Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 15 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Je n’accède pas à ce raisonnement !

Vous me dites ensuite : « Ce n’est pas bien, parce que vous le faites par l’intermédiaire du juge administratif, qui assurera le contrôle de la décision administrative prise par vous, et non par le biais du juge judiciaire. » Je répondrai ceci : tout d’abord, que faites-vous si, demain, étant à ma place, vous constatez que certains sites conduisent à l’embrigadement de dizaines et de dizaines de jeunes dans nos quartiers, que l’action publique n’est pas déclenchée, que le juge judiciaire n’intervient pas et qu’il y a urgence ? Vous serez alors obligée de prendre une décision, d’intervenir. Ne pouvant le faire sans que le juge ne vous contrôle, vous demandez donc à une personnalité qualifiée de donner son avis, dont vous tenez compte, et vous demandez au juge judiciaire de contrôler les conditions dans lesquelles vous procédez au blocage des sites, et vous ne le faites qu’après avoir demandé à l’hébergeur de bien vouloir lui-même procéder à la régulation.

C’est donc une grande confiance que traduit le dispositif que nous mettons en place. Cette grande confiance est celle que l’on veut voir prévaloir dans la relation avec les opérateurs internet et les hébergeurs. Nous commençons par leur demander de retirer les images et, si les hébergeurs ne le font pas eux-mêmes – ce qui d’ailleurs ne serait pas très logique compte tenu du grand esprit de responsabilité que vous leur prêtez et qui doit les conduire à s’autoréguler –, alors nous le faisons nous-mêmes, au titre des pouvoirs de police administrative dont nous disposons, sous le contrôle du juge administratif, qui est un juge des libertés. Le juge judiciaire, s’il constate que les raisons pour lesquelles nous demandons la disparition de ces images peuvent relever d’une infraction pénale, peut tout à fait prendre, dans la foulée, le relais de ce que nous faisons avec le juge administratif, parvenant ainsi à la judiciarisation que vous appelez de vos voeux.

Je ne comprends donc pas d’où vient le raisonnement qui consiste à dire que ce que nous nous proposons de faire sur internet est hautement attentatoire aux libertés publiques, comme s’il y avait une liberté d’appeler au djihad et au crime sur internet sans préjudice aucun pour les hébergeurs et les opérateurs qui procèdent à cela ; puis, que cela se fait au détriment du juge judiciaire, alors qu’il peut à tout moment prendre le relais ; enfin, que cela peut éventuellement conduire à la remise en cause de libertés individuelles, que nous protégeons précisément grandement en mettant en oeuvre les dispositifs dont je vous parle.

Comme vous le voyez, j’ai pris deux exemples qui montrent que, sur les sujets dont nous parlons, il y a beaucoup de postures – beaucoup ! – parce que l’on regarde les sujets auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, à une époque où le terrorisme est en libre accès pour toutes les raisons indiquées depuis le début du débat, comme si nous étions dans la situation des années 1980 ou des années 1970; On avait alors des groupes terroristes composés de quelques personnes seulement, qui commettaient des actes de façon ponctuelle sans aucun risque sérieux pour l’équilibre de nos sociétés. Or ce n’est pas la situation dans laquelle nous nous trouvons, même si je suis le premier à le regretter ! Si l’on veut protéger nos libertés, si l’on veut protéger nos valeurs, si l’on veut protéger la République, si l’on veut protéger ses principes, si l’on veut s’insurger contre toutes ces formes de violence qui sont attentatoires aux droits de l’homme, qui sont le contraire de ce pourquoi tous les humanistes dans la République se sont battus, alors il faut prendre la mesure du problème, dire réellement quelle est la nature du danger et s’armer pour faire en sorte que nos libertés ne soient jamais atteintes.

Enfin, il y a un dernier point sur lequel je voudrais insister : des propositions d’amendements ont été présentées, sans d’ailleurs que les choses soient jamais vraiment dites quant à leur contenu, par l’opposition sur le thème : « Il faut s’occuper de ceux qui reviennent ». Vous avez raison : il faut s’occuper de ceux qui reviennent ; M. Bertrand, notamment, a dit cela. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous en occupons grandement ! Des incriminations pénales existent d’ores et déjà : certaines sont anciennes, comme l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, d’autres vont être créées, comme l’entreprise terroriste individuelle. Lorsque nos services récupèrent, comme c’est le cas parfois dans le cadre de coopérations avec d’autres pays de l’Union européenne, et parfois aussi dans le cadre d’une coopération avec la Turquie, des ressortissants français qui sont engagés dans des opérations djihadistes, en commettant des crimes qui relèvent de ces infractions pénales, nos services procèdent immédiatement à l’audition de ces djihadistes et de ces terroristes, procèdent à leur mise en examen, à leur mise sous contrôle judiciaire et à leur emprisonnement. Je veux d’ailleurs vous indiquer que nous avons, parmi les cent quatre-vingt-cinq qui sont revenus, procédé à plus d’une centaine d’interpellations – ce qui ne veut pas dire que d’autres n’interviendront pas –, à près de soixante-dix mises en examen et à plus de cinquante incarcérations. Cette proportion très significative est donc bien la preuve que nous sommes en situation aujourd’hui d’agir dès lors qu’ils reviennent ; et comme nous créons une incrimination pénale supplémentaire qui nous permettra d’être plus efficaces dans le traitement de ces personnes, nos services de police, de renseignement et de justice sont armés pour faire face à ces retours. Ce que nous allons mettre en place dans le cadre de la loi nous permettra d’être plus efficaces encore.

Enfin, je voudrais terminer en disant un mot au député Collard – je regrette qu’il ne soit pas là. Le député Collard dit : « Il faut prendre la mesure des choses, il faut que vous fassiez ce qu’il faut, vous êtes responsables de ce que vous ne faites pas, vous êtes d’ailleurs aussi responsables de ce que vous faites » – ce qui est vrai – et par ailleurs, « vous devez faire en sorte que le juge, le juge, le juge… » – toujours le juge ! Je réponds la chose suivante à M. Collard : Mme Le Pen, dans une interview qu’elle a donnée il y a dix jours, et que je vous invite à lire – peut-être M. Collard ne l’a-t-il pas vue ? –, proposait simplement qu’on ne prenne pas de dispositions pour empêcher le départ des ressortissants français vers les groupes djihadistes. Selon elle, le problème n’est pas qu’ils partent ou qu’ils ne partent pas, mais qu’ils ne reviennent pas. Mais tout d’abord, pour qu’ils ne reviennent pas, il faudrait qu’ils soient partis ! Notre objectif à nous est d’empêcher qu’ils partent parce que, s’ils partent, on sait vers quoi ils se dirigent, on sait la violence qu’ils fréquenteront, on sait le danger qu’ils représenteront.

Je trouve qu’il n’est pas responsable, de la part de gens qui parlent haut et fort tous les jours sur la sécurité, de faire des déclarations de ce type qui sont hautement irresponsables compte tenu de ce que l’on sait des actes commis par ceux qui sont partis ! À quoi sert-il de s’indigner – et on a raison de le faire – du fait que Mehdi Nemmouche ait pu être le geôlier et le tortionnaire de nos journalistes si, dans le même temps que l’on constate les actes qu’il a commis après qu’il est parti, on propose que l’on ne fasse rien pour empêcher les gens de partir ? Cela n’a pas de sens ! C’est d’une incohérence absolue !

Par ailleurs, quand M. Collard dit : « Le juge, le juge, le juge ! », vous avez remarqué que, dans les dispositions législatives qu’on vous propose, le juge est partout ! Il est partout en contrôle, avec la volonté d’assurer la protection des libertés publiques ; c’est la raison pour laquelle le juge administratif, sans préjudice de l’intervention du juge judiciaire, a été mobilisé.

Voilà ce que je voulais vous dire, en vous remerciant toutes et tous pour la qualité de vos contributions à ce débat. Nous nous retrouverons demain pour entrer dans le détail du texte : ce sera encore plus passionnant que d’évoquer les généralités d’aujourd’hui, qui furent de toutes les façons une excellente contribution au débat. Je reforme le voeu que ce sujet qui nous occupe soit traité de façon très républicaine – mais j’ai remarqué que c’était l’esprit de tous les groupes –, avec la volonté de faire en sorte que, sur cette question, dans un esprit d’unité nationale, nous puissions être armés face à un risque qui menace nos libertés publiques, la sécurité de nos ressortissants et les équilibres démocratiques auxquels notre pays est grandement attaché.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion