À ce même article 1er, la commission a adopté un autre de mes amendements lequel prévoit que l’interdiction de sortie du territoire emportera le retrait non seulement du passeport, mais aussi de la carte nationale d’identité, contre remise d’un récépissé permettant à la personne concernée de justifier de son identité. Par ce retrait, il s’agit d’opposer une entrave supplémentaire au Français qui tenterait de se rendre sur un théâtre de combat djihadiste notamment en passant par la Turquie.
L’amendement adopté par la commission propose également d’assortir cette mesure de garanties en prévoyant que la personne dont le passeport ou la carte nationale d’identité a été retiré – ou qui sollicite la délivrance d’un tel document – se voie remettre un récépissé lui permettant de justifier de son identité. Une telle mesure de retrait de carte nationale d’identité – assorti de la délivrance d’un récépissé – existe déjà dans notre droit, en application de l’article 138 du code de procédure pénale.
La mesure de retrait de la carte nationale d’identité est par ailleurs limitée dans le temps : à l’échéance de la mesure d’interdiction de sortie du territoire, la personne pourra se voir délivrer à nouveau un passeport ou une carte nationale d’identité.
À l’article 2, la commission a adopté l’un de mes amendements ramenant de trois à un an la peine d’emprisonnement encourue par les personnes assignées à résidence qui violeraient la nouvelle interdiction d’entrer en relation avec des personnes nommément désignées.
À l’article 4, la commission a élargi le champ d’application du délit de provocation au terrorisme, pour incriminer non seulement les propos publics, mais aussi les propos privés : cela permettra de sanctionner aussi les prêches clandestins en dehors des lieux de culte, ainsi que les propos tenus sur des réseaux sociaux ou sur des forums internet privés, que la jurisprudence actuelle considère comme non punissables lorsqu’ils sont tenus dans un cercle fermé.
Le délit de provocation non publique sera puni de trois ans d’emprisonnement, tandis que la provocation publique sera punie de cinq ans d’emprisonnement. Dans un souci de proportionnalité et pour éviter toute difficulté constitutionnelle, je proposerai par un amendement d’exclure l’application de toutes les règles procédurales dérogatoires prévues en matière terroriste pour le délit de provocation non publique, qui ne présente certainement pas un degré de gravité suffisant pour justifier l’application du régime terroriste.
À l’article 5, la commission avait adopté un amendement visant à mieux préciser la définition du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle, afin de mieux caractériser les éléments matériels du délit qui justifient l’intervention précoce du droit pénal dès le stade des actes préparatoires commis par une personne seule.
Pour que la définition du délit d’entreprise terroriste individuelle ne puisse pas encourir la critique d’incriminer la simple intention criminelle, la commission a prévu que la constitution de ce délit exigerait que le projet criminel soit caractérisé, non seulement par la recherche ou l’obtention de produits ou de substances dangereux pour la personne, mais aussi par un second élément matériel qui pourra consister soit en des repérages, soit en une formation au maniement des armes, à la fabrication d’engins explosifs ou au pilotage, soit dans la consultation habituelle de sites internet incitant au terrorisme, sauf motif légitime précisément défini par le texte.
Je proposerai d’améliorer encore la rédaction de cet article par un autre amendement destiné à permettre que ce délit puisse, tout en respectant pleinement les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, couvrir l’ensemble des situations qui matérialisent la préparation d’un projet terroriste par une personne seule de façon suffisamment caractérisée pour justifier une intervention du droit pénal en amont d’un passage à l’acte.
L’article 5 est au coeur du projet de loi et vise à adapter notre législation à la mutation de la menace terroriste. Il s’agit d’une réponse adaptée à la nouvelle stratégie des groupes terroristes qui exhortent au passage à l’acte solitaire.
À l’article 9 relatif à la lutte contre la provocation au terrorisme et l’apologie du terrorisme sur internet, j’ai évidemment écouté et lu avec la plus grande attention les critiques des acteurs du monde de l’internet. J’ai également pris connaissance avec grand intérêt de la recommandation de la commission de réflexion sur les droits et libertés à l’âge du numérique, coprésidée par Christian Paul et Christiane Féral-Schuhl, et j’ai beaucoup réfléchi à cette question complexe et délicate.
À l’issue de ce processus de réflexion, poursuivi durant tout l’été, je suis convaincu qu’il est absolument nécessaire de permettre aux pouvoirs publics d’empêcher l’accès à des sites particulièrement odieux et dont l’effet déterminant sur le recrutement de futurs terroristes est désormais avéré, et qu’il est nécessaire de rechercher l’équilibre le plus adapté entre l’efficacité de l’intervention publique et la protection de la liberté d’expression.
J’en suis arrivé à la conclusion que le blocage administratif était la solution la plus efficace, mais qu’il était nécessaire de renforcer les garanties entourant la prise de décision de l’autorité administrative. J’ai forgé ma conviction après m’être posé plusieurs questions : d’abord celle de l’opportunité même du blocage ; ensuite celle de l’autorité chargée de décider le blocage et enfin celle des garanties devant entourer la décision de blocage.
Sur la question de l’opportunité du blocage, les critiques relatives aux possibilités de contournement et au « surblocage » sont légitimes et doivent être entendues, mais elles ne sauraient justifier la passivité des pouvoirs publics pour des contenus hébergés à l’étranger et dont le retrait par l’éditeur ou l’hébergeur n’est pas envisageable. Je partage l’idée que la solution la plus efficace sera toujours le retrait du contenu par l’éditeur et l’hébergeur, mais lorsque le retrait ne peut être obtenu, le blocage est une arme de dernier recours dont les pouvoirs publics doivent pouvoir disposer.
C’est pour cette raison que j’ai fait adopter par la commission des lois un amendement qui a introduit le principe selon lequel le blocage est une mesure subsidiaire par rapport au retrait du contenu par l’éditeur ou l’hébergeur : le blocage ne pourra être demandé au fournisseur d’accès qu’après avoir demandé à l’éditeur ou à l’hébergeur de retirer le contenu, et après leur avoir laissé vingt-quatre heures pour y procéder. Ce préalable obligatoire de la demande de retrait sera toutefois écarté pour les sites dont l’éditeur et l’hébergeur ne pourront pas être identifiés à partir des informations figurant sur le site incriminé.
Sur la question de l’autorité chargée de décider le blocage, l’attribution de la compétence au juge judiciaire proposée par certains soulève deux séries de difficultés, les unes d’ordre pratique, les autres de principe.
Au plan pratique, la procédure judiciaire implique une assignation spécifique et une audience pour chaque instance dont le juge sera saisi, afin de respecter le principe du contradictoire. Or l’on sait que le contournement du blocage passera notamment par la duplication de « sites miroir » après blocage d’un premier site. Il ne me paraît pas possible d’obtenir une efficacité suffisante dans la « traque » de ces sites, compte tenu des garanties procédurales inhérentes à toute procédure judiciaire, sauf à réduire ces garanties, ce qui ne serait évidemment pas acceptable.
Au plan des principes, compte tenu de l’importance prise aujourd’hui par internet et des troubles à l’ordre public que l’expression sur internet peut engendrer, la lutte contre les propos appelant au terrorisme sur internet doit pouvoir relever de la police administrative. Aujourd’hui, l’autorité administrative peut interdire une manifestation, un spectacle, voire ordonner la saisie d’un journal – certes, dans des conditions très strictes –, pour prévenir des troubles à l’ordre public : ce que l’autorité administrative peut faire dans la sphère réelle pour protéger l’ordre public, elle doit également pouvoir le faire dans la sphère numérique. Pour ces deux raisons, je considère que le blocage des sites doit relever de l’autorité administrative.