Intervention de Alexandre Grillat

Réunion du 17 septembre 2014 à 18h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres, CFE-CGC :

Comme vous le savez, la CFE-CGC s'est pleinement investie dans les débats depuis deux ans. Elle est donc, dans la branche des industries électrique et gazière, satisfaite de pouvoir vous livrer son point de vue sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.

Nous partageons deux grands objectifs de cette loi : la lutte contre le réchauffement climatique et le combat pour la croissance et l'emploi. Ces deux piliers sont indispensables pour préserver le modèle social européen et offrir un avenir acceptable aux générations futures.

Les derniers rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) montrent qu'il est urgent de développer une véritable stratégie mondiale bas carbone. Cette loi doit donc permettre d'inscrire pleinement la France dans un leadership mondial positif. Car nous sommes convaincus que la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique et la croissance ne sont pas incompatibles. Nous nous inscrivons clairement dans la perspective de la Conférence Paris Climat (COP 21) de décembre 2015, mais aussi dans une perspective de long terme.

Nous soutenons donc pleinement l'ambition de cette loi en matière de facteur 4. Mais cela ne saurait rester un voeu pieux et doit absolument s'inscrire dans une politique européenne forte et cohérente. La nouvelle organisation de la Commission européenne semble aller dans le bon sens, puisque les portefeuilles de l'énergie et de l'action climatique seraient confiés à un seul et même commissaire. Nous allons donc devoir être plus présents sur la scène européenne.

L'urgence climatique nous commande d'aller vite, nous devons donc être à la fois ambitieux et réalistes. Au plan industriel, nous avons à la fois des leaders mondiaux et des start-up : il faut s'appuyer sur eux, non seulement pour qu'ils se développent, mais aussi pour qu'ils continuent à investir en France et à croire en notre pays. C'est l'un des paradoxes de cette loi. Nous sommes dans une économie mondialisée, le réchauffement climatique est mondial, mais c'est l'avenir de la France que nous devons écrire, ce sont les emplois d'aujourd'hui que nous devons défendre, ce sont les emplois de demain qu'il faut préparer.

À la lecture du projet de loi, nous éprouvons quelques regrets. Le principal porte sur la faiblesse du volet social et professionnel. Le projet de loi n'emporte aucun marqueur social, pourtant élément indispensable à la mobilisation des salariés. La CFE-CGC a souhaité voir l'élargissement de la branche professionnelle des industries électriques et gazières à tous les acteurs de la transition énergétique. Cette ambition sociale, à laquelle nous sommes attachés, est l'occasion d'offrir à tous les salariés un horizon social unifié.

Ce marqueur social permettra de préparer les indispensables transitions professionnelles et d'emporter l'adhésion des salariés, et plus globalement des Français. La transition énergétique doit être incarnée, palpable. Nos concitoyens, qui sont tous concernés dans leur famille par le chômage de masse, s'investiront d'autant plus pour changer de mode de vie et de consommation énergétique, s'ils voient dans cette mutation un espoir en matière de travail.

Mais, pour créer de l'emploi durable, le projet doit permettre la construction de filières pérennes. Nous sommes convaincus que les dispositions en faveur de l'efficacité énergétique passive – par l'isolation des bâtiments – ou active – par le pilotage des usages – créent rapidement des emplois, à condition que leur modèle économique repose sur une équation durable, soutenable par le consommateur et le contribuable. Nous plaidons donc en faveur d'un véritable signal prix pour l'énergie et d'un prix incitatif du carbone pour permettre les investissements et le transfert des usages vers des technologies moins émettrices.

Dans ce contexte, nous contestons formellement les propositions d'évolution de la construction tarifaire de l'électricité prévues à l'article 41. Comme le dit Marcel Boiteux, « les tarifs sont là pour dire les coûts, comme les horloges sont faites pour dire l'heure ». C'est la condition sine qua non pour permettre l'investissement dans le secteur électrique. Il est donc inacceptable, pour la CFE-CGC, de renoncer au principe de couverture des coûts. Introduire une variable aussi aléatoire que le prix de marché est pour nous un non-sens économique.

Tout le monde connaît les importantes distorsions qui affectent le prix de marché, en France et plus encore en Europe, en raison des dispositifs publics de soutien aux énergies renouvelables. On a même vu apparaître des prix de marché négatifs ! A contrario, les périodes anticycloniques de nuit peuvent conduire à une explosion des prix. À cela s'ajoutent les incertitudes sur le productible nucléaire belge et les alertes de Réseau de transport d'électricité (RTE) à propos des difficultés d'approvisionnement qui pourraient survenir cet hiver et des mises sous cocon des sites combinés à gaz pour des raisons économiques. Une commission d'enquête sur les tarifs de l'électricité vient d'être lancée. Nous vous proposons d'attendre ses conclusions avant d'engager toute réforme tarifaire.

Nous regrettons d'ailleurs nous aussi qu'une loi aussi fondamentale soit aussi électro-centrée : plus de 60 % de ses articles sont consacrés à l'électricité, et le pétrole, qui représente pourtant 50 % des consommations, en est quasi absent. Quelques esprits mal intentionnés pourraient y voir une loi anti-EDF. Nous sommes de ceux qui disent qu'EDF est au contraire une des solutions françaises pour réussir le pari d'une transition énergétique cohérente, responsable et pragmatique.

C'est pourquoi nous ne pouvons être favorables au volet hydroélectrique de la loi, alors même que les conséquences du réchauffement climatique à l'horizon 2020-2025 vont imposer aux ouvrages hydrauliques de nouvelles contraintes, voire de nouvelles missions de service public : protection contre les crues, limitation de la sécheresse. Nous rejetons donc la privatisation rampante – décidée au nom d'obscures promesses bruxelloises – d'outils stratégiques qui seront encore plus indispensables demain. L'urgence climatique et la Charte de l'environnement inscrite dans la Constitution nous fournissent tous les éléments pour proposer une autre alternative à la concurrence pure et dure.

Il nous semble d'ailleurs que cette loi devrait être l'occasion de renforcer la charte de 2004 sur la base du choix d'un modèle de société bas carbone.

Nous soutenons la stratégie bas carbone proposée, mais tous les objectifs doivent être en cohérence. Nous soutenons tout autant la programmation pluriannuelle de l'énergie qui en découle. Mais elle devra être en cohérence avec tous les dispositifs territoriaux, des SCRAE aux conférences NOME, entre autorités concédantes et autorités gestionnaires des réseaux de distribution. Pour être efficace, la programmation pluriannuelle de l'énergie devra pouvoir être déclinée sur les territoires et être chiffrée.

Par ailleurs, la stratégie bas carbone doit absolument intégrer toutes les composantes du mix énergétique, ainsi que ses indispensables adaptations aux évolutions climatiques. Elle doit intégrer la politique de transport et de mobilité du pays et tenir compte de l'ensemble des énergies.

Il nous semble donc prématuré de fixer une trajectoire pour la production nucléaire, qu'il s'agisse d'une limitation à 50 % ou d'un plafonnement à 63,2 gigawatts, en l'absence de définition du point de départ de notre stratégie bas carbone, qui permettrait de mesurer les valeurs de référence. Un volet géostratégique nous paraît tout aussi indispensable pour préparer l'avenir.

Afin de mettre en oeuvre cette stratégie, nous sommes favorables à une priorisation des politiques publiques visant à l'efficacité énergétique en fonction du coût de la tonne de carbone évitée. Il faut donc prioriser les actions d'efficacité énergétique. Mais cette politique sera sans effet si elle n'est pas totalement connectée à la politique du logement et de l'urbanisme. Le coût de la tonne de dioxyde de carbone évitée ou, mieux, de notre empreinte carbone globale doit aussi guider notre politique de développement des énergies renouvelables. De même qu'il faut donner un coût au dioxyde de carbone, il faut déterminer qui finance le coût de l'intermittence de certaines EnR, et privilégier celles qui produisent en continu.

Nous sommes également favorables à une remise à plat de la CSPE et à tous les dispositifs qui favoriseront la transparence vis-à-vis de nos concitoyens, que ce soit à propos des coûts, des impositions de toute nature ou de l'application de la TVA. Il en va de la gouvernance démocratique du système énergétique.

L'évolution de la gouvernance du système énergétique est indispensable pour permettre l'adhésion des salariés, et plus globalement de tous les Français, pour bâtir en toute confiance un socle commun. Nous devons mettre le service public au coeur de la transition énergétique et aller vers un modèle plus participatif dans le secteur de l'énergie, y compris pour mobiliser l'épargne des Français vers la transition énergétique.

Sans confiance, il n'y aura pas de mobilisation ni d'élan créatif, alors que cette loi devrait voir refleurir le génie français.

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