Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si l’actualité nationale – et aujourd’hui particulièrement, internationale – n’explique que trop l’importance du débat de ce soir, il appartient au législateur de ne pas se laisser aveugler ni de céder à la facilité d’un débat passionné, mais au contraire de faire un effort de sang-froid afin de s’assurer que les dispositions qu’il adoptera sont pertinentes.
Pertinentes, cela signifie proportionnées à leur objet et inscrites dans le socle solide de notre tradition républicaine et démocratique ; d’une portée assez large pour ne pas représenter une législation de circonstance, et en même temps assez précises pour que la lutte ne reste pas vaine.
Je me félicite d’autant plus du consensus qui a régné dans la commission des lois lors de l’examen de ce texte que le terrorisme est un sujet plus difficile qu’un autre – et c’est peut-être particulièrement vrai aujourd’hui.
C’est d’abord le cas en raison de la récurrence d’événements qui nous imposent d’agir. Je veux bien sûr parler des effets internes du djihadisme, qu’il s’agisse des départs vers les territoires où est censée se dérouler la guerre sainte, des phénomènes d’auto-radicalisation, ou encore de la démultiplication, par l’usage et l’effet d’internet, d’une violence protéiforme, alliant la brutalité, voire l’extrême sauvagerie, à la froideur d’une pédagogie s’adressant aux apprentis terroristes. Rapporté à ce que je disais en introduisant mon propos, cela veut clairement dire que nous devons disposer d’armes adaptées pour lutter contre ces nouveaux phénomènes. Et bien entendu, nous ne devons pas nous tromper d’objectif.
Mais le sujet est également délicat en ce qu’il invite à l’analyse plus qu’à la contre-prédication, à l’action raisonnée plutôt qu’à la croisade, en bref parce qu’il nous impose d’éviter tout ce qui serait contre-productif dans le combat sans merci auquel appellent les actes terroristes.
Ce projet de loi est dirigé contre un ennemi qu’il faut désigner clairement, le salafisme djihadiste. À cet égard – et je salue les propos tenus en ce sens par le ministre et le rapporteur –, il faut se garder de parler à tout bout de champ « d’islamisme », sans même parfois prendre la précaution d’y ajouter le terme « radical ». Il faut prendre garde à ce que l’objet de la loi, comme celui du discours public, ne puisse être de stigmatiser l’islam, religion vécue paisiblement par nombre de nos concitoyens et compatriotes.
Il serait bon, d’ailleurs, que dans le prolongement de la démarche publique faite récemment par le Conseil français du culte musulman au sujet de la protection des chrétiens d’Irak, les représentants des musulmans de France, en liaison avec les autorités de notre pays, fassent plus régulièrement entendre leur voix pour stigmatiser des actes sans rapport avec l’islam, ni avec les pratiques de l’immense majorité des musulmans de France et du monde, lesquels sont d’ailleurs, en Irak comme dans d’autres pays, les premières victimes du terrorisme salafiste.
Ce dernier propos m’amène à l’objet de la loi et à la portée des dispositifs nouveaux qu’elle contient. Tous permettent de prévenir et réprimer des actes qui se sont imposés dans le paysage social comme répondant à des formes nouvelles de radicalité. Aucun ne désigne en particulier telle ou telle forme de terrorisme, mais tous peuvent s’appliquer aux phénomènes nouveaux que l’on peut observer, et qui exigeaient des instruments juridiques adaptés.
Le premier de ces instruments est l’incrimination de préparation individuelle d’un acte terroriste. Le dispositif a déjà été décrit ; je n’y reviens donc pas, si ce n’est pour dire qu’il représente, dans notre ordre juridique, la plus lourde des innovations apportées par le projet de loi.
Le fait que cette incrimination soit désormais réclamée par les juges antiterroristes, alors même qu’elle ne leur avait pas paru nécessaire il y a à peine un an et demi, lorsque nous avions préparé la précédente loi sur le sujet, prouve bien que la situation a évolué depuis. Des affaires récentes – l’affaire Merah, à travers ce qu’elle a rétrospectivement révélé, mais aussi l’affaire Nemmouche et d’autres encore – ont convaincu les députés du groupe majoritaire et le rapporteur que cette nouveauté était justifiée. Restait à s’assurer de sa conformité au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. C’est ce qui a été fait – notamment grâce au travail du rapporteur, que je salue – et qui sera, je n’en doute pas, confirmé au cours des débats.
Un autre nouveau phénomène est évidemment le rôle croissant joué par les communications électroniques dans les échanges, qui démultiplient les effets, eux-mêmes divers, du terrorisme.
Il en est ainsi de l’apologie de l’acte terroriste, dont la délictualisation, monsieur Dolez, ne peut plus être contenue dans les limites de la loi de 1881, et pour laquelle seul le code pénal peut fournir un cadre adapté.
C’est d’ailleurs ce qu’avait dit votre prédécesseur, monsieur le ministre, lorsque nous avions adopté la loi de décembre 2012. Nous en étions alors restés au point où les députés de la majorité – mais pas seulement eux – avaient appelé à une réflexion sur le « décorsetage » de la loi de 1881, afin d’en extraire les dispositions plus spécifiquement relatives à internet. C’est aujourd’hui chose faite. Pour ma part, je crois fermement que cette évolution n’est pas attentatoire à une vieille loi républicaine que, comme vous tous, je révère ; c’est une mesure utile.
Une autre conséquence de l’essor d’internet est le choc causé par les messages violents et leur impact, non seulement sur les individus susceptibles de radicalisation, mais aussi – c’est l’objet d’un amendement que je présenterai au nom du groupe majoritaire – sur les mineurs.
Enfin, l’usage des communications électroniques rend nécessaire l’adaptation des moyens d’enquête dont disposent les services de police judiciaire, qu’il s’agisse du recours au pseudonyme ou des perquisitions sur les données stockées.
En définitive, c’est l’individualisation de la pulsion terroriste qui est traquée à travers ce projet de loi. Les réseaux sociaux, le partage, l’interactivité permettent certes à la redoutable puissance d’internet de contribuer à la vie collective des idées et des échanges, voire à une forme bienvenue de démocratie participative, mais ces progrès ont aussi un prix : l’alimentation à jet continu des pulsions les plus sombres, ainsi que la mise à disposition permanente, et quasiment gratuite, de la formation, idéologique ou matérielle, à l’attentat terroriste. Ce prix, la société tout entière le paie. C’est pourquoi – nous aurons un débat sur cette question – il ne paraît pas excessif que ceux qui ont la charge de faire vivre internet – et qui sont aussi ceux qui en vivent : opérateurs, fournisseurs d’accès, hébergeurs, éditeurs – soient responsabilisés, dès lors qu’ils le sont dans un cadre sécurisé, respectueux de la libre expression, mais aussi protecteur du droit à la sécurité, et dans certains cas, du droit à la dignité.
J’en termine en soulignant que la loi ne peut pas tout. Il faut tout un contexte, tant interne qu’externe, pour lui assurer une meilleure efficacité. Ainsi, les actions menées dans le cadre d’une « contre-radicalisation » sont essentielles. Il faut saluer les initiatives prises en ce sens par le Gouvernement, et que le ministre vient de rappeler, ainsi que les actions menées, par exemple, par la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme, qui vont de la mise au point d’un contre-discours à la confrontation entre des victimes et des auteurs d’attentat.
Enfin, il y a un lien entre la lutte contre le terrorisme à l’intérieur de nos frontières et l’action extérieure de la France. Lutter contre le terrorisme doit d’abord nous conduire à sécuriser les États par les voies appropriées, car c’est de l’éclatement des États que naissent les menaces terroristes. Et parce que les dernières années nous ont appris à quel point certaines aventures hasardeuses peuvent contribuer au terrorisme, il faut que les expéditions punitives – lesquelles sont l’équivalent à l’extérieur de la répression dans la politique intérieure – soient guidées par le droit international.
Au prix de tous ces efforts, nous pouvons sans doute afficher un optimisme raisonné. Ce présent projet de loi est à mes yeux une raison de plus de le faire ; c’est la raison pour laquelle le groupe SRC le votera.