Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 11 septembre 2014 à 14h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, ASN :

Je vais tenter de répondre aux questions des rapporteurs.

Un point de méthode, tout d'abord. En rédigeant nos propositions – que nous sommes tout disposés à vous transmettre –, ou plutôt en les corédigeant, notamment avec le ministère chargé de la sûreté nucléaire, nous n'avons pas manqué de consulter les exploitants. Nous avions donc déjà à l'esprit une partie des questions relayées par M. Plisson.

La visite de la CLI que la loi oblige les exploitants à accueillir en cas d'accident ne doit avoir lieu ni « à chaud », car il peut être nécessaire de gérer l'urgence, ni trop longtemps après l'événement, car il faut que les membres de la CLI puissent observer quelque chose. Je n'ai aucune objection de principe à ce que cette visite intervienne à un moment déterminé, mais il ne faudrait pas que cette mesure revienne de fait à l'interdire.

Sur le délai de deux ans, l'idée est de donner corps à la stratégie du démantèlement dit immédiat. Il n'est pas souhaitable de mettre l'installation sous cocon, c'est-à-dire de la réduire, de limiter les gestes au minimum nécessaire à la sûreté, puis de la refaire démarrer trois ou quatre ans plus tard, quelle qu'en soit la cause. Pour des raisons de sûreté, il faut éviter de prolonger les états intermédiaires, qui ne sont pas très faciles à maîtriser. Voilà pourquoi il était nécessaire de fixer le terme de la mise sous cocon et le moment d'une nouvelle décision. Tel est le sens du délai de deux ans, par lequel la loi désigne en réalité un ordre de grandeur. Il faut bien deux ans pour préparer un bon dossier de démantèlement avec un exploitant motivé.

Les amendes applicables aux exploitants des ICPE sont de 1 500 euros. Il est permis de mettre en doute l'effet dissuasif d'une amende journalière de 1 500 euros quand on sait que le fait d'empêcher un redémarrage de tranche, ce que nous faisons régulièrement et parfois très longuement – sans qu'EDF ne vienne s'en plaindre, d'ailleurs – coûte un million d'euros par jour. Les astreintes étant abordées dans le cadre de l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, leur montant n'est pas encore fixé, ce qui explique les inquiétudes d'EDF. La sanction doit être proportionnée aux enjeux de sûreté et aux capacités financières de l'exploitant, au vu des enjeux économiques sous-jacents. En d'autres termes, il n'est pas question de mettre en péril par des procédures très coûteuses une petite installation où l'écart constaté est mineur. Le chiffrage précis – dont je n'ai pas d'idée a priori – devra être établi dans des textes subséquents, encadrés le cas échéant par la loi.

Certaines des matières radioactives qu'il est question de requalifier en déchets pourraient théoriquement être utilisées, mais lorsque c'est à échéance de cinquante ou soixante ans, à condition de mener des recherches approfondies et sous réserve que celles-ci portent leurs fruits, il devient légitime d'envisager leur requalification – quitte à en revoir l'utilisation à la lumière de recherches ultérieures : il n'est pas obligatoire d'opter pour la version la plus dure du traitement. Nous n'avons pas hésité à procéder ainsi dans les cas où la question s'est déjà posée. Quoi qu'il en soit, l'on ne saurait se dispenser de certaines obligations de sûreté au motif que ces matières sont réutilisables, ce dont nous ne pouvons être certains. La disposition prévue paraît donc tout à fait utile.

En ce qui concerne la monotechnologie, le fait que le parc français ait été standardisé est à mes yeux propice à la sûreté. Certes, le risque d'incidents génériques est plus élevé mais les chances de les traiter correctement sont proportionnellement encore plus grandes. Sans citer personne, des pays qui ont une production beaucoup plus disparate ont plus de mal à gérer les incidents. Le caractère avantageux de notre système est subordonné à notre stricte vigilance. De fait, nous appliquons de manière particulièrement rigoureuse l'échelle de gravité des incidents, de sorte que le nombre d'incidents par réacteur est significativement supérieur en France, parce que nous tenons à la transparence et parce que cela permet d'alimenter plus efficacement la mécanique technique de retour d'expérience. L'exploitant joue lui aussi le jeu de la vigilance car il en a compris l'intérêt, notamment industriel. Certes, nous sommes parfois passés assez près d'une difficulté ; je songe au couvercle de cuve de la centrale du Bugey il y a une vingtaine d'années. Toutefois, globalement, cette caractéristique reste un avantage.

J'en viens à la nécessité d'une concertation renforcée à propos des quarante ans. La consultation en cours ne concerne que le projet de prescription qui fait suite à la dernière visite décennale, très en amont de la procédure. Il faudra attendre la future consultation sur le rapport d'examen lui-même. Devra-t-elle prendre la forme d'une enquête publique, d'un débat public, d'une consultation renforcée ou améliorée sur Internet ? Je ne suis pas spécialiste de ces questions ; vous serez juges du moyen le plus adapté. Quoi qu'il en soit, la consultation devra porter sur le dossier proposé par EDF dans le cadre du réexamen de sûreté des quarante ans.

Il me semblait que les lettres de suite étaient publiques, donc transmises aux CLI. Si tel n'est pas le cas, nous ne voyons aucun inconvénient à les publier, qu'elles fassent suite à un incident ou à une inspection.

En ce qui concerne les propositions d'amélioration du rapport que nous présentons chaque année au Parlement en application de la loi de 2006, le fait que l'OPECST rende un avis ne me poserait aucun problème. Évitons simplement d'entretenir la confusion : il ne s'agit pas de doubler une autorité, instance décisionnelle, d'une super-autorité qui prendrait d'autres décisions. Pour que l'avis de l'OPECST apporte une plus-value, il faut qu'il se démarque. Si nous nous trompons, il faut le dire : nous sommes ouverts et habitués à la critique. Mais l'avis devrait porter, plutôt que sur les décisions individuelles, sur les priorités et les orientations que nous définissons, le cas échéant à propos d'un sujet particulier – sous-traitance, facteur humain, etc. Dans ce cas, l'audition par l'OPECST devrait, au-delà de notre rapport annuel, intégrer les apports des exploitants, qui pourraient être appelés à rendre des comptes, et du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, entre autres. Cela permettrait de faire le point sur le fonctionnement global du système.

Il est exact qu'en matière de sécurité, la situation française est particulière : 95 % de mes homologues sont également chargés de la sécurité des installations et de leur protection contre des actes de malveillance. L'orientation actuelle consiste à resserrer nos liens avec les autorités de défense, plus précisément avec le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité. Le fait que certains membres de cette institution soient issus de l'ASN facilite d'ailleurs le dialogue. La sécurité des sources représente une autre manière d'aborder le sujet : il ne serait pas difficile de progresser sur ce sujet délaissé. En revanche, je ne suis pas certain que la solution que vous proposez soit facile à mettre en oeuvre, monsieur le rapporteur. Je vais y réfléchir.

Les pouvoirs de l'inspection sont actuellement limités aux installations nucléaires elles-mêmes, à l'exclusion des services centraux des grands exploitants, qui jouent pourtant un rôle essentiel en matière de sécurité : ce sont eux, par exemple, qui préparent certains gros dossiers. Il serait donc très utile de pouvoir évaluer leur travail sur place et sur pièces. Il en va de même des sous-traitants : nous pouvons contrôler leur action de terrain dans les installations, mais non sa conception ni sa préparation, qui ont lieu ailleurs. D'où la disposition contenue dans le c) du 1° du I de l'article 33, qui tend à étendre le contrôle « aux activités participant aux dispositions techniques ou d'organisation […] exercées par l'exploitant nucléaire, ses fournisseurs, prestataires ou sous-traitants, y compris hors des installations nucléaires de base ».

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