Intervention de Marc Jedliczka du CLER-Réseau pour la transition énergétique

Réunion du 18 septembre 2014 à 9h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Marc Jedliczka du CLER-Réseau pour la transition énergétique :

Le CLER est spécialisé dans l'énergie du climat : il a pris comme sous-titre il y a deux ans « Réseau pour la transition énergétique », à savoir RTE : notre approche est toutefois différente de celle du Réseau de transport de l'électricité !

Nous avons rédigé, nous aussi, à votre attention des projets d'amendements que je regrouperai sous trois grands thèmes.

Le premier concerne la rénovation du bâti, enjeu majeur de la transition énergétique. Le patrimoine bâti dont nous héritons nécessite des travaux vigoureux : à l'horizon 2050, la totalité du parc devra être rénovée à un niveau compatible avec les objectifs du label BBC – bâtiment basse consommation –, voire de l'habitat passif. Or le projet de loi a oublié de prévoir une stratégie de rénovation du bâti : c'est ce que fait notre proposition d'amendement à l'article 2 à moyen et long terme. La crédibilité du texte en sortira renforcée.

Nous proposons également, à l'article 5, qui instaure une obligation d'améliorer significativement la performance énergétique d'un bâtiment à chaque fois que des travaux importants y sont réalisés, des amendements relatifs aux périodes de mutation, c'est-à-dire des changements de propriétaires, comme en cas de ravalement ou de changement de toiture. Il faut instaurer dans la vie des bâtiments des moments où il est obligatoire de réaliser des travaux d'isolation.

Il est, en outre, très important de prévoir que, si les travaux sont réalisés par étapes, chaque étape soit compatible avec la suivante. C'est à cette seule condition qu'il sera possible d'atteindre un niveau de performance énergétique final proche du BBC. Nous vous proposons d'introduire cette précision afin de rendre la disposition véritablement opérationnelle.

Nous avons également rédigé une proposition d'amendement visant à prendre en compte la notion de décence : il est indispensable d'établir une stratégie en direction des « passoires thermiques » qui sont généralement habitées par des personnes en précarité énergétique. Il n'est plus possible de se contenter d'incantations sur le sujet : il faut mener une action vigoureuse.

Nous proposons également à l'article 47 une disposition relative aux appareils électroménagers visant à combler le retard de la France sur la transposition du droit européen en la matière.

Deuxième thème : les EnR. Nous pensons que l'ensemble des énergies capitalistiques, qui coûtent cher à l'investissement mais ne coûtent quasiment rien en fonctionnement, sont très peu compatibles avec le marché. Ce sont les énergies dites fatales : les EnR en font partie, le nucléaire aussi – c'est la raison pour laquelle EDF demande un tarif d'achat pour sa production nucléaire au Royaume-Uni, ce qui prouve que la notion de marché n'est pas tout à fait adaptée à ce type de production. C'est pourquoi il conviendrait, sans le rendre irréversible, de tester le dispositif de versement de la prime pour la vente des EnR sur le marché. Ainsi, en Allemagne, chaque mois, un producteur photovoltaïque ou éolien peut choisir d'être présent sur le marché ou soumis au tarif d'achat. Nous proposons de mettre en place un système analogue, au moins à titre transitoire.

L'article 30 prévoit que le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance dans le domaine des énergies renouvelables : cela nous semble dangereux et pour tout dire inacceptable. Il est de votre devoir, mesdames et messieurs les membres de la représentation nationale, de conserver le contrôle de ce chapitre important de la transition énergétique et donc de supprimer ces deux alinéas.

Le troisième thème concerne les relations avec les réseaux de distribution, qui posent des problèmes. C'est pourquoi il n'est pas souhaitable à nos yeux que les autorités régulatrices de la distribution perdent au profit de la CRE la possibilité de sanctionner leurs concessionnaires comme le prévoit le texte. Les collectivités locales, via les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), doivent au contraire garder la main et pouvoir négocier à forces égales avec les concessionnaires – cela vaut pour tous les domaines : le gaz et l'électricité comme l'eau et les déchets. Le monopole tel qu'il est structuré aujourd'hui est archaïque : il est temps de le réformer et de prévoir des possibilités de négociation et de collaboration avec les territoires.

Nous proposons en outre la séparation effective entre ERDF et EDF, à laquelle est également favorable le médiateur de l'énergie.

Une autre proposition d'amendement, d'apparence très technique mais importante, a trait à ce que l'on appelle le raccordement indirect. Une directive européenne a créé les « réseaux fermés de distribution », en fait des réseaux privés ou semi-privés raccordés au réseau public – ce peut être le cas d'un campus universitaire, d'un site industriel, etc. Cette possibilité donnée aux États membres n'a pas encore été transposée en droit français : nous souhaitons qu'elle le soit, mais dans des conditions permettant aux opérateurs en aval qui sont raccordés à ces réseaux fermés de bénéficier à la fois de l'ouverture des marchés – autrement dit de choisir leur fournisseur – et des aides à la production des énergies renouvelables : tarifs d'achat, appels d'offre, etc. Il faut savoir que nous rencontrons aujourd'hui sur le terrain des problèmes avec les gestionnaires de réseaux pour faire valoir ce droit, qui appartient à tous les citoyens comme à toutes leurs organisations.

L'accès aux données des réseaux de distribution a été longuement évoqué dans le cadre du débat : nous avons proposé un amendement à l'article 54 ouvrant l'accès non pas seulement aux données physiques – taille et longueur des câbles – mais aussi aux données de consommation et de production, et ce en temps quasi réel, tout en respectant les contraintes liées aux ICS, c'est-à-dire aux données sensibles au plan commercial.

Les réseaux de distribution constituent l'épine dorsale d'une politique territoriale de l'énergie : or les territoires sont constitués non seulement des collectivités et des réseaux, mais également des citoyens, qui ont besoin d'être informés de manière neutre, indépendante et objective, sur toutes les questions touchant l'énergie. Ils doivent pouvoir notamment distinguer l'information de la communication commerciale. Or, aujourd'hui, la confusion est totale. C'est pourquoi nous avons proposé un amendement visant à pérenniser le réseau des espaces Info Énergie qui remonte déjà à une quinzaine d'années, mais qui vit dans la misère – j'en sais quelque chose en tant que directeur de l'espace Info Énergie de la partie rurale du département du Rhône. Il serait souhaitable que ce service public d'information indépendante sur l'énergie, qui a fait la preuve de sa qualité, soit reconnu au même titre que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), et assuré de financements pérennes, ce qui éviterait de devoir aller pleurer chaque année des subventions régulièrement en baisse auprès des conseils généraux et de l'ADEME. Il s'agit de métiers très complexes, tout à la fois techniques et sociaux, puisque les espaces Info Énergie accompagnent aussi bien des personnes en précarité que des catégories socioprofessionnelles favorisées, ce qui exige de s'adapter aux différents publics et de se tenir informer des évolutions techniques qui sont très rapides dans le domaine du bâtiment et de l'énergie.

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