Comment se fait-il que nous ne prenions pas davantage en compte le rapport avec le monde chiite, qui donne une possibilité d’exégèse ? Comment se fait-il que nous laissions les Américains, toujours eux, condamner la BNP, interdire à Peugeot de travailler sur le sol de la Perse, alors qu’eux-mêmes préparent leur retour et qu’ils n’ont jamais cessé le commerce avec l’Iran, par personnes interposées ? Comment se fait-il, il y a quelques mois, que nous n’ayons pas dénoncé le fait que les autorités turques aient été obligées de donner des passeports à des réfugiés syriens djihadistes ?
Nos termes ne sont pas les bons. Nous qui avons le ventre plein, qui vivons dans une société où toute métaphysique est éloignée, qui oublions les paroles profondes des grandes religions, qui sommes plongés dans le consumérisme comme seul projet, pourquoi ne prenons-nous pas en compte deux dimensions psychologiques chez ceux qu’on appelle les djihadistes ?
Tout d’abord, dans une société dévitalisée, dévirilisée, pourquoi ne prend-on pas en considération la volonté, même pervertie, de vie brève, de vie qui vaut la peine d’être vécue, au nom d’un idéal de sensation même perverti ? Ensuite, pourquoi ne prend-on pas en compte le projet politique qui est derrière ?
Monsieur le ministre, au plan international, quelle est la situation de nos armées avec un budget de la défense dégradé sans cesse depuis des années ? Notre armée de l’air doit intervenir sur plusieurs théâtres d’opérations avec des ravitailleurs en vol qui sont plus vieux que les pilotes ! À quand le MRTT chez votre collègue de la défense nationale ?
Avec une intervention au sol en Afrique où les lignes de communication sont étendues au maximum, on peut craindre à terme des revers par des attaques sur ces lignes. Ce qui nous fait penser à ce qui s’est passé il y a quelques années à Kandahar, où une seule voie, contrôlée par un cousin de Ben Laden, fut attaquée à plusieurs reprises, privant de pétrole l’aviation de l’alliance, en particulier l’aviation américaine. C’est incohérent. Nous ne retenons rien de l’histoire militaire. Nous qui avons le ventre plein, qui croyons vivre en paix éternellement, qui sommes pleins de certitudes, nous allons adopter des lois d’exception au mépris du droit qui fonde notre civilisation. De la sorte, faute de mieux, nous allons donner une première victoire à ceux que nous appelons les terroristes.
Je ne sais pas, d’un point de vue moral, quelle sera mon attitude, monsieur le ministre, par rapport à cette loi. Ce que je sais, c’est qu’elle ne résoudra rien du problème de fond tant que nous ne reviendrons pas à la constitution d’un roman national ; et tant que nous ne reviendrons pas à une position ferme dans les domaines où le territoire républicain est sans cesse grignoté.
Dans les prisons, monsieur le ministre, le règlement pénitentiaire n’est pas appliqué, je l’avais dénoncé il y a plusieurs années à votre prédécesseur. On installe des portiques, mais les prisonniers ne les empruntent pas avec leurs objets métalliques, tant les gardiens ont peur de prendre un coup dans le ventre par une arme fabriquée dans les ateliers même des centrales de France, monsieur le ministre ! Les portes sont ouvertes. Comment se fait-il qu’un magistrat accepte, sous prétexte de prières au moment où il doit recevoir un détenu, que celui-ci soit raccompagné par nos gendarmes ? Comment se fait-il que, sous prétexte de prières, que dans les prisons, les centrales de France, on autorise trois personnes à rester dans la cellule contrairement au règlement intérieur ?
Par rapport à la conquête, pas à pas, du territoire par celles et ceux qui utilisent un islam sunnite dévoyé, comment se fait-il que nous n’ayons rien fait depuis des années ?
Alors, monsieur le ministre, vous faites ce que vous pouvez, mais il nous faut davantage réfléchir au sens des mots que nous employons. J’ai été sensible aux propos de mon collègue Malek Boutih. Même s’ils utilisent une violence digne d’Orange mécanique, ces gens qui font la guerre, là-bas, sont nos enfants. Ils sont parmi nous et si nous ne luttons pas pied à pied par l’enseignement de l’histoire, et par le respect de la loi, y compris en prison, nous aurons perdu cette guerre et dans quelques années, le temps d’une génération, nous aurons tous disparu.