Là encore, cependant, des précautions sont prévues pour s’assurer qu’aucun excès ne puisse être commis au détriment de la liberté du réseau. Le dispositif, que nous voulons ciblé et limité au strict nécessaire, a été précisé par votre commission des lois. Le blocage interviendra au terme d’une procédure au cours de laquelle il aura été demandé aux éditeurs et hébergeurs identifiés de procéder au retrait des contenus provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Il présentera donc un caractère subsidiaire. Il s’effectuera, en outre, sous le contrôle d’une personnalité qualifiée indépendante, afin de prévenir tout abus et tout « surblocage ». En tout état de cause, les mesures de blocage pourront être déférées à la censure du juge administratif, qui pourra statuer en quelques heures dans le cadre de la procédure de référé.
Le texte soumis à votre assemblée permet ainsi de nous doter d’un outil supplémentaire de lutte contre la propagande terroriste en ligne, tout en l’encadrant de garanties renforcées. Ces garanties nouvelles ont d’ailleurs également vocation à s’appliquer au dispositif existant de lutte contre les sites pédopornographiques.
J’ai lu encore que la création d’un délit d’entreprise individuelle terroriste était attentatoire aux libertés publiques, au motif qu’elle viserait une intention hypothétique. C’est un procès d’intention. Rappelons que cette incrimination existe depuis plusieurs années dans les droits britannique et allemand, donc dans des pays soumis, comme la France, aux normes internationales les plus exigeantes en termes de respect des droits de l’homme. À l’évidence, les forces de sécurité ne vont pas attendre qu’un attentat soit commis par la personne mise en cause pour appréhender cette dernière : ce serait une curieuse manière d’assurer la protection de nos concitoyens ! Toutefois, cette incrimination devra être caractérisée par le juge, sur la base d’un ensemble solide de preuves matérielles propre à démontrer l’intention résolue de la personne mise en cause de commettre une action terroriste d’une particulière gravité. Le projet de loi prévoit en particulier que le suspect devra obligatoirement s’être procuré des substances dangereuses ou des armes. Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre, il s’agit donc de mettre en place un dispositif efficace et pertinent.
J’ai lu enfin que les articles 10 à 15 du projet de loi ne concerneraient pas le terrorisme et ne viseraient qu’à renforcer notre arsenal répressif. Là encore, c’est faux. Ces articles, qui ont notamment pour objet de renforcer les possibilités d’investigation dans l’environnement numérique et la répression des atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données, visent au contraire à répondre à l’évolution des modes d’action des terroristes. Ces mesures n’amoindrissent pas le contrôle exercé sur les enquêtes en cours par l’autorité judiciaire – le parquet ou le juge d’instruction, selon les cas. L’article 15, qui prolonge la durée autorisée de conservation des enregistrements réalisés dans le cadre d’interceptions de sécurité, n’amoindrit pas non plus le contrôle exercé par la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Avant de vous laisser la parole, mesdames et messieurs les députés, je veux encore évoquer deux points.
Cette loi est aujourd’hui nécessaire à la sécurité de notre pays. Certes, il n’existe pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme – même ces nouvelles mesures ne peuvent garantir à elles seules un risque zéro. Mais l’entreprise criminelle des terroristes ou de ceux qui veulent les rejoindre aura été entravée, compliquée, empêchée. Des internautes, souvent jeunes, auront échappé aux actions de propagande et de glorification du crime. La justice et, sous son contrôle, les services de police auront à leur disposition des moyens d’action et d’investigation plus efficaces et plus protecteurs.
En second lieu, cette loi, pour être efficace, doit susciter un large consensus. Lors de nos débats et dans le cadre de l’application future de ces mesures, il faudra veiller à chaque instant au respect scrupuleux des valeurs de la République. Celles-ci sont les armes les plus fortes dont nous disposons dans notre lutte contre le terrorisme, comme contre toutes les formes de violence et de haine. J’ai la conviction qu’il existe un devoir d’information de l’exécutif envers les représentants de la nation, par-delà les clivages politiques partisans. Bien sûr, monsieur le président de la commission, je me tiens en permanence à la disposition des commissions des lois des deux assemblées, mais je souhaite également pouvoir réunir régulièrement les présidents des groupes parlementaires pour échanger avec eux sur la menace terroriste qui existe dans notre pays. Je commencerai ces rencontres dès l’adoption du projet de loi.
Laissez-moi vous rappeler les propos qu’avait tenus Lionel Jospin devant l’Assemblée nationale il y a treize ans, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, et qui me semblent avoir conservé toute leur pertinence et toute leur actualité : « Certains ont parlé de "conflit de civilisation", parce que les terroristes croient pouvoir invoquer l’islam, ou plutôt leur propre vision dévoyée de l’islam, pour justifier l’injustifiable et s’assurer des complicités ou des complaisances. Nous ne tomberons pas dans leur piège en laissant s’accréditer des amalgames aussi dangereux qu’infondés. En dehors de ceux qui ont participé ou prêté la main au terrorisme […], nul ne saurait être stigmatisé. La lutte contre le terrorisme doit non pas diviser, mais unir les nations, les peuples, les religions : c’est la condition de son succès. »