Pas davantage.
La CRE n'est pas une instance de décision en matière d'énergies renouvelables ; elle donne simplement un avis sur les arrêtés relatifs au tarif de l'obligation d'achat, pris par les ministres. Sur la base des conditions générales fixées par le ministre de l'énergie, la CRE rédige un projet de cahier des charges – arrêté par le ministre – pour les appels d'offres, répond aux questions des candidats, analyse et classe les offres reçues, et donne enfin un avis sur le choix des candidats, qui relève lui aussi de la responsabilité ministérielle.
Depuis 2011, la CRE a instruit sept appels d'offres : deux au titre des installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts, deux pour celles de 100 à 250 kilowatts, deux au titre des éoliennes en mer, et une pour les éoliennes avec stockage dans les DOM et en Corse ; cela représente au total une puissance de 5 100 mégawatts, soit deux fois plus qu'au cours des neuf années précédentes. La CRE a d'ailleurs reçu plus de 4 500 dossiers.
L'évolution des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, prévue par les articles 23, 24 et 25 du projet de loi, concorde avec les préconisations que la CRE avait déjà exprimées à plusieurs reprises, notamment lors de la dernière consultation publique organisée par le ministre. Sont ainsi inscrits dans le texte l'introduction d'un mécanisme de soutien du type « prix de marché plus prime » – qui constitue le complément de rémunération –, un recours accru aux appels d'offres et le renforcement des sanctions en cas d'infraction ou de manquement aux clauses d'un contrat d'achat ou d'un cahier des charges.
Le projet de loi ne contient en revanche aucun dispositif de prise en compte de l'autoconsommation.
La définition retenue pour le calcul du complément de rémunération abandonne la logique de la référence aux coûts évités et aux externalités des moyens de production – qui s'avèrent difficiles à objectiver – et se limite à un critère lié au niveau de rémunération du producteur. La CRE est favorable à ces nouvelles définitions qui permettent de clarifier le cadre de ses missions. Toutefois, en l'état actuel, le texte ne précise pas si ce calcul sera réalisé ex post ou ex ante ; or ces deux modalités présentent des implications très différentes pour l'efficacité des dispositions de soutien et pour le contrôle et la maîtrise des charges de service public. La CRE considère que la prime ex ante devrait être écartée, en ce qu'elle fait porter des risques supplémentaires sur les porteurs de projet et conduit donc à un renchérissement considérable le coût des énergies renouvelables pour un bénéfice sur les marchés très limité. La commission lui préfère donc une prime ex post qui permet d'obtenir les mêmes effets sur les marchés sans ces inconvénients. L'importance des enjeux qu'emporte cette précision sur la forme du complément de rémunération justifierait qu'elle figure dans le projet de loi.
Du fait du grand nombre de contrats d'obligation d'achat détenus par EDF Énergies Nouvelles – filiale à 100 % du groupe EDF –, il apparaît pertinent que l'acheteur unique prévu par le projet de loi ne soit plus EDF Obligation d'achat. La CRE estime que RTE présente les conditions d'indépendance requises et que la gestion du dispositif lui permettrait d'avoir accès à des informations sur la production et d'améliorer ses modèles de prévision.
Le recours plus systématique aux appels d'offres répond aux nouvelles lignes directrices de la Commission européenne, publiées en avril 2014, concernant les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie pour la période comprise entre 2014 et 2020. La CRE s'est exprimée à diverses reprises sur les avantages de ce dispositif pour les filières les plus concurrentielles et a insisté sur le besoin d'accorder une part importante au prix dans la sélection des candidats. Depuis 2011, elle a pu observer une diminution de 25 % du prix moyen pondéré des projets lauréats des appels d'offres photovoltaïques pour les petites installations – de 217 euros par mégawattheure à 162 euros. Le dernier appel d'offres a fait ressortir un prix de l'ordre de 150 euros, qu'il faut comparer au coût moyen de 480 euros pour les installations bénéficiant de l'obligation d'achat. La CRE a également suggéré de recourir aux appels d'offres pour la filière éolienne terrestre, où la concurrence entre les acteurs est forte. L'appel d'offres permet aussi de contrôler le développement des filières, en déterminant ex ante le volume total des nouvelles installations, et de définir la localisation des installations pour favoriser un développement régionalisé.
La CRE s'est exprimée à diverses reprises sur la nécessité de contrôles et de sanctions effectifs face aux cas de dérives frauduleuses qu'elle a pu identifier dans le cadre de ses missions de gestion de la CSPE – par exemple, sur la qualification de l'intégration au bâti pour le photovoltaïque. Les modalités de contrôle des installations, compte tenu des conséquences sur le niveau des charges de service public dans un contexte de renforcement de la surveillance de la gestion de la CSPE, mériteraient d'être stabilisées par voie réglementaire.
S'agissant des zones non interconnectées (ZNI), j'avais écrit en octobre 2013 au Premier ministre pour l'alerter de la nécessité de disposer d'un outil de planification des investissements dans les moyens de production d'électricité ou de maîtrise de la demande d'électricité, afin d'améliorer la gouvernance dans les DOM et de clarifier le rôle et les missions confiées à la CRE dans le cadre de la péréquation tarifaire. Nous nous réjouissons que les DOM, la Corse et Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficient désormais de leur propre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), définie à l'article 49 du projet de loi. Ce nouvel outil permettra de disposer d'une vision intégrant le développement concomitant de la production renouvelable, du stockage et des actions de maîtrise de la demande en électricité.
La définition d'une enveloppe quinquennale de moyens publics alloués à la réalisation de l'objectif de mix énergétique devrait par ailleurs permettre une maîtrise de l'augmentation des charges de service public ou, a minima, une meilleure visibilité sur leur évolution.
Le projet de loi ne dit rien du partage entre les régions de Guadeloupe et de Martinique et la CSPE sur la prise en charge des surcoûts résultant de dispositifs spécifiques à un territoire, adoptés dans le cadre des habilitations. Ce silence peut poser un problème.
Le sujet ayant trait à la gouvernance de la CSPE est lié aux dispositions relatives aux énergies renouvelables et aux ZNI qui ont une incidence sur le niveau des charges couvertes. La CRE exerce les missions prévues par le code de l'énergie ; ainsi, elle propose au ministre chargé de l'énergie, avant le 15 octobre de chaque année, le montant des charges à retenir pour l'année suivante et celui de la contribution unitaire permettant de les couvrir. Pour ce faire, elle étudie les déclarations de charges prévisionnelles et constatées qui lui sont transmises par 140 acteurs différents. D'importantes opérations de contrôle sont effectuées en cette occasion sur l'ensemble des données déclarées, qui représentent, pour la métropole continentale, 25 millions d'informations recouvrant 30 types de contrat et plus de 100 conditions tarifaires différentes. La CRE a développé des systèmes d'information pour effectuer cette tâche. Elle supervise les opérations de recouvrement et valide les demandes d'exonération de la CSPE, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui représentent plusieurs milliers de déclarations. Ces exonérations, applicables aux gros consommateurs industriels, sont chaque année plus nombreuses. Elle émet également un avis sur les décisions ayant des conséquences sur les charges de service public, à savoir les nouveaux projets d'investissement dans les ZNI et les tarifs d'obligations d'achat.
La CSPE représente aujourd'hui 6,2 milliards d'euros de charges au titre de l'année 2014, résultant du soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération – pour 4,2 milliards d'euros qui se divisent en 2,1 milliards pour le photovoltaïque, soit 34 % des charges totales, et 855 millions pour l'éolien, soit 14 % de celles-ci –, de la péréquation tarifaire dans les ZNI – représentant 1,7 milliard d'euros – et de la mise en oeuvre de dispositifs sociaux, soit 350 millions d'euros et 5,6 % des charges.
En 2014, la CSPE représente 13 % de la facture d'un client ; toutefois, elle reste fixée à un niveau inférieur à ce qu'il devrait être pour couvrir la totalité des charges, ce qui occasionne un important déficit de compensation pour EDF.
La CRE accueille favorablement la création d'un comité de gestion de la CSPE ayant pour vocation de favoriser la maîtrise des charges. Le fait de soumettre à un organe comprenant des parlementaires une évaluation du coût des charges liées aux appels d'offres – qui peuvent engager la CSPE pour 20 ans, pour des montants parfois considérables, comme les deux appels d'offres sur l'éolien en mer qui représentent 1,75 milliard d'euros par an pendant 20 ans – est logique compte tenu de la nature fiscale de ce prélèvement. Certaines des missions confiées à ce comité recoupent le travail que la CRE effectue déjà, notamment s'agissant des avis sur les décisions susceptibles d'affecter le niveau des charges et la publication de scénarios prospectifs. En mai 2011, j'avais présenté une simulation de la CSPE à l'horizon de 2020 : nous avions sous-estimé la progression de la CSPE car nous n'avions pas anticipé la baisse du prix de marché de gros. Dans le cadre de notre rapport sur le fonctionnement des marchés de détail de l'électricité et du gaz, nous avons publié depuis janvier 2013 des scénarios prospectifs et avons émis de nombreux avis sur la rentabilité des installations bénéficiant d'un dispositif de soutien, soit à l'occasion de la publication de nouveaux arrêtés tarifaires, soit lors de notre première analyse des coûts et de la rentabilité des filières d'énergies renouvelables, publiée en avril 2014. La mise à jour semestrielle des scénarios prospectifs d'évolution des charges pourrait être réalisée par la CRE, qui est l'organisme disposant de l'expertise et des données nécessaires.
Le Conseil d'État a récemment transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur la CSPE, qui porte sur le caractère insuffisamment précis de la définition de ses modalités de recouvrement par le législateur. La CRE a été saisie de 47 000 demandes de remboursement de la CSPE fondée sur ce moyen et sur celui de l'illégalité du tarif éolien de 2008. Elle n'a évidemment pas les moyens de faire face au recouvrement et au contentieux de la CSPE, qui n'a d'ailleurs aucun lien avec la régulation et qui devrait relever de l'administration fiscale.
La CRE suit les appels d'offres sur les énergies renouvelables, activité chronophage imposée par le législateur national, mais qui ne correspond pas au rôle de régulateur de la commission ; d'ailleurs, aucune directive européenne n'impose que cette tâche soit assumée par une autorité administrative indépendante de régulation. Cette situation pose à la CRE des problèmes de moyens. L'administration fiscale pourrait être chargée de cette mission et de celle liée à la CSPE.
Concernant les électro-intensifs, la CRE se félicite du principe de l'inclusion de dispositions sur ces consommateurs à l'article 43 du projet de loi, qu'elle a d'une certaine façon anticipée dans sa délibération du 7 mai 2014. Pour qu'un tel dispositif puisse être efficacement mis en vigueur, deux éléments importants doivent être pris en compte : tout d'abord, des échanges avec la Commission européenne – et avec l'Allemagne et les Pays Bas qui ont adopté des mesures comparables – concernant le principe, le niveau et les justifications de l'abattement sont souhaitables, afin que les pays de l'Union européenne (UE) aient une approche harmonisée des mesures concernant leurs industries électro-intensives et ne se livrent pas à une concurrence tarifaire en la matière ; ensuite, il est très important que la loi ne se contente pas de renvoyer à une approche technique et économique pour fonder le calcul de l'abattement. Elle doit en effet définir d'autres critères pour le justifier, en délimitant les catégories concernées et en fixant les modalités de calcul voire son montant. En l'état actuel du texte, la CRE n'aura pas les compétences techniques et économiques pour faire face au dispositif créé par la loi.
Le droit à l'expérimentation locale permettra d'offrir au gestionnaire de réseau de distribution un service de flexibilité locale. L'article 58 du projet de loi introduit un droit à l'expérimentation des boucles locales, afin de fédérer au sein d'une association un ensemble de consommateurs et de producteurs, et de gérer les flux d'électricité en corrélant consommation et production à la maille locale ; cela doit se traduire, d'après le texte, par une convention conclue avec le gestionnaire de réseau et dont les modalités financières et techniques doivent être soumises à l'approbation de la CRE. Celle-ci est évidemment favorable à ce que des acteurs puissent s'associer localement pour innover, mais nous nous interrogeons sur ce qui pourrait être soumis à l'approbation du régulateur. En outre, ce dispositif aurait pour effet d'imposer des modalités particulièrement contraignantes ; ainsi, une collectivité devra regrouper les acteurs en association, l'avis conforme du gestionnaire de réseau sera nécessaire, l'association constituée ne pourra pas pouvoir évoluer au fil du temps alors que de nouveaux acteurs pourraient souhaiter la rejoindre, et les modalités techniques et financières devront faire l'objet d'une approbation du régulateur avant toute mise en oeuvre. Ce système nous semble un peu lourd et complexe.
L'article 59 du projet de loi introduit un droit à un déploiement expérimental d'un ensemble de solutions de réseaux électriques intelligents dans une zone géographique, permettant au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour mener à bien cette expérience. Sans attendre la publication d'une ordonnance pour accompagner ce déploiement expérimental, la CRE a déjà identifié des évolutions législatives qu'il conviendrait d'adopter dès maintenant. Dans sa délibération du 12 juin 2014 portant recommandations sur le développement des réseaux électriques intelligents en basse tension, elle propose trois modifications de la loi touchant à la qualification juridique de l'activité de recharge du véhicule électrique, à la prise en compte par le code de l'énergie des installations de stockage d'électricité et à la création d'un nouveau chapitre dans le code de l'énergie sur la modulation à la hausse de la consommation, en complément de l'effacement
L'article 47 du projet de loi dispose que « la CRE peut faire contrôler aux frais des entreprises les informations qu'elle recueille dans le cadre de ses missions ». Ces dispositions sont essentielles pour la CRE dans le contexte budgétaire actuel très contraint – la CRE ne dispose plus en effet que de ressources très limitées pour financer des audits sur les 50 milliards d'euros de facture d'énergie qu'elle fixe ou qu'elle contrôle –, car elles lui permettraient de transférer la charge de ces contrôles aux entreprises concernées. Il serait utile de préciser que ces contrôles sont effectués, comme dans les dispositions actuellement applicables à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), « par un organisme indépendant qu'elle choisit ». Concrètement, les auditeurs seront choisis par la CRE dans une procédure de marché public et payés par l'opérateur concerné via une délégation de paiement. Nous parlons là d'une somme n'excédant pas un million d'euros.