Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 17 septembre 2014 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Au risque de vous choquer, un taux de rentabilité nette de 20 % à 24 %, s'il paraît très élevé par rapport à d'autres secteurs économiques, pourrait se concevoir si les risques pris par les investisseurs le justifiaient : dans une économie de marché, il faut encourager le risque et l'innovation. Or, ce n'est absolument pas le cas, ni en termes de risque-prix, ni en termes de risque-volume.

Pour ce qui est du risque-prix – lié à l'évolution du tarif des péages – le décret de 1995 régissant les concessions leur garantit une hausse réglementaire annuelle minimale égale à 70 % de l'inflation hors tabac jusqu'à la fin des concessions ; mais à ce décret se substitue le plus souvent la loi tarifaire des contrats de plan négociés entre l'État et les sociétés d'autoroutes, qui instaure une régulation beaucoup plus généreuse aux termes de laquelle l'État garantit aux SCA 80 à 85 % de l'inflation hors tabac, ainsi que la compensation des investissements non prévus initialement par la concession, mais décrits dans les contrats de plan. Le paragraphe 39 du document qui vous a été remis fait apparaître au moyen d'un graphique l'évolution de la moyenne des hausses annuelles des tarifs de péage : comme vous le voyez, ces tarifs ont, chaque année depuis 2004, augmenté plus vite que l'inflation hors tabac. Outre que l'on peut s'interroger sur la pertinence qu'il y a à garantir une corrélation entre l'augmentation de l'inflation et les hausses de tarifs des péages, il est particulièrement frappant de constater que les secondes sont systématiquement supérieures à la première.

En ce qui concerne le risque-volume, nous ne pensons pas que l'évolution du trafic autoroutier constitue un vrai risque pour les SCA, qui bénéficient d'un monopole géographique et ne se font donc pas concurrence entre elles ; par ailleurs, les trajets par un autre mode de transport ou par les routes nationales ne sont que très partiellement substituables aux trajets par autoroutes ; l'analyse de la demande montre une faible élasticité au prix et une corrélation assez marquée à l'évolution du PIB et de la démographie et au prix des carburants. En d'autres termes, ce qui fait évoluer le volume de trafic autoroutier, c'est avant tout la conjoncture économique ; sur les dix dernières années, on observe que si le trafic a pu baisser une année, il est toujours reparti à la hausse les années suivantes, au moins pour les véhicules légers, qui constituent la grande majorité des recettes. Les prévisions les plus récentes estiment pour l'avenir la hausse de l'évolution des trafics à 0,7 % par an jusqu'en 2030.

De plus, même lorsque le trafic autoroutier baisse fortement, comme ce fut le cas par exemple lors de la crise financière de 2008-2009, d'une manière générale, le chiffre d'affaires des SCA comme leur rentabilité nette continuent à croître par le seul effet de l'augmentation du tarif des péages. En d'autres termes, seule une crise beaucoup plus grave que celle de 2008-2009, qui aboutirait à une baisse également plus forte du trafic, pourrait éventuellement entraîner une baisse de leur chiffre d'affaires… Même si nul ne connaît l'avenir, ce risque reste aujourd'hui très théorique.

Enfin, l'autre risque mis en avant par les SCA est la dette massive qu'elles ont souscrite. La dette nette des sept SCA « historiques » s'élève aujourd'hui à plus de 23,8 milliards d'euros, ce qui représente effectivement un montant très important en valeur absolue. L'Autorité a toutefois calculé que les cash-flows générés par l'activité autoroutière sont tels qu'ils permettront, jusqu'à la fin de la concession, sauf crise économique majeure entraînant un effondrement du trafic, le remboursement de cette dette.

La dette des SCA est donc qualitativement peu risquée, ce qui explique d'une part que les actionnaires d'ASF et d'APRR aient décidé, juste après la privatisation, la distribution de dividendes exceptionnels s'élevant à respectivement 3,3 milliards d'euros et 1,7 milliard d'euros, financés par une augmentation de l'endettement de ces SCA ; d'autre part, que d'une manière constante, les SCA privilégient l'endettement à l'autofinancement pour le financement de leurs nouveaux investissements. Si la dette des SCA était aussi risquée qu'elles le soutiennent, il est permis de penser qu'elles auraient cherché à la réduire et, surtout, que les créanciers auraient des réticences à leur prêter davantage d'argent. Or, c'est l'inverse qui s'est produit : leur dette a augmenté de 17 % – à l'exception de celle de COFIROUTE – depuis 2006 sans qu'elles rencontrent de difficulté particulière de financement. Non seulement cette dette n'est pas risquée, mais elle leur permet en plus de bénéficier de l'avantage fiscal découlant de la déductibilité totale des intérêts d'emprunts – un avantage qui a été supprimé pour tout le monde, sauf pour elles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion