Un troisième facteur justifie que les outre-mer soient le territoire privilégié de la transition énergétique : sans réorientation du mix énergétique, le coût du système est amené à croître.
En raison des conditions d'approvisionnement, et parce que la production est assurée majoritairement par des centrales thermiques au charbon et au fioul, le mix électrique en outre-mer est très onéreux. Les coûts de production d'Électricité de Mayotte (EDM) sont huit fois plus élevés que ceux d'EDF. Le tarif réglementé de vente à Mayotte s'élève à 43 euros le mégawattheure alors, que le coût de production d'EDM est de 347 euros. De tels surcoûts ne peuvent évidemment être supportés par les seules populations. Ils justifient la mise en place d'une péréquation tarifaire. Il ne faut surtout pas oublier que ce dispositif existe sur l'ensemble du territoire français et qu'il ne bénéficie pas aux seuls Ultramarins. L'identification de la dépense de péréquation des ZNI dans une comptabilité séparée explique peut-être la croyance répandue que l'outre-mer profite seule du dispositif.
La péréquation prend toutefois une importance particulière pour l'outre-mer. D'abord parce que les différences de coûts s'expliquent aussi par le retard des politiques d'électrification de nos territoires. Depuis 1936, époque à laquelle nous n'étions que des colonies françaises, les collectivités métropolitaines ont bénéficié des concours financiers du fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE) pour construire le réseau de distribution performant qui existe aujourd'hui. Ensuite, la « vie chère » est une réalité des outre-mer qui rend nécessaire la péréquation. Enfin, elle est favorable à l'activité économique locale confrontée à une concurrence des territoires voisins.
La péréquation n'est évidemment pas sans effet sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Certains propos laissent penser que l'explosion des montants annuels de CSPE pesant sur les consommateurs s'expliquerait par l'influence de la péréquation qui pousserait l'outre-mer à la surconsommation. Nous avons voulu mettre ces assertions à l'épreuve des faits, et nous avons constaté que les consommateurs d'outre-mer étaient les plus sobres de France. Alors que l'habitant de l'Hexagone consomme en moyenne 6,84 mégawattheures, celui de Martinique en consomme 3,63, celui de Guadeloupe 4,27. Évidemment, ces chiffres s'expliquent aussi par le fait que nous n'avons pas d'hiver. Il n'en demeure pas moins que la surconsommation supposée des Ultramarins est un mythe.
Dans ces conditions, comment expliquer la progression de la CSPE ? Deux éléments ont joué un rôle. La « bulle photovoltaïque » de 2010, avec des tarifs d'achat très élevés pour l'électricité de la filière, a été à l'origine d'un parc pléthorique générant aujourd'hui une dépense très importante. Si l'on n'en tenait pas compte, l'augmentation de la CSPE resterait très raisonnable. La dérive de la CSPE s'explique par ailleurs par la hausse du coût de production des centrales EDF, notamment des centrales thermiques, dans une période de reprise des investissements. Trois centrales thermiques sont entrées ou entreront en service entre 2012 et 2014 : Port Est à La Réunion, Bellefontaine à la Martinique, et Pointe-Jarry en Guadeloupe. La filialisation progressive de l'activité de production d'EDF SEI – SEI pour systèmes énergétiques insulaires – a entraîné un recul de la production qu'elle assure en propre alors même que ses coûts de production augmentaient dans les ZNI de 8,3 % en 2013, mais de 18 % en 2014. Le modèle mis en place sur nos territoires est donc en cause. Il nous faut sortir de ce système qui est loin d'être vertueux.
Pour dépasser ces contraintes, nous devons évoluer vers un nouveau modèle énergétique. À l'enjeu de sécurité d'approvisionnement et de sécurité énergétique pour l'outre-mer s'ajoute l'enjeu environnemental. Le développement de nouvelles sources de production locales permettrait de diversifier l'approvisionnement. Les outre-mer ne peuvent continuer à présenter un bilan carbone de leur production électrique aussi dégradé.
Le développement des énergies renouvelables ne nécessitera qu'un investissement relativement faible, et il contribuera à réaliser des économies de CSPE en diminuant le coût moyen de l'électricité outre-mer. En raison du coût de production élevé des centrales thermiques classiques, toutes les énergies renouvelables sont déjà parvenues à la « parité réseau ». Pendant une période transitoire, il faudra cependant financer à la fois les centrales thermiques classiques, les nouveaux investissements, et le coût de la transition, ce qui sera évidemment assez lourd.
Nous sommes aujourd'hui au point mort parce que la politique énergétique dans les outre-mer est victime de dispositifs nationaux inadaptés ou inappliqués, et de prises de décisions lointaines.
Il est inadmissible de constater que des citoyens français n'ont pas accès à l'électricité sur leur propre territoire ou qu'ils doivent pour cela acheter eux-mêmes le fioul et les groupes électrogènes nécessaires, comme dans les « écarts » de Guyane déjà évoqués. Les communes de Guyane sont aujourd'hui livrées à elles-mêmes face à l'immense tâche de l'électrification de l'intérieur de la région sans disposer des moyens financiers d'assumer une telle charge. Le dispositif FACÉ permet seulement d'entretenir les lignes existantes mais pas de tisser un réseau qui n'existe pas en Guyane. L'enveloppe FACÉ reçue par la Guyane en 2014 n'est de toute façon que de 1,3 million d'euros sur un total national de 370 millions, alors que les problèmes de ce territoire sont immenses. Nous ne pouvons pas laisser plus de 200 000 Français hors du droit commun électrique.