Intervention de Philippe Goujon

Séance en hémicycle du 15 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

,Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où, au seul nom de la haine, certains de nos concitoyens prennent les armes contre leur propre pays ; à l’heure où l’on apprend que Mehdi Nemmouche, avant de commettre à son retour en Europe l’abominable tuerie du musée juif de Bruxelles, était le geôlier et le tortionnaire de quatre journalistes Français en Syrie ; à l’heure où le cas de Mourad Farès illustre la facilité avec laquelle s’effectue le recrutement de candidats au djihad syrien sur les réseaux sociaux ; à l’heure où le directeur de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste – l’UCLAT – déclare que la question n’est plus de savoir s’il y aura un attentat en France mais quand il aura lieu ; ce texte, malgré ses insuffisances au regard des défis qu’il prétend relever, vient compléter notre arsenal juridique pour mieux protéger notre territoire contre la menace terroriste, plus diffuse et dangereuse que jamais. Nous espérons que plusieurs de nos amendements seront adoptés.

Le groupe UMP a voté la loi du 21 décembre 2012, qui reprenait en partie les dispositions portées par la précédente majorité et répondait à la nécessité de pérenniser le cadre juridique établi par la loi antiterroriste de 2006, votée par la seule majorité de l’époque – faut-il le rappeler ?

La volonté commune de garantir la sécurité de nos compatriotes et l’intégrité de notre territoire nous rassemble en effet au-delà de nos appartenances politiques. Je ne comprends toujours pas pourquoi, monsieur le ministre, vous avez rejeté la proposition de loi UMP de lutte contre le terrorisme sur internet que nous avions présentée au début de cet été avec Guillaume Larrivé et Éric Ciotti. Elle aurait sans doute permis d’éviter dès ce moment l’embrigadement de nouveaux candidats au djihad.

Les ennemis de nos démocraties font en effet des stratégies de médiatisation sur internet un objectif prioritaire de recrutement, exigeant par exemple des apprentis djihadistes qui les ont rejoints de convaincre chacun cinq nouvelles recrues en promouvant le djihad sur leurs réseaux sociaux. Guides d’apprentis terroristes et manuels de fabrication artisanale de bombes côtoient sur internet les prêches intégristes et les vidéos d’atrocités commises au nom du djihad.

Devant la rapidité du phénomène de radicalisation observé par les services antiterroristes – il faut généralement moins de deux mois pour qu’un jeune salafiste se rallie au djihad – la réponse publique se doit d’être brutale et immédiate, y compris dans la sphère numérique, car elle est le vecteur principal de la radicalisation massive.

On doit déplorer à cet égard l’absence dans votre projet de loi du délit de consultation des sites internet faisant l’apologie du terrorisme ou provoquant au terrorisme, que nous vous exhortons à adopter depuis deux ans avec Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et Nathalie Kosciusko-Morizet.

Un tel délit permettrait d’évaluer au plus tôt la dangerosité des internautes concernés, de proposer aux mineurs un stage de désendoctrinement et d’inculper ceux qui entraînent les jeunes dans ce chemin de perdition. Complétant utilement le dispositif d’alerte téléphonique, il serait d’autant plus efficace que le juge antiterroriste Marc Trévidic a rappelé qu’un jeune musulman endoctriné, s’il est interpellé suffisamment tôt, reprend souvent une vie normale et abandonne ses velléités djihadistes qui ne correspondaient qu’à un moment particulier de sa vie, à une conjonction d’éléments qui ne se retrouveront plus.

II mettrait également notre législation en conformité avec le mémorandum de Rabat qui préconise la criminalisation des actes préparatoires au terrorisme. En outre, le risque juridique n’est pas avéré puisque le Conseil d’État et la Cour de cassation en ont une interprétation divergente. Nous vous proposerons donc des amendements en ce sens.

Puisque la guerre a lieu aussi sur internet, la responsabilisation des hébergeurs de sites quant aux contenus publiés ainsi que la procédure de blocage prévue par ce projet de loi démontrent qu’internet ne saurait constituer une zone de non-droit. Encore faudrait-il que, contrairement au dispositif de lutte contre la pédopornographie, Bercy consente à financer la mesure. Je rappelle que d’autres pays n’indemnisent pas les fournisseurs d’accès.

Le nouveau dispositif d’interdiction de sortie du territoire, emportant retrait du passeport, complété par le retrait automatique de la carte d’identité, s’inspire, en l’améliorant d’ailleurs, d’un amendement que nous avons cosigné avec Guillaume Larrivé et Éric Ciotti.

Mais, de même que la transmission des « données passagers » des compagnies de transport terrestre de voyageurs est un complément indispensable à la surveillance des passagers aériens, ces dispositions n’auront pas de réelle efficacité sans une adaptation du système d’information Schengen. En outre, comme d’autres l’ont souligné avant moi, le problème restera latent pour les binationaux.

Cette situation appelle une coopération renforcée avec les pays d’origine et une refonte de la législation encadrant la déchéance de nationalité, qui ne concerne aujourd’hui que les personnes l’ayant acquise depuis moins de dix ans. Engageons-nous donc plus résolument sur la voie ouverte par le Premier ministre, qui affirmait le 3 juin sur RMC qu’en la matière, il n’y avait pas de tabou.

Il nous paraît également important de savoir, monsieur le ministre, quelles mesures ont pu être prises par les autorités turques pour renforcer le contrôle de leurs frontières.

Le juge Trévidic a estimé que, depuis les années 2000, un bon tiers des djihadistes revenus en France avaient un projet terroriste. Vous avez vous-même rappelé, monsieur le ministre, que l’on recense aujourd’hui près de 1 000 Français parmi les quelque 3 000 Occidentaux partis faire le djihad : on mesure la gravité de la menace qu’ils représenteront à leur retour.

La création du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle permet de reconnaître enfin le phénomène des « loups solitaires », comme nous le réclamions depuis l’affaire Merah. Cependant, on complexifie ce délit à l’excès en exigeant deux éléments matériels pour qu’il soit constitué, au lieu de laisser au juge une possibilité d’appréciation.

Il importe également de mieux surveiller les individus pendant la phase de détention. Sans remettre en cause les droits du détenu à appeler ses proches par liaison téléphonique fixe ou à correspondre par écrit, garantis par la loi pénitentiaire, je proposerai d’inscrire dans la loi l’interdiction en milieu carcéral des téléphones portables, de même que des correspondances électroniques et de l’accès libre à internet. Mehdi Nemmouche avait été signalé aux services de renseignement par l’administration pénitentiaire après la découverte d’images à caractère djihadiste sur le téléphone portable trouvé en sa possession. Il serait donc assez invraisemblable de renoncer à la surveillance des téléphones clandestins, comme le Gouvernement le suggère, me semble-t-il, dans son amendement de suppression de l’article 15 bis, contre l’avis de la commission.

À ce sujet, il me paraîtrait aussi opportun d’élargir la composition du Conseil national du renseignement en y intégrant un représentant de l’état-major de sécurité de l’administration pénitentiaire, afin de faciliter la circulation de l’information avec les services de renseignement. Bien sûr, il faudrait aussi renforcer les effectifs de l’EMS3, qui compte seulement douze fonctionnaires pour surveiller 810 détenus, dont 250 liés au terrorisme.

Monsieur le ministre, chers collègues, à l’heure où la France s’apprête à s’engager militairement contre le groupe terroriste dit de « l’État islamique en Irak et au Levant », ne négligeons pas la menace intérieure que véhicule internet. Donnons-nous tous les moyens de lutter contre ces ennemis implacables des démocraties et des droits de l’homme, qui diffusent massivement leurs messages de haine et de violence et ne visent qu’à détruire le monde civilisé.

Chers collègues de la majorité, sachez faire preuve du même esprit républicain que celui qui nous anime, puisque nous allons voter ce texte, en prenant en compte nos propositions d’amélioration du projet de loi.

Monsieur le ministre, ne laissons subsister aucune faille dans notre arsenal juridique pour gagner la guerre contre le terrorisme et la barbarie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion