Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 11 septembre 2014 à 17h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Je vous remercie, monsieur le président.

Comme vous le souligniez, la Caisse des dépôts et consignations est présente dans la vie publique depuis 1816. Elle ne manie pas de deniers publics au sens de produit de l'impôt ; elle travaille avec le produit de l'épargne des Français. Nous sommes donc contributeur et contribuable, et non utilisateur de l'argent public au sens de la loi de finances.

Entre autres missions, qui ont été réactualisées en 2001, le législateur a expressément confié à la Caisse celle du développement durable. Cela est assez cohérent puisque celle-ci a pour mission générale, avec l'argent issu de l'épargne des Français et des dépôts des professions réglementées, d'engager des capitaux sur une durée longue pour financer des investissements dont les revenus sont différés dans le temps. Cela explique pourquoi, depuis de nombreuses années, la Caisse est très présente dans l'accompagnement des politiques publiques menées en faveur de la transition énergétique.

Si je ne suis arrivé à ce poste que depuis trois mois, la Caisse des dépôts réfléchit depuis un an et demi à ses projets et a retenu la transition énergétique parmi ses orientations stratégiques. J'ai pour ma part proposé d'aller au-delà et de faire de la transition écologique et énergétique l'un des grands thèmes fédérateurs d'avenir du groupe – de même que la Caisse fut pendant de nombreuses années le grand outil de l'aménagement du territoire, depuis les chemins de fer jusqu'à la reconstruction de l'après-guerre, de l'après-guerre jusqu'aux grands projets d'aménagement du territoire de l'époque de Paul Delouvrier et de Robert Lion, et enfin avec les programmes de renouvellement urbain. C'est ce que j'ai exposé devant les commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat.

La transition énergétique concerne d'ores et déjà plusieurs compartiments de la Caisse : celle-ci intervient en tant que prêteur via son fonds d'épargne, en tant qu'investisseur en fonds propres, en tant qu'opérateur, et depuis quelques années, en tant que mandataire du PIA. Je vous présenterai son action dans ce secteur, ce qui relativisera le lieu commun que vous évoquiez, selon lequel notre organisme serait une grande caisse permettant de financer de nombreux projets. Nous pouvons certes faire beaucoup de choses, mais avec un bilan contraint.

Premier domaine dans lequel notre groupe contribue à la transition énergétique : la rénovation énergétique des logements sociaux et des bâtiments publics.

S'agissant du logement, le dispositif de l'éco-prêt-logement social (éco-PLS) constitue depuis sa création en 2009 le prêt au taux le plus bas de l'ensemble de la gamme de prêts de la Caisse des dépôts et consignations, à 0,5 %. Entre 2009 et 2013, environ 40 000 logements ont été réhabilités et en 2012-2013, 1,3 milliard d'euros ont été engagés pour rénover 108 000 logements sociaux. L'objectif que nous ont fixé les pouvoirs publics est de parvenir à un rythme de 70 000 logements rénovés par an dans les prochaines années. À ce titre, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, intervient pour rénover des logements en tant qu'opérateur, à hauteur de 8 100 logements sociaux rénovés l'an dernier, et 6 000 logements sociaux ou intermédiaires mis en chantier aux meilleurs standards énergétiques.

Pour ce qui est des bâtiments publics, il a été décidé l'an dernier d'ouvrir au sein du fonds d'épargne de la caisse une enveloppe globale de 20 milliards d'euros d'aide aux collectivités locales sous forme de prêts à taux préférentiel. Parmi ces 20 milliards, une enveloppe particulière de 5 milliards de prêts sur fonds d'épargne à taux préférentiels appelés prêts de « croissance verte » est destinée à financer les projets de nouveaux bâtiments à énergie positive. Le taux de ces prêts est très bonifié, correspondant au taux du livret A plus 0,75 %. Ce taux est donc intéressant, malgré la baisse des taux d'intérêt. Ce dispositif permettra de contribuer au programme Bâtiments publics qui constitue l'un des axes du projet de loi. Nous avons aussi créé un opérateur particulier, Exterimmo, petite filiale capitalisée à hauteur de 25 millions d'euros, qui commence ses premières opérations et intervient notamment sur les bâtiments publics. L'idée consiste à mettre à disposition des collectivités locales un ensemblier qui prenne en charge la globalité de la réhabilitation, de la conception à la réalisation des travaux en passant par leur financement.

Deuxième domaine d'intervention : la transition écologique et énergétique dans les territoires.

La Caisse des dépôts et consignations investit tout d'abord dans les énergies renouvelables, soit dans des PME soit dans des entités liées aux collectivités locales – entreprises locales de distribution ou entreprises publiques locales. Concrètement, nous investissons par une entrée minoritaire au capital de sociétés de projet. Cela représente environ 140 millions d'euros pour 2011-2013, notre priorité étant l'investissement dans les projets en faveur de la biomasse et de la géothermie, comme nous le demandent les collectivités locales. Nous sommes également présents dans la Compagnie nationale du Rhône, dont le capital est majoritairement public. La Caisse des dépôts en détient 33 % et les collectivités locales près de 17 %, tandis que GDF-Suez n'en détient que 49,97 %. Cette entreprise publique dynamique produit 25 % de l'hydroélectricité du pays et dispose d'une capacité installée de 3 000 mégawatts. Au-delà des travaux qu'elle réalise sur le Rhône, la CNR développe des projets éoliens et solaires dans toute la France.

Nous contribuons également au développement des éco-quartiers, soit par le biais de prêts dédiés sur les fonds d'épargne, soit par le biais du PIA. Pour l'heure, nos programmes ont permis d'accompagner des démonstrateurs dans dix-neuf éco-cités. Près de 300 millions d'euros de PIA ont été engagés, permettant de générer un montant global d'investissement de l'ordre de 3 milliards d'euros. Ces actions visent à réduire la consommation énergétique, à développer les réseaux intelligents et à assurer la qualité des espaces publics en y intégrant les technologies de l'information et de la communication.

De leur côté, les filiales du groupe – la SCET et Egis – accompagnent les collectivités locales dans leur politique de rénovation énergétique.

Enfin, la politique globale de la Caisse des dépôts et consignations vis-à-vis des territoires a intégré à toutes ses actions les enjeux du développement durable et de la transition énergétique. Mais le projet de loi, une fois qu'il aura été adopté par le Parlement, permettra de renforcer cette dynamique.

Troisième domaine d'intervention : le financement des infrastructures de transport et de mobilité durables.

Notre groupe finance sur fonds d'épargne presque toutes les infrastructures de transport, et en particulier de transport durable. Depuis de nombreuses années, nous avons accompagné la construction de la quasi-totalité des lignes à grande vitesse ainsi que les projets de transports fluviaux et de transports collectifs urbains. Les projets d'infrastructures durables sont désormais éligibles à l'enveloppe de 5 milliards d'euros de prêts « croissance verte » que j'évoquais tout à l'heure.

Enfin, la filiale Transdev, dont nous partageons l'actionnariat avec le groupe Veolia, est un acteur majeur auquel nous avons demandé de mettre l'accent sur l'impact en carbone des transports et auquel nous avons assigné un objectif de réduction de la dépendance à l'automobile.

Dernier domaine d'intervention : le soutien aux entreprises de la transition énergétique. Concrètement, nous soutenons la filière « transition écologique et énergétique » et développons un programme de financement des projets d'efficacité énergétique dans les entreprises industrielles. Nous recourons pour ce faire à deux canaux, à commencer par BPI France qui, en 2013, a apporté 900 millions d'euros à des opérations de financement et d'investissement en direction d'entreprises de TEE : il s'agit à la fois d'entreprises de conception et de production de produits et de services verts, et d'entreprises utilisant ces produits et services. L'encours de prêts de la BPI s'élève aujourd'hui à 2,5 milliards d'euros.

Nous avons assigné à la BPI, filiale de l'État et de la Caisse des dépôts, l'objectif de doubler les prêts aux projets de production d'énergie renouvelable, de mettre l'accent sur les aides à l'innovation et de soutenir les projets structurants de la filière. La BPI travaille également à la restructuration de la filière bois, à laquelle tout le monde réfléchit depuis de nombreuses années. Nous avons créé cette année un Fonds bois II, doté de 40 millions d'euros.

Parallèlement à la contribution de la BPI, nous avons institué le programme dit 5E pour financer l'efficacité énergétique des entreprises : ce programme de co-investissement de 30 millions d'euros en fonds propres permet de financer les projets d'efficacité énergétique des entreprises – principalement industrielles ou énergivores. Notre objectif consiste à pallier la carence des financements bancaires pour ce type d'équipements. Ce programme reste expérimental : il a été testé en 2013-2014 sur un site industriel pilote de Solvay à La Rochelle. Nous verrons s'il nous est possible de le développer sur d'autres sites en partenariat avec les entreprises.

Tels étaient les éléments que je voulais vous présenter quant à l'action globale de la Caisse des dépôts et consignations. Je souhaitais ainsi vous montrer que nous agissons dans presque tous les domaines du développement durable mais que, dans le même temps, nous avons besoin d'une vision cohérente – qui est celle sur laquelle vous travaillez.

J'en viens à présent au projet de loi proprement dit, dont je salue l'ambition. J'apellerai votre attention sur cinq points.

J'évoquerai en premier lieu les territoires à énergie positive, visés à l'article 1er. Nous avons réfléchi en amont au principe de reconnaissance des collectivités locales comme acteurs de la transition énergétique, dans une logique de territoires à énergie positive. Nous comptons pour notre part être un partenaire actif de ces projets, aux côtés des collectivités locales, de l'ADEME et des opérateurs, en leur apportant notre expertise. Nous estimons devoir intervenir de façon systémique et multiple afin d'accélérer la transition écologique et énergétique globale. Nous souhaiterions pouvoir, avec les collectivités locales qui le souhaitent, présenter des démonstrateurs en grandeur réelle sur des territoires variés. Cela nécessitera une organisation adaptée aux territoires, en lien avec les collectivités locales. En outre, cela prendra du temps car il nous faudra inventer un nouvel outil d'aménagement énergétique du territoire sur le modèle de ce qui a été inventé il y a vingt-cinq ans en matière d'aménagement urbain.

Les articles 4 et 6 ont trait aux économies d'énergie dans le secteur du bâtiment et à la rénovation thermique du patrimoine bâti. Nous souscrivons complètement au principe, énoncé à l'article 4, d'exemplarité pour tous les nouveaux bâtiments publics. Notre idée serait donc de consacrer la moitié de l'enveloppe de 5 milliards d'euros de prêts « croissance verte » évoqués précédemment, à la rénovation thermique des bâtiments publics et privés et à la construction de bâtiments publics à énergie positive. L'une de nos pistes de réflexion, une fois que nous aurons consommé cette enveloppe, consisterait à instaurer des mécanismes de déplafonnement.

Les sociétés de tiers-financement avaient été définies dans la loi ALUR ; elles devraient connaître une nouvelle avancée avec l'article 6 du projet de loi. Nous avons jusqu'ici été présents au capital de la première et unique société d'économie mixte ayant pour objet d'appliquer ce mécanisme en faveur des travaux d'efficacité énergétique : créée par la région Île-de-France, cette SEM porte le nom d'Énergie Posit'IF. Nous allons analyser les expérimentations que nous sommes en train de mener et sommes disposés à en mener d'autres avec les partenaires locaux qui le souhaitent – la meilleure manière d'avancer étant de mesurer les difficultés au fur et à mesure qu'on fera les choses. Mais ce que nous montre cette expérimentation francilienne, c'est que ce dispositif pose un problème de sécurité juridique et financière et qu'il nous faudra inventer des mécanismes de collaboration avec les réseaux bancaires. Nous ne pourrons en effet être à la fois une banque et un partenaire de banques.

Le titre III comporte beaucoup de dispositions pertinentes sur les transports propres. La CDC est déjà très présente dans le domaine des véhicules électriques et des bornes de recharge, en particulier via sa filiale Egis ; elle soutient également la politique de développement de ces véhicules, et investit, avec EDF, Renault et la CNR, dans le groupement pour l'itinérance des recharges électriques de véhicules, le GIREVE. Cela devrait permettre d'accompagner les dispositions prévues dans le projet de loi. Dans le cadre du PIA, la CDC s'engage aussi dans les programmes de déploiement de bornes de recharge au sein des éco-cités. À ce stade, le projet de loi n'évoque ni les transports publics ni le report modal – qui ne sont pas sans lien avec la transition énergétique –, pour lesquels notre filiale Transdev se mobilise.

Quatrième thème : le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi, sur ce point, propose un doublement de la production à l'horizon 2030, dans le cadre, précise l'article 49, d'une programmation pluriannuelle de l'énergie couvrant deux périodes successives de cinq ans. Cette disposition donnera de la visibilité, condition essentielle pour les investisseurs. D'autre part, le « complément de rémunération » représente une évolution sensible du système de soutien aux énergies renouvelables – ce que tous les acteurs ne semblent pas encore avoir mesuré –, notamment en ce qu'il accroît le risque pour les porteurs de projet. La CDC s'impliquera dans ce dispositif, à un niveau qui, toutefois, dépendra du développement de la filière issue de la loi.

L'article 28, quant à lui, tend à regrouper des concessions hydroélectriques en des concessions uniques à ouvrages multiples, à l'échelle des grandes vallées, sur le modèle de la CNR, dont les ouvrages ont été construits entre 1948 et 1986. Une date d'échéance commune est donc fixée à l'échelle de ces vallées. Or, à ce stade, le texte ne prévoit aucune disposition particulière pour la CNR : c'est là un paradoxe car, pour assurer la pérennité du modèle qu'elle représente, il serait logique de prolonger la durée de sa concession. Les élus de la région Rhône-Alpes, M. Mestrallet et moi-même avons déjà alerté sur ce point, qui mériterait sans doute une disposition législative complémentaire. Dans le cas contraire, la CNR aurait la satisfaction morale de constituer un modèle pour les nouvelles entreprises, tout en voyant la durée de sa concession limitée à 59 ans en moyenne, contre 75 pour ces dernières…

Mme Battistel connaît bien le sujet des « SEM Hydro ». Dans cette réflexion, la Caisse a été un acteur en amont, avant mon arrivée à sa tête. L'article 29, tel qu'il est rédigé, nous semble correspondre à un juste équilibre.

La CDC s'engagera, selon le voeu du législateur – et sous le contrôle bienveillant du Parlement –, dans l'accompagnement de certains dispositifs ; aujourd'hui, elle assure d'ailleurs la gestion du CSPE : la loi définit son rôle pour le chèque énergie et le complément de rémunération. J'appelle votre attention sur le point suivant : la Caisse assurera le financement des dispositifs dont nous parlons, sans contribuer à leur trésorerie dans l'hypothèse où ils seraient déséquilibrés, fût-ce temporairement. L'équilibre d'ensemble exige en effet que la Caisse ne s'engage que dans la limite des fonds qu'elle gère. Il faut le préciser car la commission de surveillance, dont je sais qu'elle veille sur ce point, sera appelée à se prononcer sur la mise en oeuvre des dispositifs après publication des décrets d'application.

Ce projet de loi traduit une formidable ambition pour le pays, et la Caisse des dépôts – qui n'est pas une institution financière mais une institution publique d'intérêt général chargée de missions bancaires – s'y engagera auprès des territoires.

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