Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, oui, la France doit être unie en matière de lutte contre le terrorisme. Cependant, mon intervention ne sera pas à l’unisson de celles des autres membres du groupe UMP ; c’est pourquoi je remercie au préalable le groupe UMP de m’avoir laissé la parole pour apporter un éclairage différent.
Beaucoup d’entre nous sont déjà intervenus pour rappeler la gravité de la situation et l’obligation de garder à l’esprit, au moment de prendre des décisions, que le pire est sans doute à venir. Aujourd’hui, tous les experts s’accordent sur le fait, très inquiétant, que la France peut connaître sur son sol de nouveaux actes terroristes, comme l’affaire Merah l’a malheureusement montré en 2012.
Les départs et la radicalisation de jeunes dans la pratique du djihadisme ne sont pas des faits nouveaux : ils sont connus, observés, analysés et surveillés depuis le milieu des années 1990. Mais tous les experts s’accordent aussi à dire que le phénomène syrien atteint une ampleur jamais égalée auparavant. Les départs sont beaucoup plus importants et concernent des individus aux profils très différents, qui deviennent par conséquent souvent difficiles à identifier.
Nul non plus ne pourrait nier l’usage que font d’internet les groupes terroristes recruteurs et les jeunes aspirant à se radicaliser. Internet n’est qu’un moyen, qui vient généralement en appui à des contacts bien physiques et locaux. L’usage d’internet est facile, rapide et discret ; il permet ainsi à ceux qui le souhaitent de chercher des informations, puis, éventuellement, de s’endoctriner, et enfin d’entrer en contact avec des groupes constitués sur place et d’élaborer un projet de départ.
En revanche, les différentes personnes auditionnées, notamment le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, sont en désaccord quant aux moyens à mettre en oeuvre pour contrôler ou empêcher efficacement ces sites internet de nuire. Et pour cause ! La plupart estiment que les dispositions de ce projet de loi relatives à l’usage d’internet comme outil de propagande seront sans effet pour lutter contre le terrorisme. Monsieur le ministre, seul le retrait à la source des contenus illicites est efficace ; il est donc urgent d’entamer des négociations sur ce point avec les États-Unis et le Canada.
Pourquoi dès lors vouloir introduire coûte que coûte de telles dispositions dans ce texte ? Je veux m’arrêter spécifiquement sur cet aspect du projet de loi, sur votre volonté, votre persévérance, votre obstination, devrais-je dire, à prévoir une aggravation des sanctions quand le délit est commis via internet et à élargir encore, par une extension de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le champ d’application du rôle de police privée des hébergeurs et du filtrage administratif, sans contrôle judiciaire d’internet.
Je constate malheureusement plusieurs choses récurrentes. Les dispositions relatives au filtrage administratif du Net, prévues à l’article 9, relèvent au mieux d’une méconnaissance du fonctionnement des réseaux, et donc de l’amateurisme, au pire d’une atteinte volontaire aux libertés individuelles des internautes par l’absence préalable de saisine du juge judiciaire.
Le parti socialiste se perd une nouvelle fois dans ses contradictions, puisqu’il avait combattu en 2011 les dispositions prévoyant un filtrage administratif de la pédopornographie en ligne, à l’article 4 de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dans le cadre d’un amendement du groupe parlementaire SRC signé par l’ensemble des députés socialistes. J’ai encore en mémoire les propos de Patrick Bloche, de Christian Paul, qui était dans cet hémicycle il y a quelques instants, et même de Corinne Erhel. Pourquoi sont ils tous les trois si discrets ce soir ?
Monsieur le ministre, tout ceci donne l’impression que, face au constat de l’utilisation d’internet dans le phénomène de radicalisation, vous avez réagi comme votre prédécesseur, et même comme le ministre de l’intérieur précédent. Vous vous êtes dit : « On doit faire quelque chose pour arrêter la diffusion et la consultation de ces sites internet ; alors on va mettre en place le même dispositif que pour la lutte contre la pédopornographie en ligne. On va filtrer, sans passer par un juge, car il faut aller vite, il faut être réactif. » Et hop, la décision est prise ! Est-ce sérieux ?
Monsieur le ministre, vous êtes-vous posé deux questions essentielles ? Quelles sont les conséquences du fait de vouloir systématiquement écarter la justice a priori lorsqu’il s’agit d’internet ? Le dispositif proposé est-il réellement efficace et utile ? N’a-t-il pas, au contraire, des effets pervers ? Non, vous ne vous êtes pas vraiment posé ces questions, c’est évident ! Et pourtant, elles sont primordiales. Pour vous, l’important était de montrer que vous preniez des décisions et que vous agissiez face à ces nouveaux cyber-risques. C’est exactement la posture que vous reprochiez hier, avec force, à un certain Nicolas Sarkozy. Alors, je vais me permettre de répondre à ces deux questions.
La première question porte sur les conséquences de votre choix d’écarter le juge judiciaire préalablement. En quoi un délit commis sur internet doit-il faire l’objet d’une procédure ne permettant pas le débat contradictoire préalable et l’expression de la défense ?