Intervention de Adamo Screnci

Réunion du 17 septembre 2014 à 21h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy :

La société McPhy Energy est née de la rencontre d'une innovation technologique issue de dix ans de recherche au CNRS et de plusieurs années de collaboration avec le CEA, et de l'idée que la valorisation des importantes quantités d'énergie gaspillées pourrait bien devenir un marché porteur. Son objet est donc de fabriquer des équipements pour valoriser l'énergie dite fatale, malheureusement considérée comme un déchet. Notre offre repose sur une technologie innovante de stockage sous forme solide de l'hydrogène couplée à la production décentralisée d'hydrogène sur site à partir d'électrolyse.

McPhy a franchi de nombreuses étapes depuis sa création : incubation, prototypes, recherche de fonds à travers le crédit d'impôt recherche – très bénéfique – et des fonds de capital-risque, développement de projets participatifs à l'étranger – Japon, Italie, Allemagne et États-Unis – et bientôt en France, jusqu'à notre récente introduction en bourse en mars 2014, qui a été un succès. La technologie de l'hydrogène suscite un intérêt dont profitent notre technologie de stockage et le couplage des deux. Cet intérêt est manifesté à la fois par les investisseurs, grâce auxquels nous avons levé 57 millions d'euros, par les industriels étrangers, comme Enel, E.ON et Iwatani, qui ont investi dans des prototypes, et par le public, comme en témoigne le succès de notre introduction en bourse.

Aujourd'hui, nous avons deux filiales, l'une en Allemagne et l'autre en Italie, et trois sont en cours de création.

Nous avons identifié trois marchés prioritaires. Le premier est celui de la mobilité à hydrogène décarboné. De nos jours, 95 % de l'hydrogène est carboné. Produit principalement à partir du gaz naturel ou des hydrocarbures, il représente 800 millions de tonnes de CO2. La production d'un kilo d'hydrogène génère dix kilos de CO2, auxquels il faut ajouter le CO2 émis pour le transport, soit au total environ 15 kilos de CO2. Avec un kilo d'hydrogène, on parcourt 100 kilomètres, avec une émission de 150 grammes de CO2 au kilomètre. En résumé, l'hydrogène actuel ne résout rien, ce qui explique en partie les difficultés des véhicules à hydrogène. Or l'hydrogène décarboné est possible.

Deuxième marché important, l'hydrogène comme vecteur dans le power to gas, autrement dit le stockage d'énergie. Nous avons convaincu quelques industriels français de s'y intéresser.

Le troisième marché est celui de l'hydrogène industriel. On produit aujourd'hui dans le monde 60 millions de tonnes d'hydrogène, qui génèrent 800 millions de tonnes de CO2. Si l'on en produisait un peu moins, ce serait toujours ça de gagné en CO2, et même en indépendance énergétique.

Je retiens de nombreux éléments positifs dans le projet de loi sur la transition énergétique, des signes d'ouverture et de changement. Je cite pêle-mêle : « consommer mieux et moins » – si la première économie, c'est l'énergie non consommée, on peut aussi essayer d'utiliser l'énergie qui est produite mais non employée ; « produire autrement, localement », telle est bien notre idée ; « favoriser le développement des énergies renouvelables », chacun sait que le stockage en est indissociable ; enfin, « améliorer l'air, notre environnement, la qualité de la vie », c'est notre ADN.

Pour parvenir à ces objectifs, l'hydrogène peut jouer un rôle ; il n'est pas la solution mais il est un outil complémentaire. Le véhicule à hydrogène est aussi un véhicule électrique – avec une plus grande autonomie, une autre architecture, moins de batteries – qui répond à un autre besoin. Avec un véhicule électrique standard, il est difficile de faire Paris-Lyon ; avec un véhicule à hydrogène, on peut parcourir 600 kilomètres en ayant fait, en trois minutes, un plein qui coûte 50 euros. Nous en avons un en Allemagne, que nous utilisons tous les jours.

L'hydrogène est plus un vecteur d'énergie qu'une énergie. Il permet de faire le lien entre différentes sources d'énergie, c'est là sa force. Il rend possible le dialogue entre les réseaux d'électricité, de gaz et de pétrole ainsi que l'intégration des énergies renouvelables et du nucléaire fatal, la mobilité décarbonée et la réduction de l'empreinte carbone du gaz naturel. En cela, il est intéressant pour l'indépendance énergétique.

Une fois posé les grands principes, il faut passer aux propositions concrètes ; permettez-moi d'en faire quelques-unes.

La première serait de déployer une infrastructure hydrogène pour la mobilité. Je ne parle pas de sept millions de bornes. À court terme, c'est-à-dire en 2015, cela signifie une dizaine de stations afin de lancer la mobilité à hydrogène avec des flottes captives ; dans cinq ans, une centaine de stations, pour atteindre un niveau équivalent à ce qui existe en Allemagne, au Japon ou en Californie ; à long terme, l'objectif est d'atteindre 10 % des 12 000 stations essence actuelles.

Deuxième suggestion, un bonus de 3 euros par kilo pourrait être consenti pour l'hydrogène décarboné. Aujourd'hui, compte tenu des coûts, nous réussissons à produire de l'hydrogène pour la mobilité autour de 13 euros le kilo, soit 3 euros de trop pour être compétitif par rapport au diesel. Ces 3 euros pourraient être financés par un bonus pour un hydrogène vert. Trois euros, c'est aussi 3 centimes au kilomètre, ce qui correspond au coût admis dans différentes études de l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique due aux transports. On peut rendre compétitif l'hydrogène pour la mobilité tout en réduisant la pollution.

Troisième proposition, aider au financement de 50 mégawatts de power to gas qui permet de récupérer les excédents d'électricité, de les transformer en hydrogène et de les injecter dans le réseau de gaz naturel, avec un coût de rachat du mégawattheure de 200 euros. Aujourd'hui, le biogaz est racheté autour de 130 euros le mégawattheure et le gaz naturel vaut 30 euros ; nos installations sont à l'équilibre à 250 euros. Pourquoi 200 euros ? Si on analyse toutes les technologies permettant de stocker de l'électricité – à l'exception des STEP (stations de transfert d'énergie par pompage), très efficaces et amorties mais dont les capacités d'installation sont épuisées –, c'est la technologie la moins chère pour valoriser de l'électricité. Le coût ne semble pas très élevé pour résoudre le problème de stockage et de valorisation de l'électricité produite par les énergies renouvelables.

À partir de ces 50 mégawatts, le développement serait progressif jusqu'en 2050 puisque, selon les études de l'ADEME, reprises dans le projet de loi, à cette date, il y aura entre 25 et 30 térawattheures d'électricité inutilisable. Cette électricité pourra être récupérée avec le power to gas.

À court terme, il est important que les pouvoirs publics consolident une filière naissante animée par de petits acteurs. Nous avons démontré la technologie – que nous vendons à l'étranger –, des compétences et des capacités à gérer ce développement en toute sécurité. À long terme, il s'agit de sécuriser les grands industriels. McPhy atteint ses limites : pour des installations qui coûtent des dizaines, voire des centaines de millions d'euros, l'association avec de gros acteurs de l'énergie français est indispensable. Les grands industriels doivent prendre le relais pour permettre le déploiement national, avec la mise en place de projets locaux, créateurs d'emplois, avant d'aller à l'international.

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