Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 11 septembre 2014 à 14h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, ASN :

Je dirai quelques mots sur le contexte français en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection en France, avant d'en venir aux dispositions législatives qu'il nous paraîtrait utile d'adopter. Jacques Repussard évoquera ensuite le fonctionnement du système de contrôle exercé conjointement par l'ASN et par l'expert technique que constitue l'IRSN.

En matière de sûreté et de radioprotection, nous sommes confrontés aujourd'hui, et sans doute pour les cinq à dix années à venir, à des enjeux sans précédent. Parmi ces enjeux, la prolongation éventuelle de la durée de vie des centrales nucléaires, la mise en service de l'EPR de Flamanville et, bien entendu, les suites de l'accident de Fukushima, puisque les actions immédiatement engagées se prolongeront, on le sait, pendant les dix prochaines années. Je ne parle pas de la réévaluation de sûreté des autres installations que les réacteurs nucléaires, c'est-à-dire les installations du cycle du combustible et celles du Commissariat à l'énergie atomique, qui nécessitera un énorme travail au cours des toutes prochaines années. L'ASN et l'IRSN doivent également faire face – vous y avez fait allusion – aux questions de radioprotection dans le domaine médical, en radiothérapie ou lors d'examens diagnostiques plus classiques, pour lesquels les enjeux liés à la dosimétrie sont cruciaux et nécessitent une vigilance sans relâche.

À l'exception de Fukushima, tous ces enjeux pouvaient être anticipés et l'ont globalement été, pour une raison simple : le parc nucléaire arrive à une étape clé, celle de ses quarante ans. En effet, les centrales ont été dimensionnées à l'origine pour une durée forfaitaire de fonctionnement de quarante ans environ. Parallèlement, la génération qui a accompagné le déploiement du parc nucléaire français il y a trente ou quarante ans arrive au terme de sa vie professionnelle. Un problème matériel, celui de l'obsolescence des centrales, se double donc d'un problème de renouvellement des compétences. Cela vaut du parc de production d'électricité nucléaire comme des autres installations, notamment les installations de recherche qui ont précédé et préparé la montée en puissance du parc, mais aussi toutes les installations du cycle. Ces questions se posent pour l'ensemble de la chaîne industrielle nucléaire et les enjeux sont considérables.

Pour y faire face, deux conditions doivent être réunies. Premièrement, l'existence d'un exploitant – EDF – en état de marche, ce qui renvoie à la nécessité de renouveler les compétences et de disposer de la capacité financière d'investir dans des moyens de production comme dans la sûreté. Deuxièmement, l'existence d'une autorité de contrôle – IRSN inclus – elle aussi en état de marche.

Dans ce contexte, la loi de transition énergétique – et d'autres lois peut-être – offre l'occasion de passer à une étape ultérieure en matière de sûreté et de radioprotection.

S'agissant des moyens du contrôle – qui ne concernent sans doute pas principalement la loi de transition énergétique –, nous avons été amenés à nous exprimer, conjointement avec l'IRSN, à propos de nos besoins au cours des prochaines années. En résumé, alors que nous sommes actuellement mille à contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection en France, il faudrait selon notre estimation, que nous avons rendu publique comme il se doit, deux cents personnes de plus au cours des années à venir. Au terme des arbitrages budgétaires rendus cette année en vue du prochain triennal, l'ASN a obtenu – à ce stade de la discussion – 30 postes supplémentaires et l'IRSN a préservé ses moyens. Ce résultat nous paraît le meilleur possible compte tenu du type de financement en vigueur, issu avant tout du budget de l'État, et des contraintes budgétaires actuelles. Mais il reste assez éloigné du chiffre que je viens d'indiquer. Nous avons toujours souligné la nécessité, qui devient aujourd'hui une urgence, de réfléchir à une réforme du financement, en particulier d'envisager un système fondé sur des taxes payées directement par de gros exploitants nucléaires, sous le contrôle du Parlement. Ce système, à l'oeuvre aux États-Unis, permet notamment une modulation du contrôle directement proportionnelle, donc ajustable, aux besoins. Nous savons gré au Gouvernement de ses propositions budgétaires, mais elles illustrent les limites du dispositif actuel de financement du contrôle. La réforme que nous appelons de nos voeux pourrait trouver sa place dans la loi de transition énergétique mais aussi dans la loi de finances.

En ce qui concerne la loi de transition énergétique proprement dite, nous avons élaboré des dispositions qu'il nous paraîtrait souhaitable d'y inclure pour l'améliorer.

Il s'agit d'abord de mieux informer le public. Dans cette perspective, la disposition tendant à ouvrir aux étrangers l'accès aux commissions locales d'information (CLI) proches des frontières nous semble tout à fait bienvenue. Actuellement, ils y sont au mieux invités, alors qu'ils devraient avoir le droit et le devoir de s'y exprimer. Ces structures sont d'ailleurs plutôt reconnues en Europe comme un bon outil de concertation avec le public. En revanche, je l'ai déjà dit publiquement, certaines décisions hors norme de l'ASN – réévaluations de sûreté des réacteurs tous les dix ans, réévaluation des quarante ans en particulier – mériteraient davantage que le dispositif prévu par la loi, c'est-à-dire qu'une consultation de trois semaines sur Internet.

Enfin, la loi fait de la transparence une obligation, mais comment en organiser le contrôle ? Ne pourrait-on le confier plus explicitement au Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui serait chargé de faire rapport public à partir d'un rapport que lui transmettrait l'ASN elle-même chaque année ?

Deuxième thème essentiel : mieux encadrer le démantèlement. À cet égard, le projet de loi s'efforce de traduire l'idée internationale du « démantèlement immédiat ». L'expression est malheureuse car tout démantèlement demande nécessairement du temps. L'idée est en fait que le plan de démantèlement soit préparé très vite, pendant que les personnes compétentes sont encore là. Si on laisse s'écouler dix ans entre l'arrêt d'une installation et le moment où le plan est prêt, il est probable que toutes les personnes compétentes, celles qui ont connu l'installation, voire qui l'ont construite, seront parties dans l'intervalle. La loi introduit ainsi une disposition tendant à limiter le délai qui sépare l'arrêt de l'installation du dépôt par les exploitants du dossier de démantèlement – qu'il reste ensuite à instruire. Cette mesure essentielle est, je le répète, en phase avec les orientations internationales.

Le troisième thème figure dans la loi par l'intermédiaire de l'ordonnance : il s'agit des capacités de sanction dont dispose l'ASN. Entre l'arme lourde – le pouvoir d'arrêter une installation de notre propre chef si la sûreté y est manifestement compromise – et les armes quotidiennes – procès-verbaux, mises en demeure –, nous n'avons guère de moyens intermédiaires, notamment lorsqu'il s'agit de remédier à des écarts mineurs mais qui se prolongent plusieurs années, parfois jusqu'à vingt ans. Nous avons donc proposé un système d'amende journalière que les exploitants devraient verser tant que la situation n'est pas revenue à la normale.

Un aspect, peu connu sans doute, doit absolument être abordé dans cette loi ou dans une autre : la protection des sources radioactives contre les actes de malveillance. Ces sources se trouvent dans de nombreux endroits, dans les installations nucléaires de base, naturellement, mais aussi sur des chantiers plus classiques. Elles permettent par exemple de réaliser des clichés des tuyauteries pour vérifier une soudure. Ce problème est aujourd'hui orphelin de tout encadrement : on ne peut ni demander aux exploitants d'agir ni contrôler ce qu'ils font. Puisqu'il est prévu de confier le contrôle à l'ASN, nous avons lancé depuis deux ou trois ans, sans mandat, un ensemble d'investigations pour étudier la situation et il nous a semblé indispensable de disposer rapidement d'un cadre pour intervenir formellement et imposer des mesures. Cette question est d'ailleurs jugée importante à l'international.

Enfin, notre système sinon unique, du moins original qui allie un expert technique, l'IRSN, et une autorité administrative indépendante chargée de prendre les décisions, l'ASN, nous paraît efficace. Il a l'avantage de décharger l'expert qui rend son avis du poids de la décision. Cela favorise la sûreté nucléaire comme la transparence, sachant que l'avis de l'IRSN est systématiquement rendu public, de même que la décision de l'ASN. De cette appréciation, il convient de tirer toutes les conséquences, d'une part en rendant encore plus transparents et précoces les avis de l'IRSN, d'autre part en améliorant et en clarifiant le pilotage stratégique par l'ASN de l'ensemble de la chaîne de contrôle, y compris les travaux de l'IRSN. Il s'agit bien d'assurer un pilotage, et non de donner un avis sur les avis de l'IRSN, qui relèvent de sa seule responsabilité ; la nôtre consiste à prendre des décisions.

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