Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 17 septembre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Je tiens également à féliciter nos deux collègues pour cet excellent rapport. C'est, à ma connaissance, le premier qui permette d'éclaircir un certain nombre de points qui, jusqu'à présent, restaient opaques, je dirais même ésotériques, pour nos concitoyens, y compris pour les élus. Je me réjouis donc de sa publication. Je n'ai pas eu le temps de le lire entièrement, mais ce que j'en ai entendu est édifiant.

Je m'associe également aux propos du président Brottes. C'est à sa demande, en effet, que la Commission de régulation de l'énergie a pu accueillir un représentant des ZNI en la personne de Mme Edwige, originaire de la Martinique et spécialiste reconnue en raison de sa très longue expérience dans ce domaine. Pour ma part, je demanderai, lors de l'examen du projet de loi, qu'il y ait un représentant des outre-mer au sein du comité de gestion de la CRE, car nous souhaitons qu'il y ait un représentant des ZNI dans les instances de direction, là où se prennent les décisions. Cela ne figure pas dans le rapport, mais je m'en suis ouvert à Mme la ministre pour la sensibiliser à cette question.

La CRE soutient le développement de certains projets innovants, comme ceux du Galion en Martinique, qui fait de la cogénération bagasse-bois. Mais elle refuse de prendre en charge le surcoût du projet de l'île Marie-Galante, en Guadeloupe, alors que nous sommes en deçà des coûts de production nationaux et qu'il s'agit du même projet de centrale bagasse-bois, avec du bois importé du Brésil. Ce n'est pas une simple question d'arithmétique, mais une philosophie, une certaine vision des choses. Aujourd'hui, ce projet est en panne. Toutefois, Albioma a fait des propositions pour tenir ces coûts.

Par ailleurs, j'estime que la péréquation est menacée. La configuration du périmètre industriel d'EDF, avec le passage entre EDF SEI (systèmes énergétiques insulaires) et EDF PEI (production énergétique insulaire), et une évolution forte en faveur des contrats de gré à gré, me paraît dangereuse. C'est, selon moi, une astuce permettant d'éviter l'application de la loi au plan national, et d'échapper à la péréquation et à la solidarité nationale. Le rapport l'indique clairement, c'est déjà le cas pour l'est guyanais où – j'ai beaucoup de mal à le comprendre – on laisse de lourds investissements à la charge des petites communes. Les communes du littoral guyanais, quant à elles, bénéficient de la péréquation nationale, contrairement à l'Ouest guyanais et à l'arrière-pays amazonien. Il y a là, manifestement, un problème de répartition des charges et d'égalité entre citoyens français. Il faut avoir une ambition nationale, un impératif national à l'égard de l'Ouest guyanais et faire jouer pleinement la péréquation en faveur de l'arrière-pays.

J'en viens à l'extension territoriale de la péréquation. Le rapport ne fait pas état de ce problème, que le président Brottes connaît bien, et sur lequel on ne peut pas faire l'impasse. À Wallis-et-Futuna, les 12 000 Français les plus éloignés de la métropole paient l'électricité six fois plus cher que le coût national. L'argument opposé est que c'est leur statut…

Le général de Gaulle avait pris des engagements sur la gratuité de la santé devant le roi d'Uvea, le Lavelua. C'est un bon exemple de la diversité de la République. Il y a, à Wallis-et- Futuna, trois rois traditionnels dont les fonctions ont été reconnues par le statut de 1961. Aujourd'hui, la gratuité ne joue plus pour les prothèses dentaires ni pour les lunettes. Voilà pourquoi les gens les plus édentés de France vivent à Wallis et Futuna ! Et pourtant, c'est là que l'on trouve les plus grands patriotes, qui ont une tradition d'engagement dans le service national. On leur dit que les choses ont changé, que la santé gratuite, c'est terminé, et qu'en raison de leur statut, ils ne peuvent pas bénéficier de la péréquation nationale. Wallis-et-Futuna compte 12 000 habitants : ce n'est pas cela qui va ruiner la France ! Nous avons le devoir moral de tout faire pour que ces citoyens puissent bénéficier de la péréquation nationale. Faute de quoi, il conviendrait d'accorder une subvention à ce petit territoire, qui compte dix-neuf élus, afin de baisser le coût de l'électricité. Lorsque j'étais au Gouvernement, j'ai pris des mesures dans ce sens, mais elles sont insuffisantes. Il faut poursuivre ce travail.

En ce qui concerne le pilotage de la politique énergétique, je souscris pleinement à toutes les propositions qui ont été évoquées. Il convient de mieux intégrer, mieux contrôler, voire mieux maîtriser la stratégie décidée par EDF et EDF SEI. Aujourd'hui, EDF PEI procède à une contractualisation hors contrôle. J'avoue avoir du mal à comprendre, car nous avons tous assisté, impuissants, à l'intégration et à la filialisation d'EDF Energies Nouvelles de M. Mouratoglou. Sachez que la région Guadeloupe, que j'ai l'honneur de présider, a demandé une habilitation, en vertu de l'article 73 de la Constitution. Nous faisons ce que l'on appelle des lois et des décrets de région, publiés au Journal officiel de la République française. J'ai ainsi publié 29 lois d'origine régionale, qui ont contribué à baisser les prélèvements sur la CSPE. Dans le projet de loi sur la transition énergétique, un alinéa précise que, désormais, ces lois et ces décrets devront se faire à budget constant et que leur application ne devra être en aucun cas imputée sur la CSPE.

Je rappelle à nos collègues qu'une habilitation, c'est « tout bénéfice » pour l'État, qui cède une compétence sans donner aucune ressource. Or rien que pour la maîtrise de l'énergie et la réglementation thermique des constructions, que demandent toute la Caraïbe, la République d'Haïti, le Venezuela, nous avons adapté aux pays tropicaux une législation faite pour les pays tempérés et nous avons dépensé près de 5 millions d'euros. La Martinique a fait de même, en apportant des améliorations. Nous avons ainsi contribué à baisser les prélèvements sur la CSPE. Eh bien, aujourd'hui, on nous demande de nous débrouiller, mais à budget constant ! Il faudrait pour le moins faire l'inventaire et le bilan chiffré de ce que nous avons fait. C'est une atteinte manifeste portée aux habilitations. J'ai donc déposé un amendement visant à supprimer cette disposition. Car si elle devait être appliquée, ce serait un coup sévère porté à la décentralisation et à l'autonomie régionale.

Enfin, le schéma régional climat air énergie (SRCAE) n'est pas prescriptif, mais déclaratif. Il faut l'intégrer dans la PPE, je souscris totalement à cette proposition, mais aussi dans les schémas d'aménagement régionaux (SAR), qui sont, eux, prescriptifs et normatifs. Nous aurions alors quelque pouvoir de contrôle.

Auparavant, c'était EDF qui recevait les propositions, notamment en matière photovoltaïque. C'était EDF qui, seule, classait les projets par ordre d'arrivée et d'importance et qui décidait souverainement, pour ne pas dire en toute opacité, du choix des bénéficiaires. EDF avait alors deux filiales, Tenesol, devenue Sunzil, laquelle est également une filiale du groupe Total, et EDF Energies Nouvelles de M. Mouratoglou. Depuis, EDF a absorbé totalement, pour des sommes folles, EDF Energies Nouvelles. C'étaient presque uniquement les projets de ces deux sociétés, quelle que soit la date de dépôt, qui étaient priorisés. J'ai dû demander, dans le cadre des lois d'habilitation que, désormais, les projets soient déposés au niveau de la région et que le choix entre l'habilitation et le système traditionnel de décision relève d'une commission mixte. Il y a là un problème de gouvernance et de pilotage qu'il faut clarifier dans le projet de loi.

Enfin, j'aimerais savoir ce qu'il en est des tarifs d'électricité, s'agissant notamment des tarifs bleus, pour les personnes en situation de précarité énergétique. À ce titre, la loi Brottes est une avancée importante.

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