Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 11 septembre 2014 à 17h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Par définition, on ne connaîtra le surcroît d'engagements financiers pour la Caisse qu'une fois le texte voté. L'enveloppe de 20 milliards dont je parlais a été ouverte en juillet 2013, et celle de 5 milliards dévolue à la croissance verte est plus récente encore. Il s'agit bien de moyens nouveaux dégagés sur les fonds d'épargne. Je n'ai pas fait l'addition des coûts exposés par l'ensemble des filiales de la Caisse contribuant au financement de la transition énergétique : ils sont très hétérogènes, et la nature des instruments n'est pas la même. L'une des vertus de la loi sera de regrouper ces outils au service des axes définis par le législateur. Beaucoup de projets étant au stade expérimental, il est difficile d'en tirer des enseignements à l'heure qu'il est et de dire avec certitude ce qui marche mieux, et ce qui marche moins bien.

Notre filiale Exterimmo, dévolue aux opérations de rénovation thermique des bâtiments publics, me semble un outil prometteur : elle négocie avec les partenaires et réalise le montage financier et juridique, afin de livrer un produit clé en main à la collectivité, pour qui elle est donc l'opérateur unique. Pour de telles opérations, les collectivités font souvent preuve d'une frilosité légitime, au regard de la capacité des partenaires à les accompagner dans la durée : il s'agit en effet de récupérer, à terme, des économies générées par des investissements immédiats. Les banques y sont souvent réticentes ; l'intervention de la Caisse permet donc d'assurer un climat de confiance. Sur le papier, et au vu de l'unique expérience réalisée à ce jour, les choses fonctionnent ; mais il n'existe pas, je le répète, de réel bilan à ce stade.

J'ai demandé à CDC Climat une évaluation des flux financiers liés au changement climatique. Ce travail, que je tiens à votre disposition, est en cours ; ses résultats, qui doivent recevoir une validation scientifique – et que je vous soumets donc avec les réserves d'usage –, font apparaître que les investissements climatiques se seraient montés en France, depuis deux ans, à quelque 20 milliards d'euros, pour des besoins qui atteindraient environ le double. Dans ce cadre, la capacité d'intervention de la Caisse me semble importante. Un prêt sur quarante ans à un taux de 0,75 %, par exemple, est assurément de nature à générer des effets de levier, autrement plus qu'un prêt ordinaire. Ceux-ci peuvent aussi être induits par l'apport de fonds propres – de la CDC, d'une de ses filiales ou de la BEI le cas échéant – susceptibles de mobiliser des investisseurs privés, lesquels se déterminent en fonction du taux de rentabilité interne (TRI), mais aussi des garanties offertes par le projet : la Caisse, de ce point de vue, représente un tiers de confiance crédible – et je veux croire qu'elle le restera toujours.

Ces deux types de levier permettent la création de multiples outils ; à vrai dire, j'ai même tendance à penser que nous en avons presque trop depuis quelques années. Regrouper nos filiales permettrait une meilleure lisibilité – et des économies d'échelle, bien entendu –, même si je rends hommage aux équipes qui y travaillent depuis longtemps.

Sur le tiers-financement, beaucoup de choses ont été dites. J'ai même entendu que la CDC désapprouverait le financement des travaux par les SEM des collectivités. C'est tout le contraire : nous y sommes résolument favorables et de ce point de vue, le projet de loi nous convient tout à fait – il pourrait même aller plus loin. Depuis 2010, et de façon accrue en 2012, la Caisse mène une réflexion sur le tiers-financement. Celui-ci, il est vrai, soulève des questions difficiles qui, on l'a rappelé lors de la Conférence bancaire et financière de la transition énergétique, tiennent à la sécurité juridique et financière. Une SEM, par exemple, peut-elle être financeur ? Non, ou en tout cas pas directement, répond le Conseil d'État. Si un outil joue à la fois un rôle de conseil et de financeur, quelle est sa nature juridique ? S'il est financier, il doit être reconnu comme tel, au sens bancaire du terme. À moins d'imaginer un statut nouveau, on passerait donc un temps infini à créer des « sortes de » banques.

Par souci d'opérationnalité, nous penchons pour des établissements ensembliers qui soient concepteurs, conseils et maîtres d'ouvrage, et qui eux-mêmes noueraient des liens contractuels avec les banques afin d'apporter un service global aux collectivités. Le dispositif du tiers-financement ne va pas de soi, mais je pense que c'est la bonne voie. Sa première vertu est celle du guichet unique ; la seconde est de constituer un lieu qui réunit ingénierie publique, administrative, juridique et financière, autrement dit une réponse d'ensemblier, ce qui rejoint ce qui fait la vocation même de la Caisse depuis la nuit des temps. Un tel système présente aussi un avantage pour les acteurs financiers, qui ont tout intérêt à travailler directement avec la Caisse plutôt qu'avec des sociétés de services, des collectivités ou des porteurs de projet.

De ce point de vue, le projet de loi nous semble aller dans la bonne voie, même s'il faudra peut-être aller plus loin le moment venu. La situation est un peu comparable à celle du microcrédit, qui requiert un opérateur spécialisé, un tiers de confiance qui soit ensemblier et des opérateurs de marché qui se trouvent ainsi rassurés. C'est dans cet esprit que nous avons créé Exterimmo, et que nous sommes prêts à participer à des SEM locales.

Le projet de loi nous semble tout à fait pertinent sur les « SEM Hydro », dans lesquels la Caisse jouera tout son rôle, en intervenant au cas par cas ; le seul fait d'évoquer une participation publique nous a d'ailleurs fait comprendre, de façon subliminale, qu'elle serait amplement sollicitée… Si les acteurs le souhaitent, elle interviendra aussi pour l'ingénierie en amont. En tout état de cause, compte tenu de la procédure législative, nous sommes dans des calendriers longs.

Reste le problème, réel, des petits producteurs : il faudra y apporter des éléments de réponse. J'ai d'ores et déjà demandé à la Banque publique d'investissement de réfléchir à des systèmes de garantie ; d'ici au vote du projet de loi, il y aura sans doute des pistes en ce sens. C'est là une nécessité pour ouvrir pleinement le marché aux petits producteurs.

Je n'ai pas d'inquiétude particulière sur la trésorerie, monsieur Aubert : j'appelle seulement l'attention sur le fait que le dispositif, dans son organisation, ne doit pas comporter de risque à cet égard. Jusqu'à présent les choses fonctionnent bien : il n'y a pas de raison que cela change.

Aujourd'hui, madame Bareigts, c'est le droit commun qui s'applique dans les outre-mer. Ayant travaillé pendant plusieurs années au ministère qui leur est dédié, je connais cependant les dispositifs pertinents qui peuvent s'y appliquer. Dans cet esprit, j'ai demandé à la direction des fonds d'épargne de mener des analyses sur la situation thermique propre aux outre-mer ; la prise en compte de leur spécificité relève, pour ainsi dire, de la réglementation interne des fonds d'épargne : elle est nécessaire pour ne pas être en porte-à-faux, notamment quant à l'évaluation de la déperdition énergétique – qui peut être très coûteuse dès lors qu'il s'agit de climatisation. Le bilan thermique ne peut être calqué sur celui de l'Hexagone, quand bien même le résultat moyen final est souvent le même.

S'agissant des sociétés d'économie mixte et des sociétés d'exploitation, nos deux grands domaines d'intervention sont la biomasse et la géothermie. La Caisse a ainsi accompagné la communauté urbaine de Metz dans la modernisation d'un outil dédié à la géothermie, afin d'utiliser la biomasse pour le chauffage urbain, dont le coût s'est ainsi vu réduit. Bien sûr, comme le suggérait M. Caullet, la gestion des coûts se fait dans la durée : c'est précisément le sens de l'intervention de la Caisse, même si elle ne saurait agir seule.

Nous venons par ailleurs d'annoncer la création d'un fonds viager, baptisé « Certivia ». Le marché du viager est quasi inexistant en France ; cela tient à des raisons économiques et financières, mais aussi psychologiques puisque le terme intervient au décès : il y a un petit côté Balzac, avec ces termes de droit romain – le « bouquet », la « rente » – qui fleurent bon le XIXe siècle… Ce à quoi s'ajoute le problème des héritiers : lorsqu'on a peu de revenus, mais que l'on a un bien, on est d'autant plus attaché à le transmettre à ses enfants ou petits-enfants. L'idée, en l'occurrence, est de vendre le bien à un panel d'investisseurs de confiance, parmi lesquels la Caisse des dépôts, acteur public reconnu, en contrepartie de quoi le vendeur perçoit le bouquet et la rente tout en n'étant plus assujetti, détail non négligeable, à la fiscalité afférente à la propriété. La population visée est potentiellement très nombreuse, et le système est également assorti de garanties : le conjoint survivant bénéficiera de la même rente, et en cas de départ en maison de retraite, cette rente se verra même majorée. L'engagement de la Caisse se justifie par la logique sociale du dispositif, mis en oeuvre, pour l'heure, à titre expérimental en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Île-de-France.

À terme, le fonds, qui n'a évidemment pas vocation à gérer indéfiniment ces biens, les revendra. Dans le viager classique, le vendeur peut réaliser des travaux pour rendre le bien habitable – encore se limite-t-il le plus souvent au minimum. Mais si des acquéreurs publics réalisent eux-mêmes ces travaux – avec notamment une rénovation thermique – avant la remise sur le marché, ils auront créé de la valeur qui se répercutera sur le prix de vente final ; de sorte que l'on peut en effet imaginer de récupérer le produit de cette valeur au moment de la cession du bien. L'obstacle psychologique, pour un tel dispositif, est de même nature que celui du viager classique ; les vendeurs doivent donc bénéficier de garanties afin de ne pas éprouver un sentiment de dépossession. La Caisse est disposée à travailler dans cette direction.

En plus de ces garanties et de cette confiance, il est bien légitime que les personnes âgées veuillent transmettre le bien à leurs descendants. Dans cette optique, le contrat-type de notre fonds viager comporte une clause selon laquelle le vendeur a la possibilité de désigner un acquéreur privilégié au moment du décès. Reste qu'au-delà de son aspect juridique, le sujet est bien entendu affectif et psychologique ; et dans ce domaine, « l'affect » a probablement autant d'importance que le rendement à moyen terme de l'actif immobilier…

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