Intervention de Christian de Boissieu

Réunion du 11 septembre 2014 à 8h00
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Christian de Boissieu, membre du Cercle des économistes :

Je vous remercie de votre invitation à débattre d'un sujet qui me tient à coeur. Si j'ai tout de suite rejoint Expo France 2025, c'est parce que je crois au projet d'exposition universelle, que je trouve mobilisateur, multiplicateur et intégrateur. La France a été candidate à plusieurs événements importants – en vain. Elle n'a pas organisé d'exposition universelle depuis 1937. Il est temps qu'elle reprenne l'initiative.

Le projet est mobilisateur. La France – l'État comme les agents privés – est devenue « court-termiste ». Le raccourcissement des prévisions et des décisions est à la fois une cause et un effet de la crise. Si je me sens keynésien sur certains points, je récuse l'adage selon lequel, à long terme, nous serons tous morts : la croissance des dix prochaines années m'intéresse plus que celle des six prochains mois. Il serait précieux que notre pays, auquel les clivages politiques interdisent de mener toute réforme structurelle, se retrouve sur une initiative qui transcende ses divisions.

Le projet mobilise d'ores et déjà les jeunes. Il suscite l'intérêt des grandes écoles comme des universités, qui pour une fois travaillent ensemble. L'École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) élabore un business model, qui permettra de proposer un chiffrage. Toutefois, celui-ci ne pourra intervenir trop vite, tant que le projet n'est pas explicité. Le résultat d'une analyse coûtsavantages dépend en grande partie du taux d'actualisation. La crise incite à retenir un taux élevé, ce qui dévalorise les avantages escomptés pour 2025. Du reste, il est toujours difficile de chiffrer des externalités sur le long terme. Quoi qu'il en soit, dans un contexte offrant peu de perspectives, ce qui incite à l'individualisme, il faut se réjouir qu'un projet collectif propose un ancrage aux politiques publiques de long terme.

En deuxième lieu, le projet est multiplicateur. Lors des rencontres économiques d'Aix-en-Provence, Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a pointé le mauvais état des infrastructures européennes. Même l'Allemagne, qui se porte mieux que la France, doit consentir des efforts à cet égard. L'exposition universelle offrira l'occasion de certaines dépenses à fortes externalités positives, surtout si l'on met au coeur du projet la créativité, l'innovation et la R&D, la culture au sens le plus large.

Lorsque j'ai siégé à la Commission Juppé-Rocard, qui s'est penchée sur l'affectation des 35 milliards du grand emprunt – dont deux tiers ont été attribués, par le biais de l'Agence nationale de la recherche (ANR), à l'enseignement supérieur et à la recherche –, j'ai observé un véritable élan. Certaines personnes sont venues parler des pôles de compétitivité. Le tissu productif, des grandes entreprises aux ETI, s'est mobilisé autour des notions d'innovation, de créativité et d'investissement. Infrastructures et investissement privé étant complémentaires, il faudra inclure au rendement à long terme de l'exposition universelle, à supposer que l'on sache le calculer, des effets d'entraînement, notamment pour l'aménagement du territoire, entre l'investissement public et privé. Pierre Massé l'avait souligné, quand il étudiait la planification à la française.

En troisième lieu, le projet est intégrateur.

Il accélérera la réalisation de certaines ambitions, comme le Grand Paris, et leur offrira une perspective à plus long terme. Loin de les asphyxier, il leur donnera du sens. C'est pourquoi il doit mobiliser toute la France. N'opposons pas Paris et la province. Les instigateurs du projet cherchent à mobiliser les métropoles régionales, qui bénéficieront de ses retombées économiques, culturelles et patrimoniales. Celles d'une exposition universelle dureraient plus longtemps que celles des Jeux olympiques, mais, à vrai dire, plutôt que de choisir entre ces projets, je préférerais que la France organise les deux en jouant du calendrier.

L'intégration doit aussi concerner ses modes de financement. Dans un contexte de réduction des budgets nationaux et locaux, la crédibilité de notre candidature dépendra, quelle que soit la majorité, de son bouclage financier. Nous devons réfléchir à la mise en place d'un financement innovant.

Les partenariats public-privé (PPP) n'ont pas toujours produit les effets attendus. À mon sens, la France et l'Europe bénéficieront encore pendant quelques années d'une épargne privée importante. Selon l'INSEE, le taux d'épargne des ménages se situe à 15,9 %. Parce que le chômage et le risque retraite se dissipent lentement, ce taux ne se réduira pas dans les quatre prochaines années. Reste à savoir comment drainer une quantité d'épargne plus importante vers le long terme, le développement durable, particulièrement la prise en compte du changement climatique, que les banques, tenues par de nouvelles réglementations prudentielles, vont répugner à prendre en charge.

En septembre 2008, après la faillite de la banque Lehman Brothers, j'ai regretté dans Les Échos que l'Europe sous-utilise la Banque européenne d'investissement (BEI), qui finance le long terme, les infrastructures et les PME. Sous l'impulsion française – et, en particulier, celle du Président Hollande –, les Européens ont augmenté son capital de 10 milliards, ce qui lui permet de prêter 60 milliards de plus. La presse annonce ce matin que la France et l'Allemagne pourraient aller plus loin. Il va de soi que la BEI ne financera pas l'exposition universelle de Paris, mais elle pourra aider, à la marge, à réaliser le bouclage.

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