Nous partageons ces constats.
La Fondation Abbé Pierre intervient assez peu en aide financière directe auprès des ménages, elle s'inscrit plutôt dans une logique de soutien au secteur associatif. Nous consacrons néanmoins 7 à 8 millions d'euros par an – soit un tiers de notre budget – au secteur logement pour lutter contre l'habitat indigne, aider les propriétaires occupants à financer un programme de travaux visant à sortir de l'insalubrité et de la précarité énergétique, produire du logement d'insertion suffisamment économe au regard du reste à vivre des ménages. Ces actions sont financées sur nos fonds propres.
Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, il est difficile de faire exister un sujet lorsque les chiffres manquent. S'agissant de la précarité énergétique, non seulement les statistiques publiques sont insuffisantes en termes de types de ménages et de problématiques, mais les statistiques commencent à dater, les dernières étant issues des enquêtes logement et budget de famille 2006. C'est un vrai problème en termes d'éclairage des politiques publiques, sachant que la situation économique des ménages précaires s'est aggravée depuis et que les tarifs des énergies ont augmenté.
En 2006, 4 millions de ménages étaient déjà en situation de précarité énergétique ; aujourd'hui, on ne sait donc pas dire combien ils sont. Par contre, selon les nouvelles enquêtes 2011-2012 et les approches utilisées – part du budget consacrée à l'énergie dans le logement, sensation de froid déclarée, privation déclarée par les ménages –, on peut estimer que 17 % à 24 % des ménages français sont touchés – ce qui est énorme. Nous savons par ailleurs qu'en 2012, la facture moyenne des Français pour chauffer leur logement s'est alourdie de 200 euros, pour s'établir à 1 600 euros par an. Ce faisceau d'indicateurs nous fait dire qu'il est impératif de muscler la loi de transition énergétique.
La Fondation Abbé Pierre a commencé à travailler sur le thème de la précarité énergétique en 2005. À l'époque, nous n'appréhendions pas l'ampleur du phénomène. Aujourd'hui, nous ne pouvons que constater que la précarité énergétique touche un grand nombre de ménages et que, si rien ne change, une autre part importante des ménages français risque d'être concernée du fait de l'augmentation des tarifs de l'énergie.
Au demeurant, l'évolution des dépenses contraintes liées au logement – factures d'eau, d'énergie, assurance, etc. – est très éclairante. En effet, les enquêtes budget de famille de l'INSEE montrent que les dépenses contraintes représentaient, en 1979, 20 % à 25 % du budget des ménages – quel que soit leur revenu –, mais qu'elles sont passées, en 2006, à 48 % pour les ménages pauvres, à 46 % pour les ménages modestes et même à 40 % pour les classes moyennes inférieures.
Une fois payées ces charges obligatoires, le reste pour vivre de la population pauvre – même bénéficiaire des tarifs sociaux – est en moyenne de cinq euros par jour et par personne aujourd'hui. L'équation devient impossible quand il faut encore financer l'alimentation, les soins, les transports.
Ainsi, en plus des personnes victimes d'exclusion, nous identifions une nouvelle population touchée par la précarité énergétique : les propriétaires occupants âgés, plutôt en milieu rural, au sein desquels les femmes sont surreprésentées. Dans le cadre de nos aides à l'amélioration de l'habitat, nous voyons beaucoup de femmes âgées, seules, qui vivent dans de grandes maisons en très mauvais état.
Quand je reprends l'enquête nationale logement 2006 – puisqu'on ne dispose d'aucune approche en termes de genre –, en regardant les différentes catégories à travers le premier quartile et le deuxième quartile de revenus, j'en déduis que les familles monoparentales et les ménages âgés en milieu rural représentent 60 % des ménages en précarité énergétique. Or dans ces catégories, on le sait, les femmes sont surreprésentées. Voilà le chiffre que je trouve sur la base des données disponibles.
Faut-il des mesures spécifiques pour les femmes ? Je ne le pense pas. Par contre, des mesures spécifiques de lutte contre la précarité énergétique, qui touche particulièrement les femmes, s'avèrent nécessaires. Nous allons présenter aux membres de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la transition énergétique nos propositions d'amendements, que nous pourrons vous faire parvenir. J'approuve bien entendu les propositions des acteurs de terrain qui se sont exprimés avant moi.
Selon nous, le projet de loi de transition énergétique manque d'ambition au regard de la problématique de la précarité énergétique. Si l'exposé des motifs est assez fourni, le texte en lui-même comporte un seul article à ce sujet – l'article 60 sur le chèque énergie, dans un titre fourre-tout. Certes, il faut renforcer la solidarité – nous parlons, nous, de « bouclier énergétique » –, mais les mesures proposées sont insuffisantes.
Comme l'explique François Boulot, 10 euros par mois sont insuffisants pour les ménages en précarité énergétique qui se chauffent en grande majorité au fioul, au bois ou au propane, énergies chères pour lesquelles on doit payer d'avance, sans aucune aide tarifaire.
L'exposé des motifs prévoit que toutes les énergies de chauffage sont concernées, mais aussi de répartir la somme affectée aux tarifs sociaux – déjà largement insuffisante – entre tous les bénéficiaires, ce qui représentera une cible non plus de 1 million, mais de 4 millions de bénéficiaires.
Pour nous, le financement du chèque énergie doit être clairement identifié, car il faut non seulement aider plus de ménages, mais aussi les aider mieux. En effet, les tarifs sociaux, en faisant passer le taux d'effort énergétique de 12,8 % à 12,6 %, ne font pas sortir les ménages de la précarité énergétique, définie comme un taux d'effort supérieur à 10 % de leurs revenus. Aussi les 200 à 300 millions d'euros qui servent aujourd'hui à financer les tarifs sociaux sont-ils largement insuffisants, a fortiori si la cible est multipliée par quatre.
Nous proposons de conjuguer solidarité entre usagers et solidarité nationale. D'une part, en faisant contribuer toutes les énergies – et en se posant, au passage, la question de l'augmentation de la part de solidarité sur une facture électrique. D'autre part, en fléchant la compensation de la contribution climat énergie vers le chèque énergie.
Au-delà du chèque énergie, il est impératif d'agir sur les causes de la précarité énergétique, lesquelles sont les situations précaires bien sûr – pour lesquelles la solidarité permet aux gens de payer leurs factures –, mais également le mauvais état thermique des logements. Or la loi de programmation ne contient aucun objectif quantifié pour les logements à ce sujet.
Par conséquent, nous demandons que la loi chiffre précisément l'objectif, tel qu'il est indiqué dans l'exposé des motifs et qu'il a été fixé par la conférence environnementale, à savoir 500 000 rénovations thermiques annuelles d'ici à 2017 – mais au moins jusqu'à 2025 pour se débarrasser des passoires thermiques. Nous demandons en outre que la loi, sur la base des conclusions du débat national consacré à la transition énergétique, priorise les logements occupés par des ménages modestes et précaires, soit 200 000 par an dans le secteur privé et 130 000 par an dans le parc social. Car si le parc social monte en gamme, le parc privé n'est est qu'à 43 000 rénovations cette année dans le cadre du programme « Habiter mieux ».
Parallèlement à l'intervention sur le bâti, pour les propriétaires occupants comme pour les bailleurs, il faut encadrer la location des logements. Il n'est plus tolérable que l'on puisse encore aujourd'hui louer une passoire thermique ! Aussi demandons-nous l'évolution des textes fixant les normes de décence et de salubrité des logements par l'introduction d'un minimum de critères de performance thermique.