Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant votre commission. La mission de GRT Gaz consiste à acheminer le gaz depuis les frontières terrestres mais aussi maritimes de notre pays, c'est-à-dire depuis les ports méthaniers où le gaz arrive par bateau sous forme liquide jusqu'au consommateur industriel et à l'entrée des distributions publiques. Par ce rôle, nous assurons une vraie solidarité entre les territoires et nous participons à l'homogénéité des prix sur le territoire national. D'ailleurs, lorsque des tuyaux manquent quelque part, cela crée des différentiels de prix difficilement compréhensibles par les consommateurs. Comme RTE, nous veillons aussi à l'équilibre instantané entre l'offre et la demande de gaz sur le réseau même si nous n'amenons pas le gaz. Nous jouons donc un rôle important, aux côtés des fournisseurs de gaz, dans la sécurité de l'approvisionnement.
Je vous livrerai trois informations qui me semblent importantes.
Premièrement, en France nous consommons autant d'énergie sous forme électrique que sous forme de gaz, soit 500 térawatts-heure. Deuxièmement, quand il fait le plus froid, le système gaz a une pointe plus importante que le système électrique. Au mois de février 2012, on a atteint une puissance de 158 000 mégawatts sur le réseau de GRT Gaz alors que la pointe électrique était de 101 000 mégawatts, soit 50 % de plus pour GRT Gaz. C'est extrêmement important pour faire face aux variations climatiques, en particulier en ce qui concerne le chauffage. Troisièmement, le gaz se stocke assez facilement, contrairement à l'électricité. Nous disposons, sur le territoire national, de stockages souterrains qui permettent de stocker jusqu'à 30 % de la consommation annuelle de la France. C'est une chance au moment où l'on cherche des solutions pour stoker l'énergie en général.
Nous sommes convaincus que le gaz est un véritable atout pour la transition énergétique pour plusieurs raisons. Premièrement, comme je viens de le dire, le gaz sait stocker de très grandes quantités d'énergie. Deuxièmement, certes le gaz naturel est une énergie fossile, mais c'est celle qui émet le moins de gaz effet de serre. Par exemple, lorsqu'on la met dans une chaudière ou une turbine pour produire de l'électricité, elle émet deux fois moins d'émissions de CO2 que le charbon. Un moteur à gaz produit 25 % de CO2 de moins qu'un moteur à essence et émet 80 % de moins d'oxyde d'azote qu'un moteur diesel et quasiment pas de particules, ces dernières soulevant aujourd'hui une vraie question de santé publique. Par ailleurs, le gaz naturel a vocation à être substitué progressivement par du gaz d'origine renouvelable, ce qui constitue une voie vers la transition énergétique.
Si l'on utilise du gaz dans la transition énergétique pour diminuer le recours au charbon, au fioul, à l'essence ou au diesel, pour renforcer les liens entre le système électrique et le système gazier, on peut réduire considérablement les émissions de CO2, et la réduction sera encore plus forte avec le biométhane, donc le gaz renouvelable. À l'inverse, si par des mesures mal calibrées on réduit la consommation de gaz au profit de celle du charbon ou du fioul, voire du chauffage électrique, on augmente les émissions de gaz à effet de serre et de ce fait, on va à l'opposé de l'objectif recherché dans cette loi.
J'en viens aux objectifs généraux du texte. Ils sont cohérents dans la mesure où l'on veut diminuer les émissions de gaz à effet de serre à l'origine desquelles sont les énergies fossiles. Toutefois, cet objectif est exprimé en énergie finale et non en énergie primaire, c'est-à-dire que l'on s'intéresse à l'énergie consommée par le consommateur en laissant de côté l'énergie consommée par le consommateur sous forme d'électricité et qui est produite à partie d'énergie nucléaire certes mais aussi d'énergie fossile : gaz, pétrole ou charbon. Il y a donc là une vraie question de cohérence et un vrai risque de défavoriser des usages d'énergies certes carbonées mais moins que d'autres au travers du chauffage électrique. Il serait plus cohérent de prendre en compte l'ensemble de la consommation d'énergie primaire en France et pas seulement l'énergie finale, ce qui aurait pour avantage de ne pas défavoriser de manière trop importante le chauffage au gaz qui, je le répète, est une chance pour le système énergétique français dans la mesure où le gaz peut stocker l'énergie et la restituer quand il fait très froid et qu'il émet moins de CO2 que la pointe d'électricité. La pointe d'électricité est faite en grande partie à partir d'énergie fossile, notamment de charbon, et une partie de l'énergie que nous importons dans ces moments là est également d'origine fossile charbon, voire lignite.
Le projet de loi précise qu'il faut « réduire la consommation énergétique des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à la référence 2012 ». Dans ce cadre, il serait intéressant de distinguer les différentes énergies fossiles, c'est-à-dire le charbon, le pétrole, le fioul et le gaz, selon leur contenu carboné dans la mesure où le charbon par exemple émet beaucoup plus de CO2 que le gaz. On a calculé qu'à l'échelle européenne si l'on remplaçait toutes les centrales à charbon par des centrales à gaz pour produire de l'électricité, on diminuerait de 60 % les émissions de gaz à effet de serre du secteur électrique européen, autrement dit on baisserait de 20 % les émissions de gaz à effet de serre globales de l'Europe. Ce sont des ordres de grandeur extrêmement significatifs. Pour la France, les chiffres sont moins importants puisque nous avons l'énergie nucléaire. Mais nous sommes aujourd'hui sur un marché européen et la planète est un sujet global.
Quand on parle des énergies renouvelables, on pense souvent aux énergies électriques renouvelables et on a tendance à oublier que la troisième révolution du gaz est en marche. La première révolution, ce fut les gaz de ville, ceux que l'on produisait dans les usines à gaz à partir du charbon ou de pétrole – il faut reconnaître que cette technologie n'était pas très propre. La deuxième révolution, ce fut l'arrivée du gaz naturel, ce gaz que l'on allait chercher sous terre ou au fond des océans. Cette énergie était plus abondante et bien plus propre que la première. La troisième révolution, celle que nous sommes en train de vivre, c'est celle des gaz renouvelables, c'est-à-dire celle des gaz produits localement avec un vrai bénéfice pour la balance commerciale. Plutôt que d'importer du gaz du Moyen-Orient, on le fabrique dans notre pays, ce qui crée de l'activité locale. En outre, il s'agit d'une énergie neutre en carbone. Ces gaz, c'est le biométhane mais aussi peut-être demain le gaz issu de l'électricité renouvelable non consommée à travers la technologie du power to gas. Cette technologie est actuellement encore à l'essai. Elle intéresse beaucoup de gens en Europe : on compte actuellement une vingtaine de projets. Audi, par exemple, qui n'est pas réputée pour être fantaisiste, a ouvert l'année dernière une usine de power to gas en Allemagne pour alimenter ses voitures. Le gaz qu'achètent les automobilistes dans les stations-service allemandes est de l'électricité d'origine éolienne.
Le biométhane est l'illustration de l'économie circulaire. Injecter cette énergie dans les réseaux permet de la transporter sous forme de gaz et de profiter des capacités de stockage du système gazier. D'ailleurs, Mme la ministre ne s'y est pas trompée puisqu'elle a cité l'objectif de 10 % de biométhane dans les réseaux gaziers et il me semble que vous avez dit tout à l'heure que M. Mestrallet avait également évoqué cet objectif à l'horizon 2030. Cet objectif est cohérent avec les études qui ont été menées par GrDF, par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et par nous-mêmes. Inscrire cet objectif dans le projet de loi constituerait un réel encouragement pour toute la filière du biométhane en France.
J'en viens maintenant à la mobilité propre. Le projet de loi développe beaucoup la mobilité à partir des véhicules électriques ; il pourrait avoir une ambition plus forte grâce à la technologie du gaz naturel comprimé (GNC) ou du gaz naturel pour véhicules (GNV), donc du gaz naturel et demain du biométhane dans les véhicules, à ne pas confondre avec le gaz de pétrole liquéfié (GPL) qui est une autre technologie avec d'autres caractéristiques physiques. La technologie du GNC est aujourd'hui complètement mûre. En effet, 18 millions de véhicules circulent déjà avec cette énergie. L'Italie, qui a développé un réseau de 1 000 stations-service, compte ainsi un parc automobile de un million de véhicules roulant au GNC. L'autonomie de ce type de véhicule est de 400 kilomètres et elle peut être sans problème de 1 000 kilomètres si le véhicule est bi-carburant. Ensuite, cette technologie a de réelles qualités au plan environnemental : 25 % d'émissions de CO2 de moins que l'essence, 80 % de moins d'oxyde d'azote que le diesel, 95 % d'émissions de particules en moins, pas d'odeur par rapport au diesel et des moteurs deux fois moins bruyants que ceux que nous connaissons actuellement.
À cela s'ajoute un avantage économique. Actuellement, les constructeurs automobiles sont confrontés à un problème puisque, pour rendre leurs véhicules diesel compatibles avec les futures normes Euro 6, ils doivent encore rajouter des pots catalytiques et des équipements qui vont venir renchérir le coût des véhicules, au point qu'ils se demandent s'ils ne vont pas revenir à l'essence. Avec le gaz naturel, on n'a pas besoin de tout cela. Les véhicules sont donc moins chers et le prix des carburants est également moins cher de 20 % environ hors taxe. Enfin, le gaz naturel sera progressivement remplacé, en partie au moins, par du gaz renouvelable.
Nous sommes donc vraiment convaincus que le gaz est une vraie chance pour la transition énergétique et pour la mobilité propre.
Il faudrait que le texte de loi reconnaisse que les véhicules roulant au gaz naturel et au biométhane sont des véhicules propres. Pour avoir été directeur de la prévention des pollutions et des risques au ministère de l'écologie, je peux vous dire que la question de santé publique soulevée par la pollution liée aux particules est un vrai problème et qu'il faudra y faire face un jour ou l'autre. De ce point de vue, le projet de loi est une chance historique.
Cette loi est aussi l'occasion d'initier une vraie réflexion sur un réseau d'avitaillement pour servir les véhicules à gaz. D'ailleurs, certaines collectivités locales sont en train de s'équiper de stations pour leurs flottes captives, les bennes à ordures, les bus, souvent à partir de biométhane qui est produit localement. Ce type d'installation doit être progressivement accessible au grand public, comme c'est le cas en Allemagne et en Italie notamment. Cela reviendrait à anticiper une directive européenne qui sera publiée à l'automne au Journal officiel de l'Union européenne et qui appelle chaque pays à établir un plan pour la distribution des carburants alternatifs parmi lesquels le GNC.
En résumé, il y a ceux qui pensent qu'il faut se débarrasser au plus vite du gaz naturel, ceux qui ayant bien vu ses qualités, considèrent que c'est une énergie de transition. Pour ma part, j'aimerais vous avoir convaincus que le gaz sous toutes ses formes – le gaz naturel et demain les gaz renouvelables – est une énergie de destination et une véritable opportunité pour la transition énergétique dans notre pays.