Intervention de Emmanuel Rodriguez

Réunion du 16 septembre 2014 à 21h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l'UNIDEN :

Les membres de l'UNIDEN consomment plus de 70 % de l'énergie industrielle, qu'il s'agisse d'électricité ou de gaz. Ils sont réunis sur plus de 700 sites industriels en France, emploient plus de 300 000 personnes et composent un tissu économique complexe souvent très localisé. Présents dans l'agroalimentaire, l'automobile, la chimie, les ciments et les chaux, l'électronique, les métaux, le papier et le verre, ils savent que la maîtrise des coûts énergétiques est un facteur essentiel de compétitivité en France, en Europe et dans le monde.

L'objectif de l'industrie à forte consommation d'énergie (energy intensive), où l'énergie représente 10 % à 25 % du prix du produit, est de réduire non le prix du mégawattheure, mais celui de l'énergie en euro par tonne de produits finis. Pour cela, il faut non seulement accéder à une énergie compétitive, mais être efficace énergétiquement. En l'absence de rupture technologique, l'industrie parvient, par des progrès lents et réguliers, à gagner en efficacité. Un rapport récent du Conseil économique pour le développement durable montre que la quantité d'énergie dépensée par tonne de produits finis baisse de manière progressive et significative. Entre 2001 et 2012, elle a diminué de 21 % dans la chimie et de 10 % dans la sidérurgie.

L'industrie française dispose des meilleures technologies et les met en oeuvre partout où c'est possible. Reste que les projets mobilisent d'importants moyens financiers. En outre, plus une installation est efficace, plus l'amélioration marginale est chère, rapportée à l'économie d'énergie qu'elle génère. C'est pourquoi, surtout en période de crise économique, il faut soutenir l'amélioration de l'efficacité énergétique.

Le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA) évalue à 35 %, en France, la réduction de l'émission de GES entre 1990 et 2012. Ce résultat est imputable à certaines améliorations, mais aussi à la désindustrialisation. Or, quand la production quitte notre pays, qui recherche l'efficacité énergétique et utilise une énergie peu carbonée, c'est pour s'effectuer ailleurs dans des conditions écologiques moins favorables. Le maintien d'une activité industrielle en France permet de conserver sur le territoire un volume de R&D qui aide à réaliser des progrès continus ou à préparer une rupture technologique.

Il faut mettre l'accent sur l'énergie industrielle, qui est consommée principalement en base et permet une certaine flexibilité. Parce qu'elle évite la production d'électricité destinée à compenser la fluctuation des énergies renouvelables, elle joue un rôle positif en termes d'émission de GES.

Dès lors que la promotion de l'industrie française permet l'amélioration de l'intensité énergétique, le maintien de la R&D sur le territoire et la consommation en base et de manière flexible, elle contribue à lutter contre le réchauffement climatique. La réduction des émissions de gaz carbonique doit être pensée à l'échelle mondiale. Restaurer la compétitivité des industries à forte consommation énergétique répond à la fois à une obligation économique et à un impératif écologique.

Depuis 2003, nous répétons, chiffres à l'appui, qu'il faut améliorer le coût complet de l'électricité en France. L'Amérique du Nord se tourne vers le gaz de schiste et prolonge la durée de vie de ses centrales jusqu'à soixante ans. En Russie, les industriels paient le gaz à prix coûtant et perçoivent des subventions pour décentraliser la production. Les pays du golfe Persique optent pour un offshoring de la rente pétrogazière et tentent de développer des industries en aval. Dans tous ces grands pays industriels, l'énergie – qu'il s'agisse de l'électricité ou du gaz – est près de deux fois moins chère qu'en Europe.

Plus près de nous, les écarts de coût se développent entre les pays. Par rapport à leurs rivaux allemands, les grands consommateurs français sont défavorisés de près de 30 % sur tous les postes de leur facture d'électricité. L'an prochain, les Allemands se fourniront à 6 euros de moins que nous par mégawattheure, tout en bénéficiant d'une exonération sur le transport. Nous nous félicitons cependant qu'un premier pas ait été fait en France afin de faire baisser le coût du transport pour les électro-intensifs et que le projet de loi pérennise cette mesure. Même si nous concevons quelques inquiétudes sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), les taxes se situent au même niveau en France et en Allemagne. En ce qui concerne la gestion de la demande, autrement dit de l'interruptibilité, les mesures prévues vont dans le bon sens, bien qu'elles soient trop peu nombreuses et trop peu efficaces : on parle de quelques centaines de mégawatts en France, mais de quelques milliers en Allemagne. En outre, l'Allemagne répercute dans le prix de l'électricité dont bénéficient ses entreprises la compensation de l'émission de gaz carbonique, que la France affecte à la rénovation de l'habitat.

Quand on additionne chacun de ces éléments, un électro-intensif allemand peut coûter une trentaine d'euros par MWh quand il est impossible pour un électro-intensif français de coûter moins de 40 euros par MWh. On constate donc un écart supérieur à 30 %. Outre l'Allemagne, l'Espagne se révèle beaucoup plus compétitive que la France ; or il s'agit des deux pays avec lesquels nous partageons les plus longues frontières. De nombreux progrès ont été réalisés, de nouvelles idées ont été avancées – l'interruptibilité, la réduction des transports –, mais nous devons faire plus et plus vite.

En ce qui concerne le gaz naturel, si le Nord de la France paye un prix comparable à celui des pays du Nord-Ouest de l'Europe, il faut savoir que le Sud de la France paie 4 euros plus cher. Il existe une véritable ligne de démarcation : une entreprise qui se trouve du mauvais côté de la frontière gazière française paie 20 % plus cher que sa voisine installée du bon côté. Cette situation coûte globalement plus de 100 millions d'euros aux gazo-intensifs. Or, dans le Sud de la France, se trouvent des entreprises relevant de différents secteurs sensibles : chimie, pétrochimie, sidérurgie, métallurgie, des raffineries également…

Aussi, pour que cette transition énergétique soit une transition pour une industrie compétitive sur le long terme, nous proposons des mesures simples, concrètes et réalistes, déjà appliquées dans d'autres pays.

Pour ce qui concerne l'électricité, notre première proposition consiste à permettre aux industriels électro-intensifs d'investir dans des capacités de production électrique, nucléaire ou hydraulique – la réouverture des concessions hydrauliques est prévue par la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l'électricité), mais reste un enjeu important pour les collectivités, l'État et les industriels.

La deuxième proposition vise à élargir le champ d'application du rabais sur les prix du transport électrique. Nous nous félicitons que le texte reprenne cette idée qu'il vise à pérenniser dans un cadre légal fort.

Troisièmement, nous voulons rémunérer les effacements industriels à leur vraie valeur, car ils rendent un double service : économique pour le réseau et environnemental grâce à la limitation d'émissions de dioxyde de carbone qu'ils permettent. Mais il faut aller plus loin et plus vite que la loi NOME. En effet, la France, qui connaît des pointes de consommation électrique démentielles, est le pays dont l'intensité thermique est la plus grande : l'hiver, quand les gens allument leur chauffage électrique, la consommation explose. Cette aberration constitue un surcoût notable pour l'ensemble du système. Les industriels sont donc susceptibles d'apporter un vrai service en en diminuant l'impact.

Ensuite, il faut veiller à ce que les industriels ne soient pas affectés par le développement des énergies renouvelables – intermittentes – qui ont leur intérêt et leur valeur propres, mais qui ne permettent en aucun cas de faire tourner une usine. Les moyens de production renouvelables, éoliens ou photovoltaïques, et dont la CSPE tient forcément compte, ne doivent pas être répercutés sur les entreprises qui ne bénéficient pas de cette électricité-là.

Enfin, en ce qui concerne l'évolution de la fiscalité de l'énergie, nous devons prendre en considération la sauvegarde de l'industrie et des emplois. La redéfinition de la CSPE dans le cadre de l'application des nouvelles règles européennes sur la taxation pourrait conduire à une contribution beaucoup plus importante des industriels, représentant un surcoût éventuel de plusieurs centaines de millions d'euros.

Tout le monde connaît la révolution du gaz de schiste en Amérique du Nord. Je vous invite à lire le rapport de l'Institut Montaigne, que les uns jugeront trop audacieux, les autres trop timide, mais qui a le mérite de poser les bonnes questions. Avant de décider s'il faut exploiter ou non le gaz de schiste, encore faut-il savoir si nous en avons. N'étant pas géologue, je ne suis pas à même de répondre. Reste que, dans le secteur de l'industrie chimique et pétrochimique, des investissements majeurs sont réalisés aux États-Unis, et pas en Europe. La compétitivité à court terme de certaines industries chimiques et pétrochimiques en France et en Europe est remise en question par l'arrivée, en Amérique du Nord, de toutes ces nouvelles unités grâce à un gaz très peu cher.

Pour les industriels du Sud de la France, la situation liée au différentiel Nord-Sud est insupportable. Le statut de gazo-intensif adopté par le Parlement – il s'agit d'une mesure que nous saluons – donne aux industriels concernés accès à la capacité Nord-Sud à un prix préférentiel. Toutefois, même pour les gazo-intensifs, le problème n'est résolu qu'à moitié : ils n'ont accès qu'à 50 % des besoins et on ne peut faire tourner une usine à 50 % de ses capacités.

Nous avons quatre demandes assez claires concernant le gaz. Nous proposons d'abord que tous les sites gazo-intensifs du Sud de la France soient rattachés à la zone Nord pour qu'ils aient accès à un prix normal. Cette mesure est techniquement facile à mettre en oeuvre.

Ensuite, nous souhaitons l'application de mesures permettant de réduire le coût complet de l'accès au gaz. Il s'agirait de redistribuer le fruit des enchères Nord-Sud en faveur des gazo-intensifs. Le prix de transport du gaz pourrait ainsi être réduit : le transport en gaz est moins important en proportion du coût complet que le transport en électricité. On pourrait également aller plus loin dans l'exonération de taxes et de contributions.

Troisième mesure : nous souhaitons le développement de l'effacement de la consommation du gaz. Le principe de tarifs interruptibles existait déjà du temps de la défunte Compagnie française du méthane (CFM). Nous pourrions mettre en place, pour le gaz, un tel dispositif qui a du sens d'un point de vue économique. Nous verrons cet hiver si, du fait de la crise ukraino-russe, des problèmes d'approvisionnement rendaient nécessaires de tels effacements industriels.

Enfin, nous souhaitons le lancement d'une réflexion de fond sur l'accès des industriels gazo-intensifs à des contrats d'approvisionnement à long terme compétitifs au niveau international, l'échelle européenne n'ayant plus guère de sens aujourd'hui. C'est la seule solution à même de faire baisser le prix par rapport à l'Amérique du Nord. Nous en mesurerons l'impact au cours des deux ou trois prochaines années, quand toutes les nouvelles installations chimiques et pétrochimiques auront démarré en Louisiane et au Texas.

Nous avons préparé sept propositions d'amendements simples, concrètes, et qui prévoient des dispositions déjà appliquées par ailleurs.

Pour qu'une transition énergétique soit vraiment créatrice de valeur, il faut promouvoir l'industrie en France, meilleur moyen de lutter efficacement contre le changement climatique.

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