Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 15 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, le réveil est douloureux : le terrorisme est à nos portes. Demain matin peut-être, dans un mois ou dans un an, à Toulouse ou ailleurs, des enfants risquent d’être tués à nouveau. Des militaires risquent d’être assassinés froidement parce qu’ils servent la République. Des femmes, peut-être, parce que non voilées, des hommes, parce qu’aimant la liberté, feront face à des émules de Merah et de Nemmouche.

Ce n’est pas jouer les Cassandre que de prédire cela. Cessons de nous voiler la face. La menace terroriste n’est plus abstraite : nous sommes dans une situation d’urgence, face à une vague de violence aveugle et sans pitié.

Il aura fallu les conquêtes éclairs et les dérives macabres des djihadistes barbares du califat en Irak pour réveiller les consciences sur ces dangers terroristes. De nombreux citoyens français et européens, nous l’avons dit, ont rejoint les rangs de ces barbares. Monsieur le ministre, vos services, cela a été rappelé tout à l’heure, recensent à ce jour 930 Français liés au djihad en Syrie et en Irak. Ce chiffre, hélas, ne cesse de croître.

Que vont faire ces Français à leur retour ? Après que leurs complices ont égorgé, comme des animaux, et devant des caméras, des journalistes comme Foley et Sotloff ou des humanitaires comme ce malheureux David Haines, après avoir massacré des soldats, femmes et enfants irakiens et syriens, après avoir tué et violé des chrétiens, des Yézidis et des Kurdes, ces citoyens français vont-ils reprendre une vie paisible en France à leur retour ? J’en doute fort.

Le constat est dramatique, mais réaliste. Dès lors que faut-il faire lorsqu’ils reviendront en France ? Comment protéger nos populations de ce cancer qui menace le monde ? Ne pourrait-on pas, tout simplement, légiférer pour leur interdire le retour en France, par déchéance de nationalité, pour les binationaux, ou par d’autres moyens ?

Il n’y a pas de solution miracle, monsieur le ministre, mais il faut améliorer notre arsenal législatif, et ce projet de loi, votre projet de loi, est un bon projet. Il est certainement perfectible, mais il va dans la bonne direction.

Il faut d’abord mener une action préventive forte. Il est nécessaire d’empêcher les prédicateurs et les recruteurs de contaminer les cerveaux de nos concitoyens. Il faut les contrôler, il faut bloquer leur financement. Il faut aussi tirer les leçons de nos défaillances passées pour stopper les 1 000 Merah potentiels s’ils reviennent en France. Ni les loups solitaires ni les groupes organisés ne doivent pouvoir nous menacer. Il faut donc, pour tous ceux qui sont impliqués directement dans le terrorisme, envisager une déchéance de la nationalité et l’interdiction du retour, et une interpellation immédiate dès le premier pas sur le territoire français.

L’exercice est difficile car, contrairement aux terroristes, nous avons, nous, des considérations liées au respect de l’autre, de la vie, qui limitent notre capacité d’action, et c’est bien normal. La morale est absente de l’idéologie terroriste, et cet ennemi profite du fait que nous en ayons une. Nos démocraties – la France – ont un respect juridique et moral sans égal pour la vie privée. Elles hésitent de ce fait souvent à prendre des mesures radicales, qui rappelleraient ces régimes totalitaires qu’elles réprouvent.

En cela, la loi que nous examinons aujourd’hui est fondamentale. C’est peut-être notre dernière chance. Elle s’attaque aux sources de la radicalisation, en conciliant les principes fondamentaux du respect des droits de l’homme et la lutte contre ceux qui les bafouent. Au-delà de nos divergences politiques, je tiens donc à vous le dire, monsieur le ministre : vous proposez un texte globalement bien équilibré.

Mais la lutte contre le terrorisme comporte une autre dimension, essentielle, que n’aborde pas ce texte: c’est la dimension géopolitique. Il est nécessaire de lutter de façon plus systématique contre ces États qui soutiennent et abritent les organisations terroristes. Avec cette loi, nous disposerons, c’est vrai, d’une arme législative. Mais nous disposons aussi d’armes politiques et diplomatiques pour agir plus en amont. Or, jusqu’à présent, celles-ci n’ont pas été employées, ou très peu, au gré des revirements d’opinion et du politiquement correct. Mais on ne peut avoir de politique à géométrie variable lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme, comme je vous le rappelais en séance le 13 mai dernier, monsieur le ministre, lors des questions au Gouvernement. On ne peut voter une loi comportant des dispositions pour lutter activement contre le terrorisme et entretenir, au même moment, des relations, quelles qu’elles soient, avec des États qui soutiennent le terrorisme, voire qui l’abritent.

Le terrorisme ne peut se développer, monsieur le ministre, que lorsque des États lui apportent leur concours logistique, financier, idéologique et militaire. Or ces États, nous les connaissons et, hélas, nous les fréquentons. Nous avons pendant de longues années fermé les yeux. Nous avons fermé les yeux sur l’Iran des mollahs, qui appuie et finance des organisations terroristes, l’Iran dont les dirigeants actuels ont été impliqués directement dans des actions terroristes comme les attentats de Buenos Aires qui ont coûté la vie à une centaine de personnes en 1994, ce même Iran qui trompe l’ONU depuis une décennie et cherche à obtenir la bombe nucléaire à tout prix. Nous avons fermé les yeux sur la Syrie, ensuite, qui a abrité pendant des années les antennes terroristes les plus variées et est le théâtre de massacres et de gazages – de part et d’autre d’ailleurs : 200 000 morts dans un silence assourdissant ! Quant au Liban, le Hezbollah, mouvement terroriste responsable entre autres de la mort de 58 Français lors de l’attentat du Drakkar, ainsi que de notre ambassadeur Louis Delamare, y détient huit portefeuilles gouvernementaux. Et le Qatar, avec qui nous flirtons, finance de nombreux mouvements djihadistes. Enfin, en Libye, les milices islamistes remplacent un dictateur sanguinaire que nous avons reçu en son temps à Paris. Et l’on pourrait citer bien d’autres États encore…

Oui, nous avons fait des erreurs graves, et nous continuons d’en faire. Nous n’avons pas été suffisamment constants dans notre approche, à droite comme à gauche. Cet été encore, monsieur le ministre, la diplomatie française, par la voix de Laurent Fabius, a condamné Israël, seul État démocratique du Moyen-Orient, en première ligne contre le djihadisme, qui défendait ses civils contre la menace terroriste et djihadiste du Hamas. Il n’y a pas de bons et de mauvais terroristes ! Daech, Al-Qaïda, le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram sont autant de branches d’un même arbre, celui du terrorisme de la haine, cette haine qui sanctifie la mort.

Ces dernières années, certains ont cherché à leur trouver une légitimité intellectuelle ou philosophique là où il aurait fallu leur couper la tête, pour utiliser un langage qu’ils aiment tant, mais le terrorisme, monsieur le ministre, ne peut ni ne doit être légitimé. Jean-Paul II disait que le terrorisme est fondé sur le mépris de la vie humaine et qu’il constitue en lui-même un véritable crime contre l’humanité. C’est donc la condamnation morale implacable du terrorisme qui doit constituer notre première ligne de défense. Si ce n’est pas le cas, nous porterons la responsabilité d’un second Toulouse. Nous porterons aussi celle de désastres terroristes moins conventionnels, si vous me permettez l’expression, car la menace chimique et biologique et le spectre nucléaire planent aussi sur nos démocraties. Qu’arriverait-il aujourd’hui si des groupes ou un État terroristes avaient entre leurs mains des armes de destruction massive ? Ils s’en serviraient immédiatement, comme en Syrie, sans la moindre hésitation. Ils feraient preuve, au moyen de ces armes, d’un zèle idéologique sans égal !

Ne faisons aucune concession. Face à cette menace, nous devons présenter un front uni, et c’est ce que nous essayons de faire aujourd’hui. Ces ennemis sont des prédateurs qui préparent des massacres à la sortie de nos écoles ou des explosions dans nos transports. Je le répète donc : une loi seule ne suffira pas, nous devons aller plus loin. La loi doit s’accompagner, sans relâche, d’une politique étrangère ferme, courageuse et sans compromis à l’égard de nos ennemis.

Enfin, beaucoup reste également à faire dans le domaine de l’éducation et je conclurai ainsi mon propos. Un enfant, quel qu’il soit, ne naît pas terroriste. Il ne naît pas raciste ou antisémite. C’est un point dont nous parlons peu mais qu’il nous faudra traiter ensemble et très rapidement : la prévention, l’éducation et la tolérance dans nos écoles, pour nos écoles. La République ne peut être divisée, la République ne peut tergiverser, la France ne peut attendre !

Mes chers collègues, un des moments les plus douloureux de ma vie a été ce vol de nuit transportant à leur dernière demeure Gavriel, quatre ans, Aryeh, cinq ans et leur papa, et Myriam, sept ans, assassinés à bout portant, le summum de la barbarie. J’étais assis aux côtés du père de Myriam et d’Éva Sandler, qui sanglotait pudiquement en serrant sa petite Liora, âgée de dix mois, seul petit bout de bonheur d’une vie décimée. Elle n’avait pas de haine, que de la dignité. Alain Juppé était là, très ému lui aussi. Je n’oublierai jamais, et je voulais avoir aussi ce soir un mot pour eux. Plus jamais ça !

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