Intervention de Marie-Claire Cailletaud

Réunion du 17 septembre 2014 à 18h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail, CGT :

Depuis plusieurs années, la CGT s'est engagée dans ce débat qui concerne les salariés, l'emploi, les activités productives et, bien sûr, tous les citoyens. Aussi, nous déplorons que le Gouvernement ait eu recours à la procédure législative accélérée, qui ampute le nécessaire débat démocratique sur un sujet portant des enjeux de société essentiels pour les décennies à venir.

La CGT considère que le projet de loi relatif à la « transition énergétique » n'en porte que le nom. En effet, il n'embrasse pas l'ensemble des questions énergétiques dans une dynamique de réponse aux besoins des populations, dans le contexte inédit et urgent de la limitation drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. Le projet de loi traite essentiellement la question de l'électricité, et ce, de manière partielle. Pétrole, charbon et gaz sont absents, en dehors de la volonté globale affichée de la diminution des ressources fossiles.

La CGT estime que ce projet de loi est très en deçà des ambitions exprimées dans la synthèse des débats qui ont mobilisé de nombreux acteurs pendant plus de six mois.

Elle conteste deux objectifs principaux du projet. Le premier concerne l'objectif de diviser par deux la consommation d'énergie à l'horizon 2050. Cette perspective est incohérente avec la démographie dynamique de la France, avec le redressement souhaitable de notre industrie et avec la satisfaction des besoins sociaux. Les baisses de consommation observées ces dernières années ne sont que l'expression des conséquences qu'ont sur l'activité la crise et la disparition de l'industrie dans les territoires.

Pour la CGT, la responsabilité historique devant laquelle nous sommes placés impose un objectif très ambitieux : nous devons contribuer à réduire de 40 % en 2030 les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Pour y parvenir, la France dispose de plusieurs leviers à utiliser au mieux en fonction des atouts dont elle dispose et des moyens matériels qu'elle peut et doit mobiliser. Rien n'oblige à miser de façon aussi massive sur la baisse de la consommation, même si l'efficacité énergétique est une composante de la baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Plusieurs raisons fondent notre conception. D'abord, le redressement de notre industrie, condition primordiale au redressement du pays, suppose un accroissement de nos capacités de production. Compte tenu de l'intégration des dispositifs d'efficacité énergétique dans les process industriels, une baisse massive de la consommation énergétique ne peut être obtenue que par la poursuite de la désindustrialisation du pays.

Ensuite, les délocalisations conduisent à faire fabriquer à l'extérieur les produits que nous devons ensuite importer. Les émissions de gaz à effet de serre correspondantes sont le plus souvent bien plus fortes, compte tenu de la production énergétique des pays concernés. Il s'avère donc pertinent pour la planète et ses peuples de contrecarrer les délocalisations, voire de favoriser les relocalisations.

En outre, selon les meilleures prévisions, la population française devrait passer de 65 millions d'habitants aujourd'hui à 70 millions en 2050. Cette réalité a été clairement sous-estimée dans la cible d'une division par deux de la consommation. En effet, cela supposerait que chaque habitant consommerait 54 % d'énergie en moins.

Est également sous-estimé le transfert d'usage, c'est-à-dire le changement des sources d'énergie utilisées, pour satisfaire un besoin déterminé, alors qu'il peut apporter une contribution importante à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est la raison pour laquelle la CGT a fortement insisté lors de la conférence environnementale de 2012 pour que la dimension des transports soit incluse dans la loi.

Par ailleurs, les nouvelles technologies très consommatrices d'électricité se développent fortement. Enfin, l'accent mis dans le projet de loi sur le développement du véhicule électrique va dans le sens d'un transfert d'usage dans l'utilisation du véhicule individuel vers une source d'énergie peu émettrice de gaz à effet de serre, l'électricité.

Pour toutes ces raisons, la CGT estime que la part de l'électricité va croître dans le bouquet énergétique.

À côté de l'objectif de réduction de 40 % en 2030 des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen et de la division par deux de la consommation d'énergie en France, le projet de loi fixe des objectifs quantifiés quant à la part du nucléaire et celle de la consommation d'énergie fossile, et promeut enfin le développement des EnR.

Le second point contesté par la CGT a trait à la diminution du nucléaire. Pour la CGT, ces objectifs sectoriels sont difficilement conciliables et peuvent conduire à des surcoûts, voire à des impasses. Quand on considère la place centrale de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, on ne peut réduire de façon automatique la part du nucléaire sans expliciter les moyens de produire les 50 % restants. Or le projet de loi est muet sur ce point.

Cela s'explique par deux raisons essentielles qu'il faut savoir lire en filigrane. D'une part, le coût du soutien direct aux EnR est en passe de devenir insoutenable. C'est l'essence du projet de réforme du dispositif d'obligation d'achat, que la CGT a demandé de longue date. C'est aussi pour cette raison que le projet propose la mise en place d'un comité de la CSPE, pour surveiller la montée en charge de cette contribution qui pèse sur les consommateurs. D'autre part, l'adaptation des réseaux au développement des EnR, en électricité comme en gaz, se heurte à des besoins d'investissements, et n'est pas sans poser problème à la sécurité du système énergétique. Cette réalité appelle, pour la CGT, à favoriser et à soutenir la recherche afin de lever les obstacles de tous ordres au développement massif des EnR.

La CGT remarque également que la composante thermique classique, gaz et charbon principalement, n'est pas évoquée dans le projet de loi. Or les pays qui ont fortement développé les énergies renouvelables disposent de capacités thermiques importantes, contrairement à la France. La baisse de 30 % des consommations d'énergies fossiles annoncée en 2030 exclut a priori un recours massif au thermique dans la production d'électricité. Les chiffres avancés semblent donc difficiles à concilier. De plus, la manière dont ils ont été choisis n'est pas non plus explicitée.

Plutôt qu'un plafonnement a priori du parc nucléaire, la CGT estime judicieux un processus d'évolution du bouquet énergétique au fur et à mesure de la maturité des technologies sous le triple aspect social, environnemental et économique. Les choix opérés ont des conséquences dans ces trois domaines.

La hausse des tarifs consécutive à des décisions incohérentes aura des conséquences non seulement sur les usagers, notamment par la hausse des factures, mais également sur l'industrie. Or chacun sait que l'accès à une énergie fiable à un coût abordable constitue un facteur majeur de localisation industrielle, et que cela ne concerne pas seulement les énergo-intensifs.

La France fournit un mix énergétique à un prix moyen inférieur à celui de ses voisins européens. Le prix de l'électricité fournie aux particuliers est en Allemagne de 80 % supérieur à celui pratiqué en France. L'énergie entre en moyenne pour plus de 8 % dans le budget des ménages, ce taux étant cependant plus important pour les ménages modestes. Les taxes qui frappent l'énergie sont lourdes. Pour la CGT, le maintien de choix énergétiques assurant une énergie accessible à tous doit rester une priorité.

Concernant l'efficacité énergétique, la question des transports – premier secteur émetteur de gaz à effet de serre et consommant un quart de l'énergie – n'est évoquée qu'au travers du développement du véhicule électrique. Quant aux questions qui fâchent, elles ne sont pas abordées : le fret ferroviaire ; les fermetures de lignes secondaires ; l'autorisation de circulation des camions de 44 tonnes ; la sous-tarification des transports – maritime, routier, marchandises – ; la multimodalité ; l'urbanisme, qui devrait créer les conditions pour que les salariés n'aient pas à habiter loin de leur lieu du travail en raison du coût des logements ; l'appareil productif manquant pour produire ou recycler, qui conduit à importer la majorité des produits de consommation, sans compter le dioxyde de carbone importé.

Depuis deux ans, la CGT insiste pour que la question des transports soit partie intégrante de la transition énergétique. Comment expliquer que le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre soit évacué de la réflexion ? Cela signifie-t-il que la diminution de nos émissions n'est en réalité qu'un objectif secondaire ? À cet égard, il est inacceptable que la table ronde sur les transports organisée lors de la conférence environnementale de la mi-novembre doive se tenir après le vote de la loi de transition énergétique. C'est d'autant plus ahurissant que cette réunion a été précisément organisée pour réfléchir aux impacts des transports sur l'émission des gaz à effet de serre.

La CGT souhaite formuler plusieurs remarques complémentaires. En ce qui concerne l'isolation des bâtiments, le projet de loi ne répond pas à deux importantes questions. Quelle filière professionnelle voulons-nous ? Celle de la construction a perdu 70 000 emplois en deux ans et emploie 200 000 salariés détachés, payés 600 euros par mois. Quels financements seront disponibles ? On annonce que 500 000 logements seront isolés chaque année, mais cela nécessite de mobiliser entre 10 et 15 milliards d'euros par an. L'obligation d'isolation des bâtiments induite par le projet de loi va poser de sérieux problèmes si les financements adéquats ne sont pas prévus. Même les plus beaux prêts à taux zéro ou les crédits d'impôt ne permettront pas aux propriétaires d'isoler leur maison. En pleine période d'austérité, alors que le « précaire énergétique » type est un propriétaire, vivant dans le monde rural, âgé, et qui se chauffe au fioul, qui peut croire qu'il pourra dégager 250 euros par mètre carré pour financer ces travaux d'isolation qui n'auront un retour sur investissement qu'au bout de vingt ou trente ans ?

Concernant le secteur énergétique, la CGT réaffirme sa totale opposition à l'ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques au travers de SEM. Le projet de loi n'apporte aucune précision quant au périmètre retenu pour l'application de la méthode des barycentres, qui regroupe les concessions au regard d'un critère d'équilibre économique. Par ailleurs, le modèle de SEM retenu fait la part belle aux opérateurs, celle des collectivités territoriales et des personnes, entreprises ou organismes publics, pouvant se limiter à 34 %.

En l'état, ce projet s'avère être la privatisation pure et simple de la production hydroélectrique nationale par le biais du renouvellement par mise en concurrence. Il ne comporte aucune référence au devenir des salariés concernés, et les questions sociales en sont absentes. L'enjeu que va représenter dans les années à venir la gestion d'une ressource essentielle, l'eau, n'est pas davantage abordé.

Des aides consacrées à la précarité énergétique prendraient la forme d'un chèque énergie. Si ce dispositif peut offrir l'avantage de couvrir plusieurs modes de production, tels le fioul et le bois, les montants et conditions d'attribution ne sont pas explicités, non plus que l'assiette précise de la contribution. De même, le devenir des mesures des mécanismes sociaux actuels n'est pas clair.

Des dispositifs variés sont instaurés pour permettre l'efficacité énergétique ou le développement de certaines énergies renouvelables. Le risque est grand de créer une fois de plus des bulles spéculatives pour des entreprises privées, comme sur le marché de l'effacement ou des capacités. In fine, ce sont les entreprises publiques et l'usager qui en paieront le prix, d'autant plus que les mesures annoncées sont incompatibles avec les politiques d'austérité menées.

La question de l'économie circulaire est abordée par le petit bout de la lorgnette, à savoir celui des déchets. La CGT porte une autre ambition, celle de l'éco-conception qui prend en compte les impacts environnementaux dès la conception du produit et tout au long de son cycle de vie : matières premières, fabrication, logistique, distribution, usage, recyclage, déchets. De surcroît, la question particulière du tri des déchets est trop souvent réduite à l'économie sociale et solidaire, et à des emplois de réinsertion. La CGT est favorable à toutes mesures visant à l'effectivité du droit au travail pour tous et à l'emploi de qualité. À ce titre, elle estime que les emplois dits d'insertion doivent constituer une étape dans un parcours professionnel et ne peuvent se cantonner à des secteurs précis.

Enfin, le projet de loi développe l'idée de territoires à énergie positive. La CGT établit un corollaire entre ce projet et ceux visant la réorganisation institutionnelle de la République et de l'action publique dans les territoires. Cette conception de territoires à énergie positive risque de créer des inégalités entre les territoires disposant de moyens de production et ceux qui en sont dépourvus. La mise en place de diverses formes de société permettant de régionaliser la production ou la distribution, s'appuyant sur l'aspiration légitime des citoyens à participer aux décisions ou sur la nécessité pour les collectivités locales de trouver des sources de financement nouvelles, risque de porter un coup fatal au service public national. Ce processus porte en germe la fin du système de péréquation tarifaire, de l'égalité de traitement, des solidarités entre régions. Vous l'aurez compris, cette partie du projet de loi nous préoccupe au plus haut point. La CGT en conteste le principe.

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