Intervention de Thierry Mariani

Séance en hémicycle du 15 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi visant à renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Depuis de nombreuses années, la France et ses intérêts sont la cible d’un terrorisme international. Comme cela a été dit plusieurs fois, la France peut considérer qu’elle est en guerre contre le terrorisme.

Celui-ci provient principalement du Proche et du Moyen-Orient. Il a pris la forme, dans les années 1977-1980, du Groupe islamique armé, le GIA, né en Algérie. Puis, dans les années 1990, et surtout depuis les attentats de 2001 aux États-Unis et la lutte antiterroriste que ces derniers ont engagée, des réseaux djihadistes internationalistes, proches de la mouvance al-Qaïda ou s’en inspirant, ont fait leur apparition.

À chaque vague d’attentats, la France a amélioré son dispositif de prévention et de répression du terrorisme. Elle a donc régulièrement adapté son arsenal juridique. Cependant, ce dernier semble peu adapté aux nouvelles menaces auxquelles notre pays est et sera un jour ou l’autre confronté. En effet, au regard de la situation actuelle, il est légitime de penser que le pire est peut-être à venir.

À l’évidence, la situation est inquiétante. Les sources de tension sont nombreuses, qu’il s’agisse de l’embrasement du Moyen-Orient, de la guerre civile en Syrie, du conflit en Irak ou du conflit israélo-palestinien. En résultent de nouveaux enjeux auxquels la France doit faire face, liés notamment au départ de jeunes candidats au djihad et au danger que représente leur retour en France. Leur nombre est en hausse constante. Ce phénomène concerne des individus aux profils très différents et par conséquent difficiles à identifier. Il atteint actuellement une ampleur jamais égalée ; en Syrie, les Français constitueraient le premier contingent parmi les combattant européens.

Malgré l’efficacité incontestable de nos services de renseignement, le nombre de personnes qu’ils ont à surveiller augmente de telle façon qu’ils ne pourront bientôt plus tout contrôler. Formés et encore plus radicalisés, ces individus sont très dangereux pour la sécurité nationale et la sécurité des Français.

Pour faire face à ces nouvelles menaces inédites et difficilement contrôlables, il est effectivement impératif de réactiver nos dispositifs législatifs de lutte antiterroriste, et de ne pas sous-estimer la gravité de la situation. Aujourd’hui, le fait que la France puisse être frappée de nouveau sur son sol par des actes terroristes ne fait pas le moindre doute.

C’est dans ce contexte de nécessité absolue que nous examinons aujourd’hui le contenu du présent projet de loi, dont l’objectif est d’adapter notre arsenal juridique à la lutte contre ce phénomène de basculement dans le terrorisme. Ce projet de loi dote ainsi la France de nouveaux outils juridiques et de mesures préventives que je souhaite saluer. L’une d’elle prévoit l’instauration d’une interdiction administrative de sortie du territoire, afin de pouvoir anticiper et contrarier les départs des potentiels candidats au djihad.

Autre amélioration notable : la création d’une nouvelle incrimination qui permettra d’engager des poursuites judiciaires contre les terroristes agissant seuls. Enfin, le blocage administratif de sites ou de pages internet incitant aux actes terroristes ou en faisant l’apologie sera rendu possible. J’avais d’ailleurs rappelé la nécessité de telles mesures en juin dernier, à l’occasion de la discussion de la proposition de loi de Guillaume Larrivé qui défendait, déjà, les mêmes idées.

En effet, nous le savons tous, internet contribue pour une part déterminante à cette évolution qui nuit aux intérêts fondamentaux de notre nation. C’est l’outil grâce auquel nombre de djihadistes suivent les étapes d’un processus d’auto-radicalisation et d’embrigadement.

Ces différentes mesures attribuent à la justice et aux services de police des moyens d’investigation adaptés à la menace et à ses évolutions. Cependant, si ces propositions intéressantes représentent des réelles avancées, elles risquent aussi d’être rapidement insuffisantes, de sorte que nous serons obligés d’aller plus loin dans les années à venir, particulièrement si un attentat devait malheureusement survenir sur notre sol.

Ainsi, s’il est vrai que le blocage administratif des sites internet faisant l’apologie du terrorisme réduira la diffusion de propos qui sont les principaux vecteurs de radicalisation, je regrette qu’une démarche de riposte informatique contre ces sites ne soit pas envisagée.

En outre, force est de constater que ce texte ne règle pas le problème de l’endoctrinement dans les prisons. Or la prison peut être, comme nous le savons, un lieu de radicalisation important. À mon sens, créer des prisons dédiées à l’isolement des détenus radicalisés devient aujourd’hui une nécessité.

L’autre faiblesse de ce projet concerne l’une de vos mesures emblématiques, à savoir l’interdiction de sortie du territoire. Je me félicite de l’adoption en commission de l’amendement qui autorise l’autorité administrative à retirer, en plus du passeport, la carte nationale d’identité en vue d’interdire cette sortie du territoire, mais je remarque que cette mesure sera difficilement applicable dans l’espace Schengen. Surtout, comme cela a été dit à plusieurs reprises, elle ne résoudra en rien le problème essentiel des binationaux.

Je me permets d’insister sur ce sujet, afin qu’aucun malentendu ne naisse de mes propos. Je ne suis en rien hostile à la double nationalité quand les intéressés respectent les valeurs de la France. Mais, en tant que rapporteur de plusieurs projets de loi relatifs à l’immigration, j’avais demandé à l’époque que la binationalité, en cas de nationalité française, soit au moins portée à la connaissance de l’État. À chaque fois, cela a été refusé et aujourd’hui la mesure que vous proposez risque de se révéler inefficace.

Et qu’on ne me dise pas que c’est la législation ou la jurisprudence du Conseil de l’Europe qui s’opposent à une telle évolution : monsieur le ministre, je préside depuis un an la sous-commission des migrations du Conseil de l’Europe, chargée des immigrés, des réfugiés et des apatrides, et rien n’empêche de retirer la nationalité française à un citoyen en possédant une seconde ! Le seul problème réside dans le fait de connaître cette dernière, ce dont nous sommes aujourd’hui, en France, totalement incapables.

Je suis, je le répète, favorable au maintien de la double nationalité pour les individus qui respectent les valeurs de la France, mais je pense que cette opinion n’empêche pas une meilleure connaissance des personnes bénéficiant de la double nationalité.

De ce fait, une réponse efficace à cette difficulté serait de retirer la nationalité française à tout ressortissant français bénéficiant d’une double nationalité au cas où il viendrait à s’engager dans des forces djihadistes, comme le fait déjà, d’ailleurs, le Royaume-Uni.

J’espère également que notre assemblée prendra en compte l’amendement d’Alain Marsaud – mais je sais que vous avez répondu, monsieur le ministre – visant à priver de certaines allocations ceux qui partiraient mener le djihad dans les pays concernés. Enfin, je souhaite rappeler que, malgré nos difficultés financières, et au-delà des dispositions législatives, il est important de débloquer des moyens humains et financiers pour les services en charge de ces questions.

Ainsi, s’il est évident que les dispositions de ce projet de loi doivent être mises en oeuvre rapidement pour lutter efficacement contre le terrorisme et qu’elles vont dans la bonne direction, force m’est de dire qu’elles me semblent encore insuffisantes par rapport aux enjeux réels auxquels elles prétendent répondre.

En conclusion, il y a effectivement aujourd’hui un consensus évident pour éviter de nouveaux endoctrinements sur notre territoire et autant de menaces pour notre sécurité. Cependant, si ce texte présente des avancées importantes et traite d’une priorité absolue pour notre sécurité nationale, je persiste à penser que notre gouvernement aurait dû aller plus loin. Toutes les solutions pour empêcher le terrorisme de continuer à se développer sur notre territoire auraient dû être approfondies.

C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne voterai pas ce projet de loi.

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