Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 9 septembre 2014 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Monsieur le président, monsieur le président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureuse de vous présenter le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, qui a été transmis à votre assemblée le 30 juillet dernier.

La présente audition marque le début de l'examen et de la discussion parlementaires, par votre Commission spéciale puis en séance publique, d'un texte très attendu et qui ouvre un nouveau chapitre de l'histoire énergétique de notre pays, tout en apportant – et c'est mon souci principal – des réponses concrètes en matière de création d'emplois sur les territoires dont vous êtes les élus et que vous pouvez engager avec détermination dans la croissance verte.

J'attends beaucoup de vos travaux et de nos débats pour éclairer les enjeux et enrichir le texte qui vous est soumis mais aussi pour que le pays tout entier soit encouragé à se mettre en mouvement et réussisse cette mutation énergétique qui n'est pas une contrainte mais une chance à saisir.

C'est une chance de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de contribuer activement à la lutte contre le dérèglement climatique. C'est une chance de mieux assurer notre indépendance et notre souveraineté énergétiques en préparant l'après pétrole et en réduisant le coût d'importations qui grèvent lourdement notre balance commerciale. C'est une chance de stimuler l'innovation pour laquelle nous ne manquons pas de talents, d'améliorer la compétitivité de nos entreprises et de développer des filières d'avenir taillées pour la compétition internationale et capables d'y conquérir de nouveaux marchés. C'est une chance de créer des emplois non délocalisables, d'alléger la facture énergétique des ménages qui y gagneront du pouvoir d'achat, et de mieux protéger la santé publique.

Je vous le dis comme je le pense : la croissance verte dans laquelle ce projet de loi vise à engager la France est le levier de sortie de crise le plus efficace et le plus rapide si toutes les forces vives du pays – citoyens, entreprises, territoires – se mobilisent ensemble, notamment pour déclencher rapidement des commandes dans les métiers des travaux publics et du bâtiment.

À plusieurs reprises depuis un siècle, les grands choix énergétiques de la France ont été les moteurs de sa modernisation qu'ont scandés quelques grandes lois fondatrices. Ce fut le cas en 1919 pour réparer les ravages de la première guerre mondiale, avec la loi sur l'énergie hydraulique, cette houille blanche comme on disait alors, qui reste aujourd'hui encore la première de nos énergies renouvelables.

Ce fut le cas à la Libération quand le pays était à reconstruire au sortir de la deuxième guerre mondiale : le Conseil national de la Résistance avait fait de l'énergie la clef d'un nouveau développement économique et du rétablissement de notre souveraineté nationale. Les lois de 1946 en prirent les moyens, dans le contexte de l'époque, en créant de puissantes entreprises nationales pour le charbon, le gaz et l'électricité.

Plus tard, quand le premier choc pétrolier révéla la vulnérabilité découlant de notre dépendance aux énergies fossiles, la France lança un programme nucléaire d'une rapidité et d'une ampleur inégalées dans le monde mais sans que, cette fois-là, le Parlement ne soit appelé à se prononcer.

Si différentes que soient les circonstances du temps présent, les opportunités qu'elles offrent et les choix qu'elles appellent, une chose est sûre : le volontarisme énergétique est nécessaire pour que la France redéfinisse, avec vous qui représentez la souveraineté nationale, son nouveau modèle énergétique.

Durant les dernières décennies, le Parlement a souvent légiféré sur les questions d'énergie – votre président a d'ailleurs été à l'origine de nombreux textes – et il a de plus en plus intégré, au-delà de ces constantes que sont la sécurisation de nos approvisionnements et la couverture de nos besoins, la dimension environnementale qui en est désormais indissociable en même temps qu'elle représente un formidable gisement d'activités nouvelles et d'emplois durables.

Permettez-moi, avant de vous présenter les grands axes de ce texte, de saluer le travail de tous mes prédécesseurs, quelle que soit leur sensibilité politique, car je crois qu'il s'agit d'un travail au long cours.

Je tiens à souligner que le projet dont vous êtes saisis s'est très directement inspiré de nombreuses expériences réussies dont les territoires ont pris l'initiative et que la loi va permettre, par les simplifications et les moyens opérationnels qu'elle met en place, d'étendre à tout le pays. Vous qui êtes des élus de terrain, vous savez que les territoires sont souvent en avance sur les modèles nationaux. Je me suis inspirée de ces réalisations d'avant-garde en les intégrant dans le projet de loi afin de permettre leur généralisation.

Ce texte est aussi l'aboutissement d'un dialogue renforcé avec tous les acteurs de la mutation énergétique et de la croissance verte : les associations, les entreprises, les scientifiques, les élus locaux et régionaux, les organismes consultatifs et, bien évidemment, les parlementaires qui ont déjà effectué de nombreux travaux.

Je suis très attachée à l'établissement de diagnostics partagés et à une démarche de co-construction de la loi qui permet de confronter et de rapprocher les points de vue, qui privilégie, sans gommer les différences d'approche et dans le respect de chacun, ce qui permet de fédérer, de coopérer, de se mettre ensemble en mouvement au service de nos concitoyens.

Le projet de loi a également intégré des recommandations du Conseil national de la transition écologique concernant, par exemple, la part des véhicules propres dans le parc automobile de l'État et de ses établissements publics, et a fixé un objectif intermédiaire d'efficacité énergétique en 2030. Puis, après mon audition par le Conseil économique, social et environnemental, j'ai ajouté l'objectif de division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre en 2050, le fameux « facteur 4 » recommandé par Jean Jouzel, et j'ai renforcé la lutte contre la précarité énergétique.

Cinq mois de travail intense avec toutes les parties prenantes ont nourri le texte dont vous êtes saisis. Au terme d'une assemblée générale qui a duré plus de dix heures, le Conseil d'État a validé beaucoup des innovations conceptuelles et pratiques de ce projet.

Nous en arrivons à l'étape la plus importante : le moment où la représentation populaire va s'exprimer et se saisir de ce texte. La co-construction étant vitale, je serai vigilante et attentive à toutes les améliorations que vous pourrez apporter à ce dispositif législatif et à ce nouveau modèle énergétique.

Je n'évoquerai que brièvement les principaux axes du texte qui vous est soumis, m'en tenant aux grands principes, puisque nous aurons l'occasion de les détailler à la faveur de l'examen des amendements.

Le premier axe fixe un cap, une ambition de long terme et des objectifs intermédiaires qui donnent un horizon stable pour agir dès maintenant. Premièrement, il s'agit de réduire de moitié notre consommation d'énergie à l'horizon 2050 par rapport à 2012, de baisser la consommation d'énergies fossiles de 30 % et de porter le rythme annuel de baisse de l'intensité à 2,5 % d'ici à 2030. Deuxièmement, nous voulons réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et les diviser par quatre en 2050 par rapport à 1990. Troisièmement, nous prévoyons de rééquilibrer et de diversifier notre modèle énergétique en portant la part des énergies renouvelables au tiers de l'énergie produite en 2030 et en fixant la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025.

Le deuxième axe porte sur l'efficacité énergétique dans tous les secteurs, en particulier celui du bâtiment. Le grand chantier de la rénovation énergétique des bâtiments est source de créations d'emplois dans un secteur fragilisé et de pouvoir d'achat pour les ménages : dans un logement bien isolé, les factures baissent. Il s'attache aussi à la promotion des bâtiments à énergie positive ou à l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments chaque fois que d'importants travaux de transformation sont réalisés. Il traite également du développement des transports propres – véhicules individuels et transports collectifs électriques ou hybrides rechargeables –, du déploiement sur tout le territoire des bornes de recharge, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la grande distribution, du développement du covoiturage, etc.

Dans ce domaine de l'efficacité énergétique, nous abordons le développement de territoires « zéro déchets » et l'économie circulaire, avec l'écoconception des produits et la transformation des déchets en matières premières afin d'économiser les ressources en général et l'énergie en particulier. Le texte généralise l'interdiction de la discrimination à l'encontre des matières issues du recyclage et fixe un objectif de réduction de 50 % des quantités de déchets mis en décharge à l'horizon 2025.

Troisième axe : la montée en puissance des énergies renouvelables, terrestres et maritimes dans l'Hexagone ainsi que dans les Outre-mer où elles permettent une autonomie énergétique adaptée à l'insularité et à la situation des zones non interconnectées.

Toutes les ressources de nos territoires – l'hydraulique, l'éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie ou les énergies marines – doivent être valorisées pour réaliser à court terme 200 territoires à énergie positive et 1 500 méthaniseurs en milieu rural, afin de développer des filières industrielles innovantes et compétitives et de mobiliser tous les territoires dans le cadre des contrats locaux de la transition énergétique.

Cela suppose une simplification des procédures, un encouragement du financement participatif, une rénovation du cadre législatif de l'hydroélectricité grâce à la création de sociétés d'économie mixte qui permettront de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des concessions et de renforcer le contrôle public sur ce patrimoine commun des Français. Enfin, il est nécessaire de moderniser le soutien financier au développement des énergies renouvelables afin d'accélérer le mouvement et de changer d'échelle.

Quatrième axe : le texte permet au Parlement de jouer pleinement son rôle en matière de définition et de conduite de notre politique énergétique. Il renforce la transparence et l'information des citoyens sur les coûts et les tarifs de l'énergie ainsi que sur la sûreté nucléaire ; il met en place les conditions d'une nouvelle citoyenneté énergétique ; il prévoit le déploiement des compteurs intelligents ; il va fournir aux citoyens de nouveaux outils de connaissance, de maîtrise et de pilotage de leurs consommations énergétique.

Ce texte définit aussi un mix énergétique équilibré et met en place les moyens de l'atteindre. Il crée de nouveaux instruments de planification à l'échelle nationale et locale : stratégie bas carbone, programmation pluriannuelle de l'énergie.

Enfin, il reconnaît la spécificité et le potentiel des Outre-mer qui sont autant d'atouts pour que les territoires ultramarins deviennent des précurseurs de la transition énergétique et puissent innover grâce aux habilitations données par le projet de loi. C'est là une dimension importante du changement de modèle dont la croissance verte est le moteur : pour les Outre-mer, il ne s'agit plus de rattraper mais, au contraire, d'anticiper et même de devancer cette transition énergétique.

Le projet de loi qui vous est soumis comporte plusieurs innovations que nous examinerons en détail : la consécration, pour la première fois dans notre droit positif ainsi que l'a validé le Conseil d'État, des notions de croissance verte, de territoires à énergie positive et d'économie circulaire ; la possibilité d'expérimentations dans les domaines des boucles locales, de la production décentralisée d'énergie ou de l'autoconsommation.

Ce texte comporte donc bien des mesures qui sont des leviers d'innovation technologique, de dynamisation de notre tissu industriel et de création d'emplois non délocalisables qui impliquent une montée en qualification et des plans de formation professionnelle. Il assure aussi la compétitivité des entreprises électro-intensives. Il est facteur de solidarité avec le remplacement des tarifs sociaux par un chèque énergie plus efficace, plus juste et bénéficiant à toutes les sources d'énergie.

Au lieu de contraindre ou d'accabler par des normes supplémentaires, il fait le choix d'entraîner et de mobiliser, de donner à chaque acteur potentiel de la croissance verte les moyens de s'impliquer et de coopérer avec d'autres.

Il est accompagné de moyens financiers adaptés et accessibles à tous : le crédit d'impôt transition énergétique – 30 % du montant des travaux jusqu'à 8 000 euros pour une personne seule et 16 000 euros pour un couple – dont la création vous sera soumise dans le cadre du projet de loi de finances ; la relance des prêts à taux zéro – 100 000 prêts devraient être octroyés – dès lors que les banques ont été déchargées, par un décret que j'ai signé récemment, de leur rôle de contrôle technique qui en limitait l'octroi ; les prêts « transition énergétique et croissance verte » de la Caisse des dépôts pour financer les projets des collectivités territoriales à un taux très avantageux, remboursables sur vingt à quarante ans et qui pourront atteindre jusqu'à 5 millions d'euros de travaux par opération sans autofinancement initial ; des interventions de la Banque publique d'investissement et de la Banque européenne d'investissement ; dans le cadre des contrats de plan État-régions, le financement par l'État du volet mobilité multimodale puisque le Gouvernement s'est engagé à débloquer 950 millions d'euros par an sur la période 2015-2020, ce qui permettra avec le cofinancement des régions, un total de travaux de 3 milliards d'euros pour nos entreprises de travaux publics.

Certaines de ces dispositions viennent d'être mises en place dans le cadre des plans d'action que j'ai lancés pour accélérer dès maintenant le tournant vers la croissance verte. D'autres sont en cours de finalisation dans le cadre de la Conférence bancaire et financière : le mécanisme de tiers financement ; la création d'un Fonds de financement de la transition énergétique, doté de 1,5 milliard d'euros, pour soutenir notamment la conversion des véhicules polluants ainsi que le développement de la méthanisation, de la chaleur renouvelable, de l'économie circulaire et des travaux d'isolation sur les bâtiments à énergie positive.

Toutes ces décisions visent à lever les freins et à libérer des initiatives économiques pour atteindre les objectifs que fixera la loi.

Je voudrais, pour conclure, souligner deux points essentiels. Le texte que vous allez examiner fait le choix de ne pas opposer les énergies les unes aux autres mais il organise leur complémentarité dans la perspective dynamique d'un nouvel équilibre énergétique qui comprend des objectifs à court, moyen et long termes. C'est ainsi, je le crois, que nous pourrons engager le pays dans cette mutation irréversible. C'est le moment de le faire avec détermination car les esprits et les mentalités ont beaucoup évolué.

La France a les moyens d'être exemplaire sur le plan de l'efficacité énergétique et, de ce fait, de reprendre son avenir en main. Cette politique par la preuve est prête à se développer à l'échelle du pays et dans chacun des territoires dont vous êtes les élus. D'ailleurs, certains territoires sont déjà engagés dans cette transition énergétique et ont déjà réalisé beaucoup de choses.

Quelles que soient les différences de nos mix énergétiques au niveau européen, qui résultent de l'histoire particulière de chaque pays, nous devons être une force d'entraînement en investissant dans l'efficacité énergétique, dans la constitution de filières d'excellence bas carbone, dans les réseaux intelligents, dans le stockage de l'énergie, dans l'électro-mobilité, dans les biocarburants de deuxième génération, dans les villes « zéro déchets », etc. Le champ d'innovation et d'action est aussi vaste que passionnant.

La France peut se doter de la législation la plus avancée en Europe car, à ce jour, la seule à intégrer toutes les dimensions de la transition énergétique et de la croissance verte. Elle sera ainsi mieux à même d'assumer les responsabilités internationales qui lui incombent en tant que pays hôte de la conférence Paris Climat 2015.

Dans les territoires dont vous êtes les élus, vous pouvez observer que le mouvement est lancé. Il mobilise de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire. Les entreprises, quelle que soit leur taille, attendent que le Parlement donne le coup d'envoi de cette transition énergétique qui donnera du travail. À vous, mesdames et messieurs les députés, de donner le signal, de fixer le cadre et d'enrichir le projet de loi que j'ai le plaisir de vous présenter pour déployer des actions concrètes au bénéfice de tous les Français. Dans vos circonscriptions, vous pouvez être à l'avant-garde de ce mouvement et devenir rapidement créateurs des emplois d'aujourd'hui et de demain.

J'ai travaillé avec beaucoup d'entre vous pour la préparation de ce texte et je vous remercie de votre engagement. Je suis et je resterai à votre écoute, convaincue que nous pouvons encore améliorer ce projet de loi et faire en sorte que sa discussion donne lieu à un beau débat de société qui dépasse les clivages politiques, à la fois dans le cadre de votre Commission et en séance publique.

Je souhaite qu'à l'issue de vos travaux nous puissions avoir la fierté de l'oeuvre législative accomplie et la conviction d'avoir donné au pays une avance majeure, les moyens de relever les défis énergétiques, écologiques et de santé publique et de créer les emplois d'aujourd'hui et de demain.

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