Sur le plan méthodologique, tout d'abord, Mme Rabault notamment m'a demandé si les sociétés d'autoroutes avaient pu réagir au constat que nous avons dressé ou aux propositions que nous avons faites. Les services d'instruction ont auditionné à de très nombreuses reprises les représentants des sociétés d'autoroutes, qui se sont manifestés tout au long de l'enquête que nous avons menée à partir du mois de novembre dernier, y compris jusqu'à ces derniers jours. Lors de leur audition, le 22 juillet, de nombreuses questions leur ont été posées, notamment sur l'idée même de risque qu'ils avançaient. Nous avons donc dialogué avec ces sociétés, mais, soyons clairs, nous ne leur avons pas soumis le projet d'avis. Cet avis nous engage. Il est élaboré à partir de données publiques ou provenant des sociétés d'autoroutes, dont elles ne peuvent donc contester la véracité – mais, soyons honnêtes, elles vont sûrement le critiquer, estimer qu'il est déraisonnable ou qu'il n'a pas suffisamment pris en compte la notion de risque. Elles feront valoir qu'elles se sont massivement endettées et qu'il s'agit de rémunérer un risque consubstantiel à leur activité. Nous ne partageons pas le même point de vue, mais en tout état de cause, elles n'ont pas été en mesure de contester les conclusions auxquelles nous parvenons, mais elles ne manqueront pas de le faire dans les prochains jours. Et nous serions évidemment prêts à revoir les chiffres ou les données si des erreurs méthodologiques avaient été commises.
Par ailleurs, nous avons obtenu beaucoup de documents des sociétés d'autoroutes et d'informations concernant le plan de relance en promettant que ni le public ni elles-mêmes n'en auront connaissance. En effet, on ne peut pas communiquer à une société les informations confidentielles et stratégiques d'une autre société. Demain matin, nous publierons donc cet avis, qui sera mis en ligne, mais expurgé de certaines informations couvertes par le secret des affaires : les chiffres seront parfois remplacés par des fourchettes, comme cela se fait parfois en matière de concentration d'entreprises. Vous disposez de cet avis pour votre information personnelle ; la version publique ne comportera pas tous les chiffres qui y figurent.
Sur un plan philosophique, on peut se demander quel est le bilan patrimonial de cette opération : l'État a-t-il fait une bonne ou une mauvaise affaire ? Vous êtes là pour porter ce jugement ; quant à nous, nous n'avons pas la légitimité pour le faire. Nous sommes l'autorité qui protège la concurrence, et non les intérêts patrimoniaux ou financiers de l'État. Notre rôle n'est pas non plus, monsieur le président Chanteguet, d'expertiser le coût éventuel de la dénonciation anticipée des concessions et leur rachat, soit pour les garder sous la maîtrise de l'État, soit pour les réattribuer à des conditions différentes.
Cependant, il est toujours juridiquement possible de modifier la loi du contrat, moyennant une indemnisation du préjudice subi par le cocontractant, qui tire des droits acquis du contrat qu'il a signé. Je rappelle qu'en droit administratif, il existe deux possibilités de modifier unilatéralement le contrat. Soit cette modification est le fait du cocontractant et, si elle bouleverse l'économie générale du contrat, elle doit donner lieu à une indemnisation ; soit elle est le fait du prince – l'État en tant que prescripteur des règles fiscales par exemple – et elle porte alors sur une norme législative ou réglementaire qui affecte le contexte dans lequel se réalise le contrat et peut également dans certains cas donner lieu à une indemnisation. À ce propos, je précise que, dans certains contrats de plan, les SCA ont fait mentionner explicitement que la modification de toute règle fiscale à leur désavantage devrait être intégralement compensée. L'indemnisation résulterait donc non seulement de la jurisprudence administrative, mais aussi de la loi expresse du contrat. Par exemple, le contrat de plan de COFIROUTE prévoit l'indemnisation de la société en cas de changement de la règle de déductibilité fiscale des intérêts d'emprunt.
En tout état de cause, l'État ne peut pas s'engager dans une telle aventure sans maîtriser le risque juridique. Il nous paraîtrait donc sage, dans le cas où l'on voudrait imposer la dénonciation anticipée du contrat, la remise en cause de la loi tarifaire en cours de contrat, de consulter le Conseil d'État pour qu'il indique quelles sont les possibilités juridiques qui s'offrent à l'État. Si, et c'est ce que nous proposons, la renégociation intervient à l'occasion du plan de relance, l'État peut créer un rapport de force, en proposant de prolonger à condition de revoir les éléments fondamentaux du contrat. Dans ce cas, le risque juridique serait moins important, car je pense que les sociétés d'autoroutes ne contesteraient pas une telle modification.