Intervention de Robert Durdilly

Réunion du 11 septembre 2014 à 11h30
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Robert Durdilly, président de l'Union française de l'électricité, UFE :

Notre syndicat professionnel regroupe tous les acteurs du secteur électrique – producteurs, gestionnaires de réseaux, fournisseurs –, et l'ensemble des filières électriques – énergies renouvelables, hydraulique, nucléaire et thermique. Il dispose ainsi d'une vue d'ensemble sur le secteur électrique et sur les diverses composantes du mix énergétique.

L'Union française de l'électricité a participé activement aux nombreux travaux de concertation qui ont entouré l'élaboration de ce texte. Elle poursuivra, soyez-en assurés, cette démarche positive et constructive durant les débats parlementaires. Au nom de l'ensemble de la filière, je voudrais plaider aujourd'hui devant vous en faveur d'une transition énergétique responsable, pragmatique, financièrement soutenable et contribuant à la compétitivité de la France. Tel est le sens de nos propositions d'amélioration du projet de loi.

Elles sont articulées autour des trois grands axes thématiques que sont la stratégie bas carbone, l'efficience économique et la sécurité du système électrique.

La stratégie bas carbone, axe central de la transition énergétique, doit être renforcée. Rappelons que, dans le monde, 40 % des gaz à effet de serre proviennent de l'électricité. Or la France a un atout de poids dans ce domaine puisqu'elle dispose d'un parc de production électrique décarboné à 90 %, grâce à sa production d'énergies renouvelables et d'énergie nucléaire. Des industries leaders dans leur domaine soutiennent cette production.

Ainsi, la France est le deuxième producteur d'hydroélectricité de l'Union européenne avec une filière d'excellence intégrant équipementiers et producteurs : EDF, GDF-Suez, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), d'autres acteurs de la petite hydroélectricité. Un effort important est également fourni dans le domaine de la recherche et développement. À la veille de la conférence climatique de Paris fin 2015, dite COP 21, notre pays doit renforcer cet atout climatique qui constitue un symbole fort.

Sur ce volet « bas carbone », le projet de loi définit de bonnes orientations, mais doit être plus cohérent et plus ciblé sur les énergies les plus carbonées. Car, s'il fixe un objectif ambitieux et contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 40 % d'ici à 2030, cet objectif est placé sur le même plan que les moyens pour l'atteindre, à savoir l'efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables ou encore la baisse des consommations fossiles. Ces moyens sont nécessaires dans une stratégie bas carbone, mais ils doivent être déterminés et hiérarchisés pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de dioxyde de carbone, qui demeure l'objectif prioritaire.

De même, il est utile d'instaurer une programmation pluriannuelle des énergies, car elle permettra d'identifier de substituer, là où c'est possible, à des usages carbonés des usages décarbonés reposant sur l'électricité produite par les énergies renouvelables. Mais le pétrole, responsable à 60 % des émissions de dioxyde de carbone, n'est pas complètement intégré dans cet outil de planification. La programmation envisagée fond ainsi les dispositifs qui existent déjà pour le gaz, l'électricité et la chaleur, mais ne crée pas de manière suffisamment évidente d'instrument spécifique pour le suivi de la consommation de pétrole et de fioul, celui-ci étant la troisième énergie de chauffage des Français, devant l'électricité. Aussi l'UFE formule-t-elle des propositions pour que la stratégie bas carbone dépasse concrètement le stade de la volonté affichée.

Quant à l'efficience économique, elle doit être au coeur des mesures proposées pour la transition énergétique. Dans un contexte de crise, les marges de manoeuvre de l'État sont limitées, tandis que le pouvoir d'achat des Français doit être préservé. Même s'il ne fait aucun doute que nos concitoyens soutiennent la démarche de transition énergétique, il est aussi certain qu'ils seront très attentifs à la façon dont ce projet collectif sera géré économiquement, à son impact tant que sur les dépenses publiques que sur le pouvoir d'achat. Or il faudra des financements considérables, de sorte que l'effort doit porter de manière prioritaire sur la meilleure affectation possible des ressources.

L'UFE salue donc l'effort de ciblage proposé par le projet de loi, qui vise en particulier à saisir les chances de la rénovation pour améliorer l'efficience énergétique. Mais il est nécessaire d'aller plus loin pour éviter de s'éparpiller. Il convient de cibler les logements les plus énergivores, communément désignés comme des passoires thermiques, mais aussi les énergies de chauffage les plus carbonées, tel le fioul. Toutes les actions qui permettent de faire le plus d'économies sur la facture de chauffage n'étant pas aussi efficaces les unes que les autres, il faut rechercher l'effet de levier maximal.

En matière de précarité énergétique, le chèque énergie a le mérité de viser toutes les énergies. Mais elles ne sont pas traitées sur un pied d'égalité, puisque son financement est assuré par une taxe sur le gaz et sur l'électricité, mais qu'aucune taxe n'est prévue sur le fioul. Je vous livre donc un paradoxe : si ce point n'était pas corrigé, l'électricité et le gaz subventionneraient le fioul…

Enfin, le projet de loi doit prendre davantage en considération la sécurité d'approvisionnement du système électrique et la solidarité énergétique entre les territoires. Non seulement l'électricité ne se stocke pas et l'équilibre entre l'offre et la demande doit être assuré à tout moment, mais la production et la consommation d'électricité sont réparties de manière différente d'une région à l'autre. Certaines sont importatrices, d'autres sont exportatrices. Ainsi, la Bretagne affiche une consommation plus de cinq fois supérieure à sa production, tandis que la Haute-Normandie produit deux fois plus qu'elle ne consomme. C'est en compensant ces différences et en mutualisant les potentiels de production à l'échelle nationale, voire européenne, que la sécurité d'alimentation électrique du consommateur sera assurée.

Aussi faut-il veiller à ce que la décentralisation des compétences en matière d'énergie n'affecte pas de manière négative la cohérence de l'ensemble. Elle constitue une évolution majeure par rapport à la construction historique du système électrique, mais doit s'inscrire dans une cohérence nationale et européenne qui respecte le principe de solidarité entre les territoires. C'est pourquoi l'UFE considère comme légitime le renforcement des compétences énergétiques des collectivités territoriales, mais juge indispensable de coordonner la politique énergétique prescrite au niveau local avec celle prescrite à des mailles territoriales plus larges, voire au niveau national grâce à la nouvelle programmation pluriannuelle.

Aux yeux de l'UFE, les expérimentations prévues dans le projet de loi pourront certainement faire naître des solutions innovantes et prometteuses, mais un dispositif d'évaluation devra précéder leur éventuelle généralisation, afin de s'assurer de leur pertinence économique et climatique, mais aussi du bénéfice qu'elles apportent au consommateur.

Il est important d'aborder tous ensemble la transition énergétique, sans parti pris, avec pragmatisme et de façon responsable tant sur le plan économique que technique. L'UFE peut seulement regretter qu'à l'heure où de nombreux pays européens font le choix de la transition énergétique et alors que nos décisions en matière de mix énergétique auront certainement des conséquences sur nos voisins, le projet de loi ne fasse pas référence à la nécessité de développer une vision européenne coordonnée afin d'assurer la sécurité d'alimentation électrique. L'Europe de l'énergie souhaitée par le président de la République constitue un défi majeur, qui mérite d'être mentionné dans ce projet de loi.

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