Intervention de Yves-Jean Dupuis

Réunion du 9 septembre 2014 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne, FEHAP :

Je commencerai par rappeler le poids économique de nos associations : ce sont environ 38,5 milliards d'euros qui sont consacrés au secteur social, médico-social et sanitaire, soit un peu plus de 45 % des dépenses ou des recettes du secteur associatif. C'est dire la considération qu'il convient de lui accorder dans toute réflexion sur l'avenir du secteur associatif.

Cela fait de nombreuses années que ce secteur contribue à l'amélioration de notre système de protection sociale. Si l'on remonte au XIXe siècle, on peut même dire qu'il est à l'origine de ce système. S'il s'est toujours adapté, cette adaptation est de plus en plus difficile depuis ces dix dernières années, et il s'agit maintenant de revoir les organisations, les modes de fonctionnement interne de nos associations.

Notre secteur est en crise en raison de la crise économique actuelle, mais ce n'est pas le seul facteur à l'origine de ses difficultés. En effet, dans le cadre de la décentralisation, le transfert des subventions de l'État aux associations vers les collectivités locales n'est pas neutre. Jusqu'à présent, les associations ont fait face, mais nous vous transmettrons des documents qui montrent que ces transferts n'ont pas été complets.

Le partenariat noué avec la puissance publique est actuellement surtout centré autour des départements, même si des accords ont été conclus avec l'État. Je fais miens les propos de M. Gueguen sur la transformation des subventions publiques en commande publique, évolution qui pose aujourd'hui de vrais problèmes d'adaptation de nos organisations. Jusqu'à présent, nous vivions dans un système ascendant, c'est-à-dire qu'il s'agissait d'abord de résoudre les problèmes constatés sur un territoire, problèmes que les associations faisaient ensuite remonter aux services de l'État et des collectivités locales. Or, avec la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), le mouvement s'est inversé : il est devenu descendant, les pouvoirs publics exerçant une contrainte forte pour que soit mise en oeuvre, au moyen de la commande publique, toute une série d'actions sans que soit nécessairement prises en compte les évolutions nécessaires de la protection sociale.

D'autre part, se pose aujourd'hui à nous un problème de ressources humaines. Nous rencontrons des difficultés pour recruter les personnes dont nous avons besoin car notre secteur est de moins en moins attractif. Du fait de nos contraintes financières, en effet, les salaires que nous versons sont tels que les salariés rechignent à venir y travailler et ont parfois intérêt à se tourner plutôt vers le secteur public ou commercial. Les études que nous avons réalisées au niveau de la branche qui regroupe la plupart des acteurs du secteur social et médico-social montrent que plus de 41 % des établissements ont du mal à recruter des infirmières et des aides-soignantes. Du coup, il devient impossible de faire fonctionner les salles de soins – on les fait dysfonctionner plutôt que fonctionner. Lorsqu'il n'y a plus d'infirmières pour couvrir les besoins dans les structures de prise en charge des personnes âgées dépendantes, on met ces structures en difficulté. Le problème est le même s'agissant des masseurs-kinésithérapeutes qui devraient s'occuper des malades revenus à leur domicile : comme un masseur-kinésithérapeute n'est pas obligé de travailler dans une structure collective et qu'il peut visser sa plaque dès qu'il a son diplôme, rares sont ceux qui acceptent de travailler à des tarifs acceptables pour les malades, avec des restes à charge supportables. Les difficultés sont également grandes en ce qui concerne le corps médical, en raison des écarts entre le secteur non lucratif et les autres – j'y reviendrai tout à l'heure.

À ces problèmes de recrutement vient s'ajouter le besoin de disposer de personnels de plus en plus qualifiés, car les prises en charge sont de plus en plus lourdes. Le maintien à domicile des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, par exemple, nécessite des personnels de plus en plus formés et professionnels. Or les moyens financiers qu'exigerait leur formation ne sont pas toujours présents.

On assiste, dans le meilleur des cas, à des concentrations, à des regroupements d'associations en raison des difficultés de fonctionnement de certaines d'entre elles, souvent de petites associations. Le danger, c'est de voir les structures non lucratives en difficulté reprises par des structures commerciales. On le constate malheureusement de plus en plus. Comme l'a indiqué le directeur de la FNARS, le secteur commercial est aujourd'hui présent dans le secteur social et médico-social, et commence à l'être dans celui du handicap. Un regroupement multisectoriel nécessite d'autre part des accompagnants internes chargés de la professionnalisation. Or, là encore les moyens sont insuffisants, d'où des difficultés d'adaptation. Enfin, les lourdeurs dans nos organisations s'aggravent en raison de la multiplication des textes législatifs et réglementaires que nous n'avons pas la capacité de « digérer », d'où un risque juridique pour un grand nombre de nos établissements. Mais cette multiplication de textes permet à l'administration d'ouvrir le parapluie en cas de difficulté…

La gouvernance de nos organisations est assurée par des bénévoles, qui y consacrent une grande partie de leur temps. Ce sont des « passeurs » : ils sont là pour assurer la pérennité d'une association, voire pour accroître son activité, puis ils passent le témoin pour que la structure puisse continuer à vivre. Dans le secteur associatif, certaines structures existent depuis plusieurs dizaines d'années, voire depuis quelques siècles, elles font partie de l'histoire de la France. Mais, en raison des difficultés financières et des responsabilités importantes qui pèsent sur nos organisations, nous avons de plus en plus de mal à attirer de jeunes administrateurs, de sorte que 70 % de ceux qui sont en place ont plus de soixante ans, 72 % d'entre eux s'étant engagés depuis plus de cinq ans et presque tous étant des retraités. La difficulté de renouveler cette gouvernance vieillissante est grave pour l'avenir : si nous n'en triomphons pas, nous risquons de voir bien des associations péricliter demain. Bien sûr, nous travaillons en interne pour essayer de mobiliser et d'attirer des jeunes, mais ce n'est pas facile.

D'autre part, nous avons l'impression qu'il est difficile pour les autorités de l'État et pour leurs structures décentralisées de gérer un triptyque et qu'en France, on ne parvient à travailler que dans un cadre binaire : c'est soit le public, soit le privé commercial. Dès que l'on essaie de mettre en avant, dans le secteur sanitaire, médico-social et social, un troisième acteur pourtant historiquement le plus ancien, le secteur non lucratif, il semble que guettent aussitôt des difficultés de fonctionnement. Ainsi, dans le secteur sanitaire, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) semble avoir bien du mal à gérer à la fois une structure publique et un secteur non lucratif, alors même que ce dernier est en totalité dans le secteur public hospitalier et que 99 % des médecins qui travaillent dans nos établissements sont en secteur 1 – ce qui n'est pas le cas à l'hôpital public et ce qui fait de nous les vrais garants du service public hospitalier. Le même constat vaut pour d'autres activités entrant dans le champ médico-social. Dans le même temps, le secteur commercial prend pied dans ces domaines où le secteur non lucratif est dominant. Sa stratégie consiste souvent à procéder par étapes, en prenant des parts de marché peu intéressantes financièrement dans un premier temps, mais qui le deviennent dans un parcours de soins global quand il s'est assuré une clientèle captive.

Enfin, pour compléter le propos de MM. Balmary et Gueguen, il faut insister sur les écarts considérables qui marquent le traitement fiscal des différents secteurs. Il a été question du CICE, mais on pourrait également mentionner la taxe d'habitation et la taxe foncière : nos établissements non lucratifs doivent en effet acquitter ces impôts locaux alors que l'hôpital public en est exonéré. L'activité étant la même, nous revendiquons le même traitement.

Jusqu'à présent, des aides étaient accordées dans les zones de revitalisation rurale. Or ces crédits ont disparu, ce qui a entraîné une diminution du nombre d'emplois dans ces secteurs en grande difficulté, notamment dans le Massif central et les Pyrénées.

Au-delà de l'aspect financier qui est important, il convient que l'administration procède à un rééquilibrage entre les différents secteurs – public, privé non lucratif, voire commercial si commercial il doit y avoir. Il est important que le secteur non lucratif soit pris en compte correctement. Or ce n'est pas le cas : dans les statistiques nationales de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), il est tantôt rattaché au secteur public, tantôt au secteur commercial.

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