 80 % des enfants choisis pour les constituer n'atteignaient jamais la seconde ; aujourd'hui, ils sont 80 % à passer en terminale !
Ce phénomène de cloisonnement, que je viens d'évoquer, fait qu'une grande partie du public, particulièrement en milieu rural, reste exclue du champ musical, secteur au demeurant très bien doté. C'est ce qui explique la pérennité des JMF, dont l'organisation originale contribue à l'enracinement dans les territoires, grâce à une direction nationale non seulement administrative, mais aussi artistique, de management et de formation de nos 350 équipes locales, dont 250 équipes de cadres bénévoles et de « petites mains » qui, tous, ont un rôle extrêmement important.
Je ne reviendrai pas sur tous les thèmes que vous avez évoqués – mutations actuelles, besoins de formation des bénévoles, valorisation du travail et des acquis de ceux-ci, professionnalisation, complexité des procédures administratives – auxquels notre fonctionnement à la fois national et local nous confronte régulièrement. Je dirai simplement, s'agissant de la complexité croissante des procédures, qu'un minimum de coordination dans les dossiers de demandes entre les différents échelons de collectivités territoriales représenterait un gain de temps et d'énergie considérable, même si, indéniablement, l'approche différenciée de ces collectivités peut engendrer des complémentarités. J'attirerai plutôt votre attention sur deux sujets.
Le premier a trait aux emplois d'avenir. Nous avons besoin d'emplois qualifiés, voire très qualifiés. Or c'est un point sur lequel butent toutes nos procédures d'aide à l'emploi : nous avons l'impression que nos demandes sont déplacées, alors que la mutation historique à laquelle nous sommes confrontés – modification du modèle économique et des formes de bénévolat, glissement d'une partie de l'appui étatique vers les collectivités territoriales – nous oblige à reconstruire une stratégie territoriale beaucoup plus complexe qu'auparavant. Nos bénévoles n'ont pas été formés à cela, même s'ils le font parfois spontanément. La complexité est telle que le besoin se fait vraiment sentir d'instaurer une articulation entre des professionnels confirmés et les équipes bénévoles, elles-mêmes en pleine évolution, avec d'autres formes de mobilisation, plus collectives et sur de moins longues durées. Si certains de nos bénévoles sont engagés depuis cinquante ans, avec une énergie incroyable, on ne peut pas demander à de nouveaux bénévoles, comme les étudiants, de s'investir jour et nuit pendant des dizaines d'années, même s'il y a de vraies attentes, de vraies possibilités et de réelles volontés d'engagement.
Ce qu'il faut, c'est reconstruire le système de gouvernance interne de l'association et repenser les stratégies territoriales en retenant comme dénominateur commun l'aménagement du territoire et les publics. Ce seul aspect sera suffisant pour nouer des relations passionnantes avec les collectivités territoriales et les acteurs culturels locaux. Or nous calons vraiment sur l'encadrement professionnel minimum, qui est assuré actuellement avec des bouts de ficelle. Les jeunes que nous accueillons au titre du service civique – que nous distinguons bien de l'emploi – sont souvent passionnés et qualifiés, mais les huit à neuf mois de leur engagement ne nous permettent pas de les amener vers une professionnalisation, alors que nous pourrions le faire en deux ou trois ans seulement.
En lien avec ce premier sujet, le second concerne la mutation qui est en cours et qui devrait s'achever dans trois ans. Autant dire que nous sommes en état d'urgence. Nous ne faisons que lutter contre l'érosion financière, notamment des subventions, alors qu'il nous faudrait investir humainement et techniquement, et pas forcément avec des sommes colossales. Or, en étant ainsi occupés uniquement à reconstruire le château de sable qui s'effondre après chaque vague, nous ne pouvons que nous engager dans une course-poursuite très préjudiciable à la satisfaction de la demande, qui est vraiment très forte.
Nous ne revendiquons pas des subventions pérennes, un droit définitif, un dû affectif au regard de l'utilité de la grande association que nous sommes. Nous sommes capables aujourd'hui de parler évaluation, objectifs à trois ou quatre ans, nouvelle gouvernance. Nous devons gérer la transition sans savoir comment. Pour une activité cumulée pesant environ 6 millions d'euros, notre association aura besoin d'investir sur les quatre prochaines années entre 300 000 et 400 000 euros afin de reconstruire son encadrement, remobiliser ses bénévoles, repenser ses structures, rendre le travail plus collectif et revoir ses stratégies territoriales. Les sommes en jeu ne sont pas colossales ; ce qui nous manque avant tout, ce sont les outils adaptés pour parvenir à cet objectif.
Je terminerai en vous racontant une anecdote. On nous reproche parfois de n'adresser nos activités qu'aux enfants, comme si l'économie du secteur jeune public était un sous-produit. Or nos jeunes sont pleins de ressources. J'ai ainsi été récemment interrogé, à la sortie d'un concert, par un garçon de neuf ans qui voulait connaître le modèle économique des JMF. J'ai rajusté ma cravate et je le lui ai expliqué. Il faut dire que cet enfant était fils de journaliste, comme me l'a soufflé son instituteur !