Intervention de Pascal Pavageau

Réunion du 18 septembre 2014 à 10h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force Ouvrière :

L'analyse dont je vais vous faire part a été effectuée à partir des données que nous avons recueillies au niveau confédéral, mais aussi au niveau de nos différentes fédérations et syndicats ayant reçu de l'information de la part des chefs d'entreprise et des CE ; une partie des remontées dont nous disposons provient de groupes, bien qu'il soit plus difficile de collecter des informations dans ce cas car, au sein d'un groupe donné, il peut y avoir plusieurs sources de renseignements fonctionnant selon des modes différents – sans parler du fait que nos organisations ne sont pas forcément présentes au sein de toutes les entreprises d'un groupe.

En ce qui concerne le niveau d'information, le Gouvernement avait annoncé des contreparties en matière d'amélioration du dialogue social. De ce côté-là, c'est mal parti : actuellement, ce n'est qu'au prix de demandes insistantes de la part des salariés et des syndicats que nous parvenons à récupérer quelques informations par l'intermédiaire des CE. Il est très rare que la transmission se fasse de manière descendante et automatique, et la transparence sur l'utilisation, parfois même sur le montant des crédits perçus par les chefs d'entreprise au titre du CICE, est loin d'être acquise. Le problème n'est pas limité aux PME et aux ETI : il n'est pas rare qu'on le constate pour de grandes entreprises ou pour certains groupes.

Par ailleurs, nous avons l'impression qu'une faible proportion des entreprises dotées d'un CE – sans doute moins de 20 %, mais il ne s'agit là que d'une estimation – ont répercuté l'information au sujet des crédits perçus au titre du CICE : sur ce point, il semble que nous soyons très loin d'une information s'effectuant de manière descendante et courante, donc d'une amélioration du dialogue social. Quant à un effet supposé du CICE sur le reste du fonctionnement des instances représentatives du personnel et ce qu'il est coutume d'appeler le dialogue social, nous n'avons absolument rien constaté.

En fait, l'immense majorité des entreprises, quelle que soit leur taille, ont recours au CICE pour améliorer leur trésorerie afin de pouvoir faire face à la crise de la commande, au refus de la banque de se voir accorder un prêt, ou à tout autre problème d'ordre conjoncturel. On peut voir un aspect positif dans cette pratique, à savoir le fait que cela contribue à préserver l'emploi, mais il existe pour cela d'autres outils en matière d'intervention publique et ce n'était sans doute pas l'objectif poursuivi par le législateur lors du vote du CICE, qui avait plutôt vocation à soutenir la création d'emploi et l'investissement productif.

Je dois faire mention d'un phénomène que nos unions départementales nous ont signalé après qu'il a été constaté très fréquemment par nos délégués présents au sein des PME et TPE – y compris des établissements non dotés de CE –, à savoir une captation par les donneurs d'ordre des bénéfices du CICE, selon une chaîne descendante : le donneur d'ordre principal contraignant le sous-traitant de rang 1 à répercuter tout ou partie des gains du CICE sur ses prix, ce sous-traitant de rang 1 en fait de même avec celui de rang 2, et ainsi de suite. Je fais deux assemblées générales ou congrès d'unions départementales par semaine, et je peux vous garantir qu'il ne se passe pas une fois sans que l'on me rapporte des pratiques de ce genre, dont se plaignent les chefs d'entreprise qui en font les frais – et même si l'on ne peut garantir à 100 % la véracité de ces allégations, la multitude des témoignages recueillis en des lieux très différents incite à penser qu'ils correspondent à la réalité.

Un tel dévoiement du dispositif est très grave car les plus petites entreprises, qui se trouvent le plus souvent en bout de chaîne, se trouvent privées du bénéfice du CICE alors que ce sont elles qui en auraient le plus besoin, tandis que les plus grosses entreprises, dont on peut penser qu'elles ont déjà, de leur côté, perçu les plus gros chèques au titre du CICE – qu'elles n'utilisent pas forcément pour créer de l'emploi –, s'approprient ce qui devrait revenir aux petites.

Nous avons également reçu quelques témoignages d'un effet « trappe à bas salaires », que l'on peut constater au sujet de toute aide ciblée sur les salaires plafonnés à une ou deux fois le montant du SMIC : certains directeurs des ressources humaines continuent à affirmer sans complexes, lors des réunions de négociation annuelle obligatoire (NAO), que compte tenu de l'ensemble des aides perçues au titre des salaires proches du SMIC, il n'est pas dans l'intérêt de l'entreprise de revoir les grilles de salaires à la hausse. Ce phénomène concerne le CICE, en dépit du fait qu'il vise les salaires allant jusqu'à 2,5 fois le SMIC.

Pour ce qui est de l'utilisation concrète des crédits du CICE, nous avons tous en tête des exemples caricaturaux que nous n'allons pas énumérer. Je me bornerai à signaler que nous assistons à une dérive inadmissible dans le secteur de la banque et des mutuelles, où des dirigeants d'entreprises ne craignent pas d'utiliser les crédits du CICE pour augmenter la sous-traitance dans des pays ou des filiales à bas coût : non seulement on ne crée pas d'emplois, mais on se sert du CICE pour payer le déménageur lors de la délocalisation d'activité.

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