Tout le monde reconnaît que les images de pédopornographie en ligne ou de provocation au terrorisme sont abjectes et ignobles, et qu’il est de bon sens de les interdire et d’empêcher leur diffusion le plus rapidement possible. Mais, loi après loi, vous mettez le doigt dans un engrenage bien pervers. Texte après texte, vous diffusez une doctrine attentatoire aux libertés individuelles : quand un délit est commis sur internet, alors aucun juge n’est saisi au préalable. Or internet n’est pas un monde à part ou placé hors du droit. Le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à permettre le respect de l’ensemble des intérêts en présence lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques. Non seulement ce préalable constitue une garantie forte de la liberté d’expression, mais il vise aussi à préserver la liberté de communication et la neutralité des réseaux. Votre choix risque d’entraîner une systématisation du filtrage administratif ; c’est d’ailleurs ce qui avait été initialement proposé, dans une récente proposition de loi déposée par le groupe SRC, pour lutter contre les sites de proxénétisme.
Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a créé en février 2014 une commission ad hoc de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique. Composée de treize députés de tous bords et de treize personnalités qualifiées, cette commission est co-présidée par le député socialiste Christian Paul et l’ancienne bâtonnière Christiane Féral-Schuhl. Elle s’est fixé l’objectif de définir une doctrine et des principes durables en matière de protection des droits et libertés à l’âge numérique, et ainsi d’éclairer les travaux parlementaires sur cette question. Elle a remis à la commission des lois un avis très réservé sur l’article 9. Alors qu’il est issu du travail de députés et d’experts qualifiés, cet avis n’a pas été pris en compte.