Je m'exprime au nom d'un acteur émergent de la scène culturelle française : les plus anciennes écoles de cirque sont nées il y a à peine trente ans et les plus jeunes n'ont que quelques mois. Notre pays compte environ 500 structures, qui vont de l'atelier de trente élèves à l'école de 800 élèves permanents. Notre petit réseau est assez professionnalisé puisque les techniques et l'art du cirque s'enseignent, que ce soit aux enfants ou aux adultes, ce qui nécessite des personnels qualifiés. Selon nos estimations, les écoles de cirque adhérentes à la fédération emploient environ 600 équivalents temps plein.
Notre secteur est peu soutenu, le cirque n'étant pas une discipline académique – aristocratique, ai-je envie de dire –, en tout cas elle n'a pas assez d'ancienneté. Aussi, les associations fonctionnent-elles essentiellement grâce aux adhésions, au paiement des cours annuels, ainsi qu'aux prestations effectuées à l'extérieur.
La discipline du cirque exige des investissements très importants en matériel et en locaux d'accueil pour les élèves : un chapiteau, une école, un lieu en dur équipé dans les meilleures conditions de sécurité. Pour répondre à ces exigences, les acteurs qui se lancent dans ce genre d'activité doivent faire preuve d'un vrai professionnalisme, posséder de multiples savoir-faire et maîtriser l'art de la jonglerie – c'est le cas de le dire.
Nous nous revendiquons de l'éducation populaire : nous ne sommes pas seulement un réseau d'écoles d'art, le cirque est également un outil d'éducation. En ce sens, nous nous battons pour l'accès du plus large public possible aux disciplines circassiennes.
Depuis peu, notre réseau est en voie de fragilisation. Celui-ci a connu, de 1990 à 2010, une phase de montée en puissance marquée par l'installation des associations, l'émergence d'un modèle économique solide, la multiplication des lieux, la diffusion d'une vraie énergie sur l'ensemble du territoire. Alors qu'ils croyaient être solides, tous ces acteurs se sont retrouvés fragilisés par la crise qui sévit en France et en Europe depuis deux ans et qui s'est traduite par une stagnation, voire une baisse des inscrits aux ateliers et dans les écoles de cirque. Les familles sont amenées à faire des choix économiques pas toujours à notre avantage, car le cirque est une discipline qui peut coûter cher, notamment dans les écoles recevant peu de subventions et obligées de faire payer l'intégralité de leurs charges aux pratiquants. Dans ce contexte, l'ambition de l'art accessible à tous en prend un coup !
Notre réalité depuis un an, c'est aussi la réduction très nette des possibilités de prestation dans les établissements scolaires. Cette situation est pour le moins contradictoire avec la circulaire du 9 mai 2013 sur la mise en oeuvre des « parcours d'éducation artistique et culturelle », qui préconise la mise en place d'un schéma ambitieux de découverte de l'art à l'école tout au long du parcours scolaire, et qui définit les conditions de partenariat avec les acteurs culturels que sont les écoles de musique, de cirque, de danse, et les acteurs de l'éducation populaire en général.
La réforme des rythmes scolaires entraîne une diminution globale des temps possibles d'intervention en milieu scolaire, en particulier l'après-midi, et une baisse très importante des budgets des ministères de l'éducation nationale et de la culture affectés aux actions culturelles en milieu scolaire – je pense aux classes à projet artistique et culturel (PAC), qui sont en train de disparaître. En même temps, elle est à l'origine de la création de nouvelles activités périscolaires (NAP), pour lesquelles nous sommes extrêmement sollicités par les communes, au même titre que les écoles de musique et bien d'autres acteurs. Toutefois, ces sollicitations sont assorties de conditions qui nous permettent difficilement de répondre favorablement : temps d'intervention très courts, déplacements extrêmement longs, notamment en milieu rural, et financements insuffisants pour ne pas intervenir à perte.
En conséquence, des dizaines d'associations de notre réseau se retrouvent aujourd'hui avec des capacités financières amoindries. Au mieux, elles puisent dans leurs fonds propres ; au pire, elles doivent faire face à des difficultés de trésorerie très importantes et une visibilité ne dépassant pas deux ans. Les écoles ne peuvent que s'en trouver pénalisées : elles ont de plus en plus de mal à investir dans le matériel et les locaux, sans compter qu'il est difficile pour les collectivités elles-mêmes de soutenir ce genre d'investissement.
À cela s'ajoute une précarisation extrêmement forte du salariat, observée depuis ces deux dernières années. Les offres d'emplois du site de la Fédération française des écoles de cirque portent uniquement sur des postes à temps partiel, de 24 heures par semaine au mieux. Dans ces conditions, on imagine aisément que le niveau de salaire d'un animateur dans une école de cirque ne lui permet guère d'en vivre. Cette précarisation est doublée d'un amoindrissement des capacités des écoles de cirque à financer la formation des animateurs. Alors que ces écoles sont en quelque sorte des écoles de la deuxième chance et que la fédération a beaucoup poussé pour que tous les animateurs passent le brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS), diplôme de niveau bac, elles n'ont plus aujourd'hui les moyens de financer le remplacement des animateurs qui partent se former dans ce cadre.
En conclusion, je crois pouvoir dire que les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont devenus structurels, et que les acteurs ne sont pas en mesure de les appréhender dans leur globalité. Aujourd'hui, alors qu'ils sont des milliers à être fortement sollicités suite à la réforme des temps scolaires, ils sont exposés à une précarité grandissante sans que jamais leur situation soit dénoncée, ni à la radio ni sur les bancs de l'Assemblée nationale, pas plus qu'au ministère de la culture. Tous ces animateurs, ces personnels, toutes ces associations risquent pourtant d'être dans l'incapacité de réaliser les prestations artistiques et culturelles de qualité qui seront susceptibles de leur être demandées.