Avec les travaux de la commission spéciale à l'Assemblée Nationale, la loi sur la transition énergétique connaît son heure de vérité.
Allez-vous en faire un texte fondateur, le « texte le plus avancé au niveau européen » pour reprendre l'ambition du Gouvernement, une loi à la hauteur des enjeux et qui impulse une dynamique nouvelle sur la transition énergétique et la croissance verte ? Vous seuls avez la réponse.
Le texte doit être significativement amélioré pour atteindre cet objectif. Vous en avez la responsabilité dans le cadre des amendements que vous déposerez.
Nous croyons en votre travail sur ce projet de loi. C'est pourquoi la Fondation Nicolas Hulot a formulé trente-cinq ans propositions pour vous permettre d'enrichir le texte. Une bonne partie est consensuelle et peut être facilement intégrée au texte.
Vous ne partez pas de zéro. Alors que vous allez étudier le texte en quelques jours seulement, n'oubliez pas que les parties prenantes ont travaillé le sujet depuis le lancement du débat sur l'énergie il y a deux ans…
Les experts pluralistes mobilisés sur le débat ont produit de nouvelles connaissances sur les scénarios comme sur les bénéfices macro-économiques de la transition énergétique. À vous d'en tirer profit.
Nous avons construit patiemment des consensus, des organisations patronales aux syndicats de salariés, des collectivités aux ONG, sur des sujets essentiels et parfois conflictuels. Or beaucoup de ces consensus sont passés sous silence dans le texte actuel. Je vous donnerai trois exemples : le nécessaire dispositif de suivi des moyens financiers consacrés à la transition énergétique – j'y reviendrai –, le lancement d'une étude d'impact sur la baisse généralisée des vitesses – ce n'est pas cette baisse qui faisait consensus, mais bien le lancement de l'étude d'impact – ou encore la nécessité de mobiliser les entreprises sur les transitions professionnelles des salariés, un sujet sur lequel le projet de loi est quasi-muet. Je le répète : toutes ces recommandations étaient consensuelles, y compris pour le MEDEF. À vous de les réintégrer dans le texte.
Je souhaite revenir très rapidement sur le thème central du financement de la transition énergétique. Vous pouvez grandement améliorer le texte notamment sur le financement par les citoyens des projets d'énergies renouvelables. La rédaction actuelle de l'article 27 peut être améliorée. Il faudrait ouvrir le financement à tous les citoyens, et non seulement aux riverains « résidant habituellement à proximité du projet », comme le texte le prévoit actuellement. Il faut également préciser comment les porteurs de projet EnR seront exonérés des contraintes liées à l'appel à l'épargne des particuliers. Il faut, plus globalement, inscrire dans la loi un délai d'un an pour identifier et lever tous les freins actuels, s'agissant notamment des modalités techniques liées aux règles pour l'appel à l'épargne des particuliers ou des statuts juridiques. Par exemple, certaines obligations liées au statut des sociétés coopératives d'intérêt collectif pourraient être levées très facilement pour leur permettre de connaître le même succès qu'en Allemagne.
Une fois ces trois préalables réalisés, il serait possible, d'ici trois à cinq ans, de rendre cet appel au financement citoyen obligatoire comme au Danemark.
Il convient également que le texte lève les freins au tiers-financement. La version précédente de la loi était plus satisfaisante sur ce point. Il s'agit d'une question de volonté politique. La loi doit permettre au tiers-financement de se développer enfin et aux collectivités d'y prendre toute leur part. Rappelons que les banques ont pu bénéficier au cours des dernières années de conditions très favorables sur lesquelles l'Etat a été très clément – dois-je rappeler l'historique de la création du Livret Développement durable appelé à remplacer le CODEVI ? Aux banques maintenant de jouer le jeu.
Il est également nécessaire de prévoir la mise en place, par le Gouvernement, d'un suivi régulier et partagé des moyens financiers publics et privés mis en oeuvre pour financer la transition énergétique. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce suivi n'existe pas encore. Il devrait faire l'objet d'un rapport annuel du Gouvernement à destination du Parlement. C'était une demande consensuelle de tous les acteurs du débat, reprise également dans l'avis du Conseil national de la transition énergétique (CNTE). Ce dispositif permettra notamment de suivre la mise en oeuvre effective, et le rythme, des dispositifs annoncés par le Gouvernement cet été : doublement du fonds chaleur, fonds spécial de 1,5 milliard, les 5 milliards de prêts dédiés à la transition énergétique de la Caisse des dépôts et consignations. Ce sont de bons outils : encore faut-il s'assurer de leur mobilisation pleine et entière et du rythme de celle-ci.
Il faut par ailleurs encourager les comportements vertueux de tous les acteurs. Sur certains sujets essentiels, ce n'est pas le cas dans la version actuelle du texte. Je vous livre trois exemples sur lesquels vous pouvez efficacement faire progresser les rédactions. Je précise que nous avons veillé à respecter l'article 40, en précisant, lorsque c'est nécessaire, les sources de financement mobilisées.
S'agissant des collectivités, l'article 9 impose 20 % de véhicules sobres dans les parcs des collectivités, mais cet objectif, déjà inscrit dans la loi sur l'air adoptée il y a dix-huit ans, en 1996, n'est toujours pas respecté. Il faut instaurer, comme une précédente version du projet de loi le prévoyait, une contribution pour les collectivités qui ne respecteraient pas cette obligation. Le produit de cette contribution serait intégralement reversé au financement des projets mobilités douces des collectivités. Les collectivités les moins vertueuses financeraient ainsi les projets des collectivités les plus vertueuses, ce qui devrait rassurer les associations qui les représentent.
S'agissant des entreprises, il serait utile d'ajouter, par exemple à l'article 22, un principe de mesures de soutien, notamment fiscales, aux TPE et PME qui s'engageraient dans l'économie circulaire et l'éco-conception. Ces mesures pourraient être financées par une augmentation très raisonnable et échelonnée dans le temps de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) stockage payée par les entreprises.
S'agissant enfin des citoyens, il faut les inciter à adopter eux aussi des comportements vertueux ; encore faut-il qu'ils en aient les moyens. L'ouverture de la prime à la conversion, prévue à l'article 13, à l'achat d'un véhicule d'occasion récente, constituerait une grande avancée sociale. Elle pourrait être financée par une augmentation progressive de la fiscalité sur le diesel. Un ménage modeste n'a pas toujours les moyens de s'acheter une voiture neuve.
Ces trois mesures favoriseraient les comportements vertueux en pénalisant un peu ceux qui le seraient moins. Tel est le sens du basculement vers une fiscalité plus écologique que soutient la Fondation Nicolas Hulot, un autre sujet sur lequel le projet de loi pourrait prévoir une trajectoire en élevant, par exemple, le prix de la tonne de CO2 à 100 euros en 2030. Cette mesure devrait être évidemment conjuguée avec des dispositifs de soutien adaptés favorisant la conversion des acteurs économiques les plus fragiles.
Vous l'aurez compris, nous comptons beaucoup sur vous et vos amendements. Nicolas Hulot a appelé à ce que, au-delà des clivages, ces travaux parlementaires soient l'occasion de laisser les armes au vestiaire, de mutualiser les intelligences et de tirer cette loi vers le haut, comme cela avait été le cas de la loi Grenelle 1. Cette loi de transition énergétique peut être le moteur de l'économie de demain : à vous de le rendre possible !