Intervention de Amr Moussa

Réunion du 18 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Amr Moussa, ancien ministre des affaires étrangères de la République arabe d'Egypte, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, ancien président du Comité constituant de :

On pourrait débattre longtemps de la douceur et de la dureté en matière de politique étrangère. Je dirais que tout dépend du point de vue.

Je ne rentrerai pas dans le débat sur le point de savoir si l'on a assisté à un coup d'Etat ou à une révolution en Egypte. C'est une perte de temps. Les Egyptiens, qui sont les premiers intéressés, considèrent qu'ils ont mené une révolution contre les Frères musulmans, dont l'action au pouvoir avait conduit le pays au bord de la guerre civile. Sans véritable révolution, il n'y aurait pas eu de changement de Président et de Constitution. L'armée est intervenue pour arrêter l'effusion de sang.

Aucune des condamnations à mort si souvent évoquées n'a été exécutée pour le moment, car toutes vont faire l'objet de recours. Il faut corriger ce que dit la presse. Ces condamnations ont été prononcées individuellement, contre un petit nombre de personnes, qui toutes pourront bénéficier de recours. Je voudrais rappeler qu'il y a quatre étapes judiciaires entre une condamnation à mort et l'exécution de cette peine en Egypte.

Des décisions très dures ont été prises au cours des trois dernières années. On peut en discuter, mais l'Egypte était au bord du gouffre. Il a fallu agir vite et efficacement. Avec la nouvelle Constitution, le nouveau Président, et bientôt le nouveau Parlement, tout va changer.

Comment le régime ira-t-il à la rencontre de la démocratie et des libertés ? Il suffit d'appliquer notre Constitution. Elle est très différente de celle des Frères musulmans, car elle n'exclut personne de la vie politique. La Constitution de 2012 avait écarté tous ceux qui avaient été députés pendant deux législatures sous l'ère Moubarak, et ceux qui avaient été membres du parti au pouvoir. Des milliers d'Egyptiens se trouvaient privés de leurs droits politiques. La nouvelle Constitution ne prévoit pas d'exclusions générales, et laisse le pouvoir judiciaire se prononcer. Tout le monde pourra se porter candidat, y compris les Frères musulmans. Nous voulons un pouvoir démocratique et une opposition qui existe. Elle est la bienvenue dans la rue et au Parlement. Les opposants ont le droit d'exprimer leurs idées et de déposer leurs amendements.

La situation a beaucoup évolué dans la région. Il faut tenir compte de la nouvelle donne en mettant en place un nouvel ordre arabe en matière politique, économique et sécuritaire. La Ligue arabe doit s'adapter. C'est une nécessité pour assurer notre sécurité et notre développement. Comment pourrait-on accepter les évènements qui se déroulent en Irak et en Syrie ? Comment admettre que la question palestinienne soit abandonnée à son triste sort ? Il n'y aura jamais de sécurité, ni de développement économique, sans une solution juste et équitable pour chacune des deux Parties. L'initiative arabe de Beyrouth a défini, en 2002, les principes de base.

En Libye, il faut une intervention du Conseil de sécurité, mais les pays voisins ont aussi leur mot à dire. Ils ont une contribution à apporter. Il ne s'agit pas de réunir les « amis de la Libye », mais de rassembler les Etats voisins pour lutter contre le danger du terrorisme, qui s'étend jusqu'au fin fond du Sahel. Il faut mettre un terme à la dégradation de la situation.

Une coopération régionale est tout aussi nécessaire en Syrie. Les grandes puissances se soucient bien peu des 160 000 victimes de cette guerre et de l'Etat islamique en Irak et au Levant. Il faut aller au-delà des beaux discours et des rencontres pompeuses. Les grandes puissances et les acteurs régionaux doivent mettre en place, ensemble, un plan pour éradiquer le terrorisme et pour assurer la paix en Syrie et en Irak, comme ailleurs. En Libye, le général Hafter s'y emploie.

En Palestine, la négociation ne pourra pas aboutir tant que la colonisation se poursuivra. M. Kerry est plein de bonne volonté, mais il ne réussira pas tant que l'on ne dira pas clairement à M. Netanyahou que la poursuite de la colonisation rend impossible toute solution, ce qui empêche d'établir la paix et la stabilité dans la région.

On affirme que le « printemps arabe » a fait oublier la question palestinienne, mais ce n'est pas vrai. Elle demeure prioritaire pour les puissances régionales. Elle n'a été éclipsée que dans les unes des journaux, hier par la Syrie et aujourd'hui par l'Irak. On ne pourra pas lutter efficacement contre le terrorisme sans résoudre la question palestinienne. Là aussi, une action régionale est nécessaire.

Tant que les Palestiniens seront acculés par la colonisation, comment pourra-t-on les empêcher de se lancer dans une offensive diplomatique et de tenter de se réconcilier au niveau national ? Comme tout le monde, je les félicite pour cette initiative de réconciliation, et j'ai demandé au Hamas de reconnaître l'initiative arabe pour la paix. Seul Israël peut trouver un intérêt à diviser les Palestiniens.

Notre ambassadeur est plus au fait que moi du rôle de l'AFD. Je dirai seulement que son action est essentielle pour le développement en Egypte, dans la limite de ses moyens. Je rappelle aussi que son action ne s'est jamais interrompue, y compris au cours des trois dernières années. L'AFD a continué à participer à la construction de la troisième ligne de métro du Caire, qui est l'une des infrastructures les plus importantes pour nous, ainsi qu'à d'autres projets de développement au Caire et en Haute-Egypte. Il faut accroître les moyens de cette Agence, dans l'intérêt de nos deux pays.

Il ne s'agit pas de constituer un arc, ou un axe, avec l'Arabie saoudite. Nos liens n'ont probablement pas été suffisamment exploités par le passé, mais ils sont tout à fait naturels. L'Egypte a été éclipsée du concert régional au cours des trois dernières années, et elle a manqué aux autres pays arabes. Ils ont besoin que l'Egypte revienne sur la scène internationale pour redonner à la région son équilibre et pour garantir son poids dans le monde. En l'absence de l'Egypte, les pays arabes se sont beaucoup affaiblis. Personne ne les a consultés sur la Syrie. Avec l'Egypte, ils peuvent faire entendre leur voix et proposer des solutions. La situation évolue, comme l'a montré l'invitation adressée par le ministre saoudien des affaires étrangères à son homologue iranien. Les contacts entre l'Arabie saoudite et l'Egypte sont porteurs de stabilité et de visibilité pour l'action arabe.

Le Président et le nouveau Gouvernement sont très attentifs aux violences faites aux femmes. Dès que le Parlement sera élu, des lois seront votées pour lutter contre ces violences. L'opinion publique est très mobilisée, et exige des peines très sévères. Notre Constitution va aussi dans la bonne direction, puisqu'elle garantit aux femmes des droits importants et garantit leur protection.

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