Intervention de Thierry Nouvel

Réunion du 9 septembre 2014 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Thierry Nouvel, directeur général de l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, UNAPEI :

Je commencerai par rappeler que ce sont les associations telles que celles que fédère l'UNAPEI qui apportent 90 % des réponses dont ont besoin les personnes handicapées, et cela autrement qu'en gérant des dispositifs. Elles ont donc un rôle sociétal essentiel.

Elles contribuent à l'élaboration des politiques publiques en faveur des personnes handicapées. Leurs administrateurs et bénévoles participent activement à l'ensemble des instances locales – aux commissions d'accessibilité par exemple –, départementales – dans le cadre des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) –, régionales – conférences de territoires, conférences régionales de la santé et de l'autonomie – et, bien sûr, nationales. Cet investissement est très lourd à supporter et les difficultés de recrutement soulignées par Yves-Jean Dupuis constitue naturellement pour nous un problème majeur. Il reste que, sans la participation et l'implication des bénévoles, il n'y aurait pas de politique du handicap dans notre pays, car tout dans ce secteur repose sur le fait associatif.

Je ne veux pas remettre en cause la nécessité d'impliquer dans cette politique les personnes handicapées et leurs représentants, qui sont des bénévoles associatifs. Pour ce qui nous concerne, ce sont très majoritairement des parents. Mais c'est, je le répète, un investissement important, qui représente souvent, pour le président d'une association de dimension départementale, plus qu'un temps plein. Il est difficile de trouver des gens qui se consacrent à ce point à une association et nous nous heurtons nous aussi au problème du renouvellement de nos adhérents : jouent contre nous l'allongement des carrières, dû au recul de l'âge du départ à la retraite, ainsi qu'à d'autres facteurs, sociétaux par exemple, mais aussi à l'alourdissement des responsabilités qui incombent aux dirigeants. Le président d'une association qui gère plusieurs établissements est le responsable et l'employeur de 1 000 ou 2 000 salariés, parfois davantage, ce qui suppose des compétences et une solide formation. Il est donc nécessaire d'engager une réflexion sur le sujet.

Le congé de représentation facilite la participation aux différentes instances, mais ce dispositif ne s'adresse qu'à un public très restreint, essentiellement des fonctionnaires, qui peuvent ainsi bénéficier de neuf jours par an. Il n'existe rien de tel dans le secteur privé. De plus, les instances en cause se limitent aux instances officielles ; en sont exclus les nombreux groupes de travail qui émanent de celles-ci. Le temps que consacrent les dirigeants à leurs missions n'est en tout état de cause pas pris en compte. En prenant exemple sur ce qui se pratique dans le domaine syndical, nous souhaiterions donc qu'une réflexion s'engage sur le financement du temps associatif consacré par ces dirigeants à leurs missions de quasi-service public.

Ces dernières années, la relation entre pouvoirs publics et associations a totalement changé. Nous assistons à une institutionnalisation de l'association, qui devient le prolongement, l'outil, l'instrument des pouvoirs publics locaux, départementaux, régionaux – plus rarement – et nationaux.

Auparavant, les associations avaient un projet et se mettaient en quête d'un financement. Aujourd'hui, c'est l'inverse : c'est l'administration qui a le projet et qui demande à des associations, en les mettant en concurrence, de le mener à bien. La dynamique est totalement inversée et la concurrence importante. Ce renversement de situation fait que, lorsqu'on s'engage aujourd'hui dans une association, on devient un simple prestataire de la puissance publique. Nous sommes d'accord sur la nécessité de rationaliser, d'appliquer des normes, mais nos associations le font régulièrement et procèdent à des regroupements, consentent à des mutations.

Compte tenu de ce partenariat d'un nouveau modèle, nous nous demandons comment nous pourrons attirer des bénévoles, sauf à n'accueillir que des « notables » uniquement soucieux de décrocher le titre de président d'association. Le phénomène existe, certes, il y a même des associations de notables – vous en connaissez tous –, mais notre engagement est d'une tout autre sorte. Il est avant tout social. En effet, tout ne repose pas sur le financement public : comptent beaucoup l'accueil, l'écoute des familles confrontées à des difficultés, ce que n'assure pas la puissance publique. J'invite votre commission à réfléchir à cette inversion de la relation entre puissance publique et associations : le risque est qu'à terme elle tue l'envie d'un engagement bénévole.

Pour ce qui est du financement, dans le secteur du handicap, les crédits proviennent pour 50 % de l'État et de l'assurance maladie, pour 40 % des conseils généraux et pour les 10 % restants de fonds propres associatifs ou de la participation des personnes concernées.

Chacun le sait, nos finances publiques s'érodent. Ainsi, sur les cinq dernières années, la part du budget des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) financée par l'État a diminué de 80 millions en euros constants. Ce sont 5 % des crédits qui ont ainsi fondu, ce qui a des conséquences sur l'action des ESAT ou sur leur développement. Les exemples du même ordre sont nombreux.

Les difficultés de financement peuvent conduire les associations à des procédures de redressement judiciaire, ce qui ne se produisait pas auparavant, sans doute parce que nous étions protégés. Certaines même sont en liquidation judiciaire, notamment dans le secteur de l'aide à domicile, mais le secteur du handicap connaît lui aussi des difficultés financières.

Les clignotants passent donc à l'orange, voire au rouge, et nos difficultés sont d'autant plus grandes que, de plus en plus, dans le cadre des appels à projets, la puissance publique nous demande d'importantes mises de fonds initiales. La part de l'association dans le projet de financement va croissant. Or la mobilisation de fonds propres est de plus en plus délicate, d'où, de plus en plus fréquemment, les appels à la générosité du public ou l'engagement dans des activités autres : le financement de la politique publique en faveur du handicap apparaît condamné à se diversifier.

Le secteur marchand commence à s'introduire dans le domaine du handicap. Nous savions que le phénomène existait, parce que 100 millions d'euros partent tous les ans en Belgique pour financer des établissements dans ce pays. Or, aujourd'hui, les opérateurs belges viennent en France et les conseils généraux financent des établissements qui ont un objectif commercial. Nous n'avons rien contre les Belges, d'autant que ces 100 millions d'euros financent des emplois au bénéfice de Français handicapés obligés de chercher ailleurs ce que notre pays ne leur offre pas, mais cela conduit à s'interroger sur notre politique du handicap. Nous préférerions que l'on finance des emplois en France plutôt qu'en Belgique.

Puisqu'on a évoqué les charges nouvelles qui pèsent sur les associations, je dirai que la suppression par le Parlement de l'exonération de versement transport dont bénéficiaient la plupart des associations est un véritable scandale. Durant l'été, j'ai mené une enquête auprès des 550 associations que fédère l'UNAPEI. Sur 113 qui m'ont répondu, 62 m'ont déclaré qu'elles étaient jusqu'à présent exonérées de cette taxe. Pour notre seul secteur, ce sont 8 millions d'euros qu'il va falloir débourser. Toutes les associations du secteur sont concernées, à des degrés divers. L'impact est colossal. Ce qui est hallucinant, c'est que vous puissiez affirmer que vous compenserez cela dans le budget des établissements en augmentant leurs dotations. De qui se moque-t-on ? Chacun sait que les budgets des établissements ne bénéficient d'aucune augmentation. Cette année, dans la loi de finances comme dans la loi de financement de la sécurité sociale, les taux directeurs dans le secteur du handicap et dans le secteur médico-social seront au mieux nuls, sinon négatifs, compte tenu des contraintes budgétaires. Les associations vont devoir faire face. J'ai fait le calcul : 8 millions d'euros répartis entre soixante associations, cela représente plus de 200 emplois en masse budgétaire !

De surcroît, nous avons découvert que la mesure allait être étendue, à l'échelon régional, même là où il n'y a pas de transports urbains ! Ainsi des établissements qui n'étaient pas assujettis à ce versement en l'absence de transports vont désormais subir une ponction de 0,55 % sur leur masse salariale… Lorsque le Parlement vote des lois, il faut qu'il en mesure l'impact sur le secteur associatif – je pense par exemple au CICE, dont nous ne pouvons pas bénéficier. Nous sommes des entreprises comme les autres, mais nous sommes peut-être moins entendus que d'autres…

J'en viens au mode de tarification des établissements et des services et à la relation que nous avons avec l'administration, avec les ARS et avec les conseils généraux.

Dans notre secteur, nous avons deux types de procédures : l'une classique, complètement obsolète, et ce qui s'appelle le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), dispositif souple et intelligent qui permet de se projeter, de se fixer des objectifs, de parvenir à des mutualisations. Si ce n'est que, progressivement, on change la donne.

Alors que le gestionnaire était auparavant responsable de sa gestion, des excédents comme des déficits, on nous a annoncé, il y a un an, qu'en cas d'excédents, ceux-ci nous seraient repris. À la limite, il s'agit d'argent public, mais on est loin de la « prime au bon gestionnaire » ! La conclusion est que mieux vaut faire des déficits ou, à tout le moins, ne pas faire d'excédents. Pourquoi élaborer des modes de tarification qui imposent des carcans, qui ne laissent aucune liberté au gestionnaire ? L'objectif d'une association n'est pas de réaliser des bénéfices ou de garder sous le coude les excédents ! Ceux-ci vont servir à compléter, à améliorer les réponses qu'elle apporte. Nous ne sommes pas là pour constituer des réserves ou pour distribuer des dividendes.

Les ESAT sont, pour partie, sous CPOM, ce qui permet de déroger au mécanisme des tarifs plafonds. Mais voici qu'aux termes d'une nouvelle circulaire, tout en restant sous CPOM, ils seront désormais soumis aux tarifs plafonds. La contradiction est totale entre les règles édictées par l'administration et le peu de liberté dont nous pouvons disposer en matière de gestion.

Bref, il faut totalement revoir la nature de la relation entre la puissance publique et les associations gestionnaires dans le secteur du handicap.

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