Les sociétés d'autoroutes sont des monopoles géographiques, dans la mesure où le transport par autoroute est difficilement substituable aux autres modes de transport : une SCA gère un monopole privé sur l'autoroute qui lui est concédée. En économie, c'est un système de concurrence pour le marché – par opposition aux systèmes de concurrence dans le marché –, où la concurrence ne s'exerce qu'au moment de l'attribution du monopole, lors de la mise en concurrence des différentes offres reçues par le concédant. C'est seulement à ce moment que le concédant a le pouvoir de faire jouer son pouvoir de négociation en fixant des conditions ; il perd ensuite ce pouvoir jusqu'à la fin de la concession.
Tout monopole doit être régulé, c'est une évidence d'un point de vue politique et démocratique, a fortiori un monopole privé. Les SCA, titulaires d'un monopole géographique privé, doivent donc faire l'objet d'une régulation visant à éviter qu'elles ne se constituent une rente injustifiée au détriment des usagers captifs : le profit tiré du monopole doit rester proportionné au risque et à l'évolution des charges.
Nous nous sommes attachés à analyser, au regard de ces grands critères, la rentabilité des SCA par rapport à leurs coûts et aux risques qu'elles invoquent. La première chose que nous ayons mise en évidence, c'est que le chiffre d'affaires des SCA a augmenté de manière constante depuis 2006, et bien plus vite que leurs charges : alors que leur chiffre d'affaires a augmenté de 26 % depuis 2006, les charges d'entretien de l'infrastructure autoroutière ont diminué de 7 % sur la même période ; quant aux charges de personnel, elles ont progressé de 11 % – en dépit d'une diminution des effectifs de 17 % sur la période 2006-2013, due notamment à l'automatisation croissante des péages.
L'augmentation nominale du chiffre d'affaires des SCA est donc nourrie par l'augmentation du trafic, mais aussi et surtout par l'augmentation régulière du tarif des péages, qui apparaît largement déconnectée de leurs coûts – largement prévisibles sur le long terme. Les présidents des sociétés d'autoroutes que nous avons auditionnés ont été incapables de nous préciser à quels risques ils devaient faire face, et pour cause : à part le déneigement, il n'y en a aucun ! Les éventuelles pertes de trafic d'une année sont systématiquement compensées par des hausses lors des années suivantes ; les charges sont généralement prévisibles, et plutôt en baisse ; pour ce qui est de la dette, certes lourde, elle résulte d'un choix volontaire des SCA de recourir massivement à l'endettement, et représente, notamment du point de vue des prêteurs, un risque limité compte tenu du montant des cash-flows – flux de trésorerie – qu'engendre l'activité de concessionnaire d'autoroute.
Pour ce qui est de la rentabilité des sociétés d'autoroutes, elle a atteint en 2013 un niveau exceptionnel, situé entre 20 % et 24 % de leur chiffre d'affaires – je parle bien du résultat net après impôt et charges financières, et non de l'excédent brut d'exploitation. En clair, sur 100 euros payés au péage par les usagers, 20 à 24 euros constitueront le bénéfice net pour les concessionnaires d'autoroutes.