L’article 4, au fond, porte sur deux sujets : l’exfiltration des dispositions concernant l’apologie du terrorisme contenues de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal, et l’aggravation de l’incrimination lorsque les faits sont commis sur internet – à quoi peut sans doute s’ajouter un débat sur la notion même d’apologie.
J’ai indiqué pendant la discussion générale que lors de l’adoption de la précédente loi, en 2012, nous n’avions pas tranché la question de savoir s’il était ou non souhaitable de procéder à cette exfiltration. En tant que rapporteure du projet de loi, je me rappelle avoir eu à l’époque de longs et nombreux échanges, notamment avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dont la présidente – toujours en fonction aujourd’hui – était très réservée sur ce transfert. Et pour cause : le bloc des lois républicaines auquel nous avons tous des raisons d’être attachés incite à penser que la liberté de la presse est une et indivisible, et qu’il n’y a nul besoin de saisir la truelle du maçon pour construire un autre édifice à côté.
Les temps ont changé, néanmoins. Comme je le disais au début de la discussion en réponse à M. Marc Dolez, je crois en conscience, après avoir longuement réfléchi à la question ainsi qu’à la préservation du bloc des lois républicaines, qu’il est désormais utile de procéder à cette exfiltration.
Aujourd’hui, en effet – et cet argument fait le lien avec la deuxième question que j’évoquais –, l’existence même d’internet donne une tournure tout à fait nouvelle à un certain nombre de délits de presse. Chacun se souvient que nous avions d’ailleurs tous, en novembre 2012, fait ce constat dans l’hémicycle.
On peut naturellement s’opposer à cette mesure au motif que la liberté ne se divise pas. Hélas, les manifestations de la liberté se divisent quelquefois, notamment lorsqu’elles se démultiplient. En l’occurrence, c’est le cas : concrètement, c’est sa démultiplication en ligne, par internet, qui fait de l’apologie un acte particulièrement meurtrissant. Les deux sujets entretiennent donc un lien étroit. Aujourd’hui encore moins que jamais, le contenu ne saurait être distingué de son canal. Voilà qui donne une nouvelle jeunesse à la formule de Marshall McLuhan : « le médium, c’est le message ». Tous les journalistes et les défenseurs de la liberté de la presse n’ont d’ailleurs cessé de le répéter. Il faut donc aller au bout de ce constat : le médium, c’est le message et, par conséquent, il est désormais possible de diffuser un message barbare qui est appelé à se démultiplier à l’infini – y compris potentiellement, M. Paul, car un blog n’est certes pas en soi un instrument d’apologie barbare, mais il peut à tout moment le devenir, tandis qu’un journal de papier se jette aisément sans pouvoir être retrouvé.
Dans ces conditions, j’estime qu’il est pertinent d’exfiltrer de la grande loi sur la presse les dispositions relatives à l’apologie du terrorisme, qu’il faut le faire compte tenu du lien étroit qu’elles entretiennent avec le support d’internet et qu’en conséquence, il faut aggraver la peine en considérant comme une circonstance aggravante le fait que l’apologie emprunte le canal d’internet – un médium dont nous avons chacun à notre manière souligné tout à la fois le formidable intérêt potentiel car, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, il s’agit d’un facteur de démocratie, mais aussi le fait qu’il peut devenir un redoutable instrument. Lorsque nous le saisissons comme tel, nous ne devons pas manquer d’en tirer les conséquences.